Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... F... a demandé au tribunal administratif de Dijon de déclarer le département de Saône-et-Loire responsable des conséquences de l'accident survenu le 8 mai 2012 et de le condamner à lui verser la somme de 29 000 euros en réparation des préjudices subis et de lui donner acte de ce qu'il se réserve de chiffrer son préjudice complémentaire par un mémoire ultérieur.
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, appelée en la cause, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le département de Saône-et-Loire à lui rembourser la somme de 34 451,81 euros avec intérêts de droit au titre des débours engagés pour M. F..., à prendre en charge les prestations non connues à ce jour et celles susceptibles d'être servies ultérieurement.
Par un jugement n° 1600611 du 16 mars 2018, le tribunal administratif de Dijon a condamné le département de Saône-et-Loire à verser à M. F... la somme de 17 800 euros, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 34 451,81 euros avec intérêt à compter de la demande de la caisse, soit le 29 mars 2016 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 mai 2018, le département de Saône-et-Loire, représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 mars 2018 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Dijon ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener les prétentions indemnitaires de M. F... à de plus justes proportions ;
4°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucun élément ne permet de considérer que la perte de contrôle a été provoquée par une glissance anormale de la chaussée ; les gendarmes se sont contentés d'indiquer que le conducteur a perdu le contrôle de son engin en raison d'une chaussée particulièrement mouillée ; au moment de l'accident, il pleuvait fortement ; les enquêteurs de la gendarmerie s'ils indiquent que l'état de la route est moyen ne relèvent pas qu'il est mauvais ; le maire de la commune s'est contenté d'indiquer qu'il y aurait eu trois ou quatre accidents au même endroit sur une période de pluie de quinze jours sans indiquer à quelle période les accidents ont eu lieu, les noms des victimes et les circonstances des accidents ; la base de données sur l'accidentologie ne recense aucun autre accident en ce lieu sur les cinq dernières années ;
- il procède de façon régulière à la réalisation de travaux d'entretien et de réfection de ses routes ; s'agissant de la route départementale (RD) 980, la couche de roulement de la portion de voie où s'est produit l'accident avait été refaite en 2007, soit moins de cinq ans avant l'accident ; dans la partie haute de la RD, il a procédé à des travaux ;
- il ne nie pas le phénomène de ressuage existant en ce lieu mais il avait implanté une signalisation avertissant les usagers du risque de glissance de la chaussée ; cette signalisation était en place avant l'accident ; cette signalisation aurait dû conduire M. F... à réduire sa vitesse et à être particulièrement vigilant ; l'accident est survenu dans un virage signalé par des balises ;
- le requérant ne produit pas le rapport d'expertise réalisé sur sa moto et il est demandé à la cour d'en réclamer la production sur le fondement de l'article R. 611-10 du code de justice administrative ;
- seules les fautes de M. F... sont à l'origine de l'accident et de nature à l'exonérer de toute condamnation ;
- si la cour venait à considérer que les fautes de la victime ne sont pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité, il conviendrait de ramener le montant des demandes de M. F... à de plus justes proportions ; il en va ainsi de la réparation des troubles dans les conditions d'existence résultant du déficit fonctionnel temporaire total et partiel et du déficit fonctionnel permanent dès lors que sa jambe n'a pas été immobilisée et qu'il pouvait se déplacer à l'aide de béquilles ; il a pu reprendre son emploi le 12 novembre 2013 ; la date de consolidation fixée au 8 mai est non justifiée ; les séquelles sont extrêmement limitées et ne justifie pas une évaluation du déficit fonctionnel permanent à 6 % ; la somme allouée au titre des souffrances endurées, du préjudice esthétique, est excessive.
Par un mémoire, enregistré le 17 juin 2019, M. F..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 16 mars 2018 en tant que le tribunal administratif de Dijon n'a que partiellement fait droit à sa demande et à la condamnation du département de Saône-et-Loire à lui verser la somme de 29 000 euros en réparation des préjudices subis lors de son accident et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du département de Saône-et-Loire en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- il ressort du procès-verbal de constat dressé par Me C..., huissier de justice, que les 2 et 30 juillet 2012, la route présentait des traces d'usure importantes sur la chaussée sur une surface d'environ 70 mètres située au niveau du virage ; le goudron est remonté en surface réduisant la combinaison caillouteuse ; le maire de la commune de Reclesne a indiqué, le 30 juillet 2012, qu'il y avait eu trois ou quatre accidents au même endroit sur une période de pluie de quinze jours ; le procès-verbal de gendarmerie mentionne que l'état de la route est moyen et présente des traces de dérapage ; l'attestation de M. D... établit que la chaussée du CD 980 présentait, en plein virage, une zone glissante ; ces éléments suffisent à établir le défaut d'entretien de la chaussée ; en outre la signalisation n'était pas adaptée dès lors que les gendarmes ont précisé, dans leur procès-verbal, " aménagement : non renseigné ou sans objet " ; la signalisation litigieuse a été mise en place à la suite des accidents et la présence d'un panneau de signalisation n'enlève rien au défaut d'entretien normal de la chaussée ; le caractère glissant suffit à révéler ce défaut d'entretien ;
- il est fondé à demander le versement de la somme de 6 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel, la somme de 10 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, de 3 000 euros au titre du dommage esthétique.
Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par Me I..., conclut au rejet de la requête et, en tout état de cause, à la condamnation du département de Saône-et-Loire à prendre en charge les prestations non connues à ce jour et celles susceptibles d'être servies ultérieurement et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge du département de Saône-et-Loire en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il incombe au département de prouver qu'il a entretenu correctement l'ouvrage à l'origine du dommage ; lorsque le revêtement d'une route est suffisamment glissant pour constituer un danger, l'administration est tenue de signaler cette situation de façon adéquate ; le jour de l'accident, la portion de la route sur laquelle a eu lieu l'accident était en mauvais état ; le département n'établit pas que l'accident de M. F... a eu lieu au PR 92+177 et que, par conséquent, cette portion de route a été concernée par les travaux réalisés en 2007 ; la facture produite ne permet pas de démontrer que de tels travaux réalisés 5 ans plus tôt rendaient impossible une dégradation importante du revêtement ; les autres factures produites ne concernent pas la portion de la route où a eu lieu l'accident de M. F... ;
- il n'est pas établi qu'à la date de l'accident, un panneau de signalisation avait été apposé sur la route et ce alors que le procès-verbal de gendarmerie du 9 mai 2012 ne fait pas état de la présence d'un tel panneau ; le panneau " chaussée glissante " figurant sur la photographie Street View de février 2011 produite par le département est un panneau à fond jaune employé en cas de risque temporaire ;
- sur cette portion de route, la vitesse était limitée à 90 km/h sans aucune limitation particulière de vitesse et aucune pièce du dossier ne permet de penser que M. F... roulait à une vitesse excessive ; il n'est pas établi que M. F... connaissait les lieux ;
- le montant des débours engagés n'est pas contesté par le département et il y a lieu de lui allouer la somme de 34 451,81 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Pin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 mai 2012, M. F... a été victime d'un accident de la route alors qu'il circulait en moto sur la route départementale (RD) 980 au lieudit Bas de Reclesne en direction de Saulieu, sur le territoire de la commune de Reclesne (département de Saône-et-Loire). Il a été transporté au centre hospitalier d'Autun où il lui a été diagnostiqué initialement de multiples fractures costales fermées ainsi que des fractures de la jambe gauche. Imputant sa chute à un défaut d'entretien de la chaussée, M. F... a saisi le tribunal administratif de Dijon d'une demande tendant à la condamnation du département de Saône-et-Loire à l'indemniser des préjudices subis. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne a également présenté des conclusions à fin d'indemnisation des débours engagés pour M. F.... Le département de Saône-et-Loire relève appel du jugement du 16 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon l'a condamné à verser à M. F... la somme de 17 800 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 34 451,81 euros avec intérêts à compter de la demande de la caisse, soit le 29 mars 2016. Par la voie de l'appel incident, M. F... demande la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à ses conclusions indemnitaires et la caisse primaire d'assurance maladie demande la condamnation du département à la rembourser des prestations qui seront servies ultérieurement à la victime.
Sur la responsabilité du département de Saône-et-Loire :
2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
3. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'enquête préliminaire de la gendarmerie nationale d'Autun, que, le 8 mai 2012, par temps de pluie, M. F..., qui circulait sur la route départementale 980 dans le sens Autun/Lucenay L'évêque, a perdu le contrôle de sa moto à l'approche d'un virage au PR 92+ 177 à la suite d'une glissade sur chaussée mouillée puis est venu percuter un pont situé en contrebas de la chaussée. Le rapport de la gendarmerie nationale précise encore que la route présentait un état qualifié de moyen. Un témoin de l'accident atteste que la chaussée était en très mauvais état et que le revêtement de la chaussée était " fortement dégradé dans le virage ". Le constat d'huissier établi les 2 et 30 juillet 2012 indique que " dans le tournant, à environ 90 mètres du point de chute, la chaussée en direction de Lucenay l'Evêque est dans un état usagé. En effet, sur une superficie d'environ 70 mètres, des traces d'usure de la chaussée apparaissent. (...) Le goudron majoritairement est remonté en surface réduisant ainsi la combinaison caillouteuse ".
4. Le département de Saône-et-Loire admet l'existence du phénomène de ressuage mais soutient qu'une signalisation appropriée avait été apposée avant l'accident qui informait les usagers de la route du risque de glissance de la chaussée. Pour établir la présence de cette signalisation à la date de l'accident, le département produit une photographie du site " Google- Street View " de février 2011 sur laquelle figure un panneau de signalisation " chaussée glissante ".
5. Si la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne fait valoir que le panneau à fond jaune est un panneau provisoire et que le rapport de gendarmerie ne signale pas sa présence, les photographies figurant au procès-verbal du 2 et 30 juillet 2012 de l'huissier de justice mandaté par l'assureur de la victime font apparaître que ce panneau, non mobile, était implanté sur l'accotement de la route, avant la portion de la voie dégradée, au même emplacement que sur la photographie extraite du site " Google-Street View " de février 2011, date qui contrairement à ce que soutient la caisse, peut être prise en considération comme ayant valeur certaine. Ainsi, du rapprochement de ces photographies, il peut être tenu pour établi que, comme le soutient le département, ce panneau était bien présent à la date de l'accident, même si le procès-verbal de gendarmerie comporte seulement la mention " non renseigné ou sans objet " quant à l'aménagement de la route départementale. Il ne résulte pas de l'instruction que l'état d'usure de cette partie de la chaussée était tel que le risque de perte d'adhérence aurait été insuffisamment signalé par ce panneau. Par suite, le risque de glissance de la chaussée était signalé par un panneau adapté aux usagers de la voie publique à qui il appartenait, particulièrement en temps de pluie comme c'était le cas, de prendre toutes les précautions nécessaires pour aborder cette portion de la route départementale à une vitesse adaptée. Ainsi, le risque de glissance de la chaussée ne saurait être regardé en l'espèce comme constitutif d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public engageant la responsabilité du département de Saône-et-Loire.
6. Il résulte de ce qui précède que le département de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a retenu sa responsabilité. M. F... n'est pas fondé à demander la réformation du jugement et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne n'est pas fondée à demander la condamnation du département à lui verser les sommes correspondant à des prestations non connues à ce jour et pouvant être servies à son assuré social.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du département de Saône-et-Loire présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes demandées par M. F... et par la caisse primaire d'assurance maladie sur ce même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 mars 2018 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. F... et par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne devant le tribunal administratif de Dijon et leurs conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le département de Saône-et-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de Saône-et-Loire, à M. G... F... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 20 février 2020.
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N° 18LY01688