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11/07/2019 | FRANCE | N°19LY01231

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 11 juillet 2019, 19LY01231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 18 octobre 2018 par lesquelles la préfète de l'Allier a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné un pays de destination.

Par un jugement n° 1801980 du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces décisions (article 1er), enjoint à la préfète de l'Allier de procéder au rée

xamen de la situation de M. B... (article 2) et mis à la charge de l'État le paiement à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 18 octobre 2018 par lesquelles la préfète de l'Allier a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné un pays de destination.

Par un jugement n° 1801980 du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces décisions (article 1er), enjoint à la préfète de l'Allier de procéder au réexamen de la situation de M. B... (article 2) et mis à la charge de l'État le paiement à Me Bucci, avocate de M. B..., de la somme de 800 euros (article 3).

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 avril 2019, la préfète de l'Allier demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 6 mars 2019 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, un rapport des services de la police aux frontières suffit à renverser la présomption de validité des actes d'état civil étrangers ;

- il doit être présumé que M. B... était majeur lors de son entrée en France, où il a pénétré avec un faux passeport ;

- l'extrait du registre des actes d'état civil et la copie intégrale du jugement supplétif de naissance ont été transmis à la police aux frontières pour authentification et ces deux documents ont reçu un avis défavorable ; il en résulte que les autres documents produits, notamment en cours d'instance, ne peuvent être authentiques ;

- les actes d'état civil des ressortissants d'Afrique subsaharienne et notamment de Côte-d'Ivoire sont le plus souvent dépourvus d'authenticité.

Par un mémoire enregistré le 16 mai 2019, M. B..., représenté par Me Bucci, avocate, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel, qui reprend le mémoire en défense du préfet devant le tribunal administratif, est insuffisamment motivée ;

- le rapport de la police aux frontières confirme que les documents d'état civil qu'il a produits, s'ils ont reçu un avis défavorable, n'ont jamais été déclarés faux ; ces documents lui ont d'ailleurs été restitués, ce qui n'est jamais le cas des documents déclarés faux ; ainsi, la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité de ces actes n'est pas rapportée.

Par un mémoire enregistré le 14 juin 2019, la préfète de l'Allier conclut aux mêmes fins que la requête et au rejet des conclusions de M. B... et à ce que celui-ci soit condamné à reverser la somme de 800 euros mise à la charge de l'État par le jugement attaqué.

Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. B... dans sa demande devant le tribunal administratif n'est fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clot, président,

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant de Côte-d'Ivoire, déclare être entré irrégulièrement en France au début de l'été 2017. S'étant présenté comme mineur, il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Allier par un jugement du juge des enfants du 12 mars 2018. Le 30 juillet 2018, il a sollicité une autorisation provisoire de travail en vue de la conclusion d'un contrat d'apprentissage. La préfète de l'Allier a considéré, au vu des doutes pesant sur l'authenticité de la copie intégrale d'acte de naissance et de l'extrait du registre des actes d'état civil produits par l'intéressé, qu'il était, en réalité, majeur et s'est estimé saisie d'une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 18 octobre 2018, la préfète a opposé un refus à cette demande, a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé un pays de destination. La préfète de l'Allier relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces décisions.

Sur la fin de non recevoir opposée à la requête par M. B... :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable à l'introduction de l'instance devant le juge d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. "

3. La requête de la préfète de l'Allier ne constitue pas la reproduction littérale et exclusive de ses écritures devant le tribunal administratif. Dès lors, la fin de non recevoir que lui oppose M. B..., tirée de ce qu'elle ne satisfait pas à l'exigence de motivation qu'imposent les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, ne peut être accueillie.

Au fond :

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. M. B... a produit un extrait du registre des actes de l'état civil de la commune de Daloa pour l'année 2009, délivré le 24 juillet 2017 et une copie intégrale de jugement supplétif d'acte de naissance de la commune de Daloa de la même année, délivré le 26 juillet 2017. Ces deux documents indiquent qu'il est né le 14 février 2001. Dans deux rapports du 29 janvier 2018, la direction interdépartementale de la police aux frontières de Clermont-Ferrand a émis un " avis défavorable " sur ces deux documents en précisant, pour le premier, que l'attestation qu'il mentionne n'a pas été produite, que le contrôle de cohérence est impossible et que le format (A4) n'est pas conforme et, pour le second, qu'il s'agit d'une " copie certifiée conforme ", dont les cachets humides sont totalement illisibles et qu'aucun contrôle ne peut être effectué. Même s'ils ont été restitués à l'intéressé, de tels documents ne permettent pas de considérer qu'ils justifient de son état civil. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler le refus de titre de séjour en litige et, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant un pays de destination, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que M. B... avait justifié de sa qualité de mineur.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

9. Si M. B... soutient avoir sollicité une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, en vue de la conclusion d'un contrat d'apprentissage, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète se soit méprise sur la portée de sa demande en estimant que, compte tenu de son âge, elle tendait, en réalité, à la délivrance d'un titre de séjour.

10. Le refus de titre de séjour opposé à M. B..., qui comporte l'énoncé des considérations de droit et des éléments de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

11. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". M. B..., qui n'a pas justifié de son état civil, ne peut donc soutenir qu'il remplit l'ensemble des conditions requises pour obtenir un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Le 18 octobre 2018, M. B..., de nationalité ivoirienne, qui lest entré irrégulièrement en France, se trouvait dans le cas que prévoient ces dispositions, dans lequel le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français.

13. La décision faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français est suffisamment motivée.

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :

14. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " Ce dernier texte énonce que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le retour de M. B... en Côte-d'Ivoire l'expose au risque de subir des traitements prohibés par ces dispositions.

15. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Allier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé les décisions en litige.

16. L'annulation du jugement attaqué rend sans objet les conclusions de la préfète de l'Allier tendant à ce que Me Bucci, avocate de M. B..., soit condamnée à reverser la somme mise à la charge de l'État par les premiers juges au titre des frais liés au litige.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme à M. B... au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 6 mars 2019 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la préfète de l'Allier est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B.... Copie en sera adressée à la préfète de l'Allier et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Dèche, premier conseiller,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juillet 2019.

N° 19LY01231 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 19LY01231
Date de la décision : 11/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : BUCCI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-07-11;19ly01231 ?
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