La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2019 | FRANCE | N°17LY01368

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 23 mai 2019, 17LY01368


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E..., Mme C...E...et Mme F...E...ont demandé tribunal administratif de Grenoble dans l'instance n° 1502484 de condamner le centre hospitalier Annecy Genevois à payer à M. A... E... la somme de 949 084 euros en réparation des conséquences dommageables des soins qui lui ont été prodigués dans cet établissement en décembre 2005, à Mme C...E..., son épouse, et à Mme F...E..., sa fille, les sommes respectives de 7 000 euros et de 3 500 euros en réparation de leurs préjudices moraux et de mettre

la charge du centre hospitalier Annecy Genevois les frais d'expertise ainsi q...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E..., Mme C...E...et Mme F...E...ont demandé tribunal administratif de Grenoble dans l'instance n° 1502484 de condamner le centre hospitalier Annecy Genevois à payer à M. A... E... la somme de 949 084 euros en réparation des conséquences dommageables des soins qui lui ont été prodigués dans cet établissement en décembre 2005, à Mme C...E..., son épouse, et à Mme F...E..., sa fille, les sommes respectives de 7 000 euros et de 3 500 euros en réparation de leurs préjudices moraux et de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois les frais d'expertise ainsi que la somme de 2 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble dans la même instance de condamner le centre hospitalier Annecy Genevois à lui verser la somme de 48 398,77 euros augmentée des intérêts au taux légal, correspondant au montant des prestations, imputables aux complications médicales survenues le 13 décembre 2005, versées à M.E... ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par jugement n° 1502484 du 21 mars 2017, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le centre hospitalier Annecy Genevois à verser à M. A... E...une indemnité de 56 605 euros et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère une indemnité de 15 781 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2015 et la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et a rejeté le surplus des conclusions des consorts E...et de la caisse primaire d'assurance maladie.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 31 mars 2017, M. A... E..., représenté par Me Scharr, avocat, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses demandes indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier Annecy Genevois à lui verser la somme de 949 084 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois les frais d'expertise et la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. E...soutient que :

- le centre hospitalier Annecy Genevois a manqué à ses obligations de prise en charge de l'urgence ophtalmologique ; il aurait fallu que lui soit prescrit un traitement spécifique contre le bacillus thuringiensis, originaire du fil de fer traumatique ; il existe à la fois une faute de l'urgentiste et un aléa thérapeutique, les médecins n'ayant pas pratiqué un traitement opportun de la bactérie, bacillus thuringiensis, résistante et véloce se trouvant sur le fil de fer ayant causé la plaie à son oeil ;

- la date de consolidation a été fixée au 10 janvier 2007 ; son déficit fonctionnel permanent a été fixé à 30 % à raison de la perte de son oeil (25 %) et d'autres signes fonctionnels tels le larmoiement, les céphalées et l'anxiété ; le préjudice esthétique est évalué à 1,5 sur une échelle de 7 ; sa perte de revenus après sa consolidation peut être estimée à 741 384 euros compte tenu d'un revenu moyen mensuel de 2 100 euros ; sa perte de revenus avant consolidation peut être évaluée à 25 200 euros compte tenu de ce revenu mensuel moyen de 2 100 euros ; le poste d'incidence professionnel peut être évalué à 45 000 euros ; son préjudice d'agrément s'élève à 38 000 euros eu égard à l'impossibilité de pratiquer un sport physique ou d'adresse et de ses difficultés à conduire un véhicule ; les souffrances endurées doivent être estimées à 22 000 euros ;

Par des mémoires, enregistrés les 23 mai 2017, 24 septembre 2018 et 7 janvier 2019, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, représentée par la SELARL BDL Avocats, demande à la cour de réformer ledit jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses demandes indemnitaires et de condamner le centre hospitalier Annecy Genevois à lui verser une indemnité de 192 259,31 euros, une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier Annecy Genevois doit être déclaré entièrement responsable du mauvais diagnostic de l'urgentiste et de la non-conformité aux règles de l'art de la prise en charge hospitalière de M.E... ;

- les prestations versées à M. E... et dont elle demande le remboursement s'élèvent à 26 576,20 euros au titre des frais hospitaliers, de 11 302,58 euros au titre des indemnités journalières, de 123 557,96 euros au titre de la rente accident du travail (comprenant les arrérages échus et le capital de la rente au 15 juin 2018) et de 21 822,57 euros au titre des frais futurs ;

- elle a droit à l'indemnité forfaitaire de gestion laquelle s'élève à 1 055 euros ;

- elle est habilitée à agir pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère en vertu d'une convention relative au transfert de l'activité recours contre tiers conclue entre la caisse nationale, la CPAM de l'Isère et la CPAM du Rhône ; le dernier signataire est la CPAM du Rhône le 13 juillet 2017, date à laquelle cette convention a produit tous ses effets ; la signature des parties marquent l'accord des parties à cette convention et lui donne qualité et intérêt à agir pour les dossiers de la CPAM de l'Isère pendant devant les juridictions administratives et judiciaires.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 avril 2018, 25 octobre 2018, 12 décembre 2018 et 15 janvier 2019, le centre hospitalier Annecy Genevois, représenté par Me Le Pado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut :

1°) au rejet de la requête de M. E...et des conclusions de la CPAM du Rhône ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la minoration de la somme ayant été allouée par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel permanent.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'aléa thérapeutique concerne l'ONIAM et n'est pas dirigé contre le centre hospitalier ;

- seule une perte de chance de 50 % peut être mise à la charge du centre hospitalier ;

- la somme allouée par les premiers juges à M. E...au titre du déficit fonctionnel permanent de 30% est trop élevée et devra être minorée en appel ;

- le tribunal administratif a correctement indemnisé le préjudice esthétique en en fixant le montant, après application du taux de perte de chance de 50 % à 1 000 euros ;

- le requérant ne démontre pas que, pour la perte de gains avant consolidation, la somme allouée de 11 155 euros, après application du taux de perte de chance et déduction des indemnités journalières, a été sous-estimée par les premiers juges;

- pour la perte de gains professionnels post-consolidation, le requérant n'établit pas son impossibilité à retravailler et ne justifie pas le revenu de référence sur lequel il fonde sa demande indemnitaire et par suite le quantum de sa demande ;

- le requérant, qui peut travailler, sous certaines réserves pour certains métiers et certains aménagements, ne démontre pas subir un préjudice d'incidence professionnelle et ce alors qu'il bénéficie d'une rente d'accident de travail annuelle devant lui être versée jusqu'à l'âge de sa retraite ;

- l'expert n'a pas retenu l'existence d'un préjudice de souffrances en lien avec un retard fautif dans le diagnostic ;

- il n'y a pas lieu de majorer la somme allouée au titre du préjudice d'agrément par les premiers juges ;

- la somme demandée par la CPAM n'est pas justifiée, l'attestation d'imputabilité du 23 mai 2015 du médecin conseil ne suffisant pas à apporter la preuve d'une relation directe, certaine et exclusive avec les fautes commises par le centre hospitalier ;

- la demande indemnitaire d'un organisme de sécurité de sécurité sociale supérieure à celle formulée en première instance est irrecevable en appel à l'exception des dépenses en lien direct et certain avec la faute engagées après le jugement de première instance ; en l'espèce, la CPAM ne peut pas demander le remboursement de la rente accident de travail pour la période antérieure au jugement du 21 mars 2017 ; faute d'accord du centre hospitalier, la CPAM ne peut pas demander le remboursement de l'ensemble du capital futur, seules les rentes annuelles effectivement versées peuvent être remboursées au fur et à mesure ; il y a lieu pour calculer les débours de la caisse susceptibles d'être remboursés de tenir compte de la perte de chance ; le poste relatif aux frais futurs n'est pas établi dans son principe et dans son montant ; la somme demandée pour le renouvellement de la prothèse est erroné ;

- les autres pièces produites quant aux débours et à l'attestation d'imputabilité ne sont pas suffisantes pour justifier des sommes demandées ;

- la CPAM du Rhône ne justifie pas venir aux droits de la CPAM de l'Isère et être habilitée pour agir au nom et pour le compte de la CPAM de l'Isère ; la convention produite n'a pas été datée par le directeur général de la CNAMTS, par le directeur et l'agent comptable de la CPAM de l'Isère et ne saurait produire tous ses effets ; il est impossible d'identifier " la dernière signature " de cette convention ;

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de certaines conclusions indemnitaires de la CPAM fondée sur le principe que les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à une somme qu'elles ne doivent pas : plus particulièrement, en l'absence d'aggravation et dès lors que l'étendue des conséquences dommageables était connue avant le jugement de 1ère instance et ne s'est pas révélée dans toute son ampleur postérieurement à ce jugement, irrecevabilité des conclusions d'appel de la CPAM qui dépassent la somme demandée en 1ère instance de 49 398,77 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cottier, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caraës, rapporteur public,

- et les observations de M.E....

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 décembre 2005 vers 12 heures 30, alors qu'il exerçait son activité professionnelle de maçon coffreur, M. E..., a été blessé à l'oeil droit par la projection d'un morceau de fil de fer. Il a été immédiatement conduit au service des urgences du centre hospitalier Annecy Genevois. A son arrivée dans cet établissement, vers 13 heures 25, le médecin urgentiste a diagnostiqué une érosion de cornée simple. Compte tenu de l'absence d'ophtalmologiste sur place, le médecin urgentiste a réalisé une occlusion de l'oeil et a demandé à M. E...de revenir à l'hôpital à 18 heures pour consulter un ophtalmologiste de garde. Lors de l'examen réalisé au retour de M. E...au centre hospitalier d'Annecy à 18h00, l'interne de garde en ophtalmologie a diagnostiqué une plaie perforante cornéenne, une très forte baisse de l'acuité visuelle et- une cataracte avec une rupture du sphincter de l'iris et a décidé d'une hospitalisation le soir même à 19 heures 30. Une antibiothérapie et un traitement antibiotique local ont été mis en place. Si la radiographie orbitaire pratiquée le lendemain n'a pas révélé la présence de corps étranger intraoculaire, une infection endoculaire a toutefois été suspectée. Devant l'absence d'amélioration de l'état de l'oeil de M.E..., les médecins du centre hospitalier Annecy Genevois ont décidé le 15 décembre 2005 de le transférer au centre hospitalier universitaire de Grenoble après avoir posé un diagnostic d'endophtalmie. Arrivé à 18 h 30 au centre hospitalier universitaire de Grenoble, M. E...a fait l'objet, vers 00h30, d'un prélèvement de vitré et bénéficié d'une injection intra-vitréenne d'antibiotiques. Le 16 décembre 2005, un autre prélèvement de vitré et une nouvelle injection intra-vitréenne ont été réalisés. A également été mise en place une trithérapie Vancocine + Fortum + Fungizone dans l'attente des résultats virologiques et bactériologiques. Une troisième injection intra-vitréenne a eu lieu le 19 décembre 2005. Les examens bactériologiques ont démontré la présence dans le vitré de l'oeil droit d'un bacillus thuringiensis, lequel est connu comme très agressif et est employé notamment comme insecticide. M. E...a quitté le centre hospitalier universitaire de Grenoble le 4 janvier 2006, avec une acuité visuelle de 0 sur l'oeil droit. Il a été ensuite pris en charge par un médecin ophtalmologiste de Bourgoin-Jallieu jusqu'au 10 janvier 2007. Ayant perdu la fonctionnalité totale de son oeil droit, M. E...a perçu des indemnités journalières de maladie à compter du 15 décembre 2015. Une rente d'accident du travail sur la base d'un taux d'incapacité permanente de 35 % lui a été attribuée le 10 janvier 2008 par la caisse primaire de Grenoble avec effet rétroactif à compter du 1er juillet 2006.

2. Par ordonnance du 25 octobre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a diligenté une expertise concernant les modalités de prise en charge de M. E... au centre hospitalier Annecy Genevois L'expert commis par le tribunal administratif a déposé son rapport d'expertise le 22 octobre 2014. Le tribunal administratif de Grenoble par jugement du 21 mars 2017 a retenu l'existence de fautes dans la prise en charge de M. E... par le centre hospitalier Annecy Genevois et a estimé que celles-ci étaient à l'origine d'un taux de perte de chance de 50 %. Il a condamné ledit centre hospitalier à verser une somme de 56 605 euros à M. E...en réparation des préjudices subis. Il a également mis à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère d'une somme de 15 781 euros, avec intérêts, au titre de ses débours, d'une somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et le paiement des frais d'expertise liquidés à la somme de 800 euros. M. E...fait appel de ce jugement du 13 décembre 2016 en tant qu'il a limité son indemnisation par le centre hospitalier Annecy Genevois à hauteur d'une perte de chance de 50 % et qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses demandes indemnitaires. Le centre hospitalier Annecy Genevois demande par la voie de l'appel incident la minoration de la somme accordée à M. E...au titre de son déficit fonctionnel permanent. La CPAM du Rhône, indiquant venir aux droits de la CPAM de l'Isère, demande, par la voie de l'appel incident, un rehaussement des sommes qui lui ont été accordées.

Sur la responsabilité du centre hospitalier Annecy Genevois :

3. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 22 octobre 2014 du professeur Burillon, que d'une part le diagnostic de plaie oculaire a été fait avec 5 heures de retard et, que d'autre part alors qu'une endophtalmie a été suspectée dès le 14 décembre 2005, soit 24 heures après l'apparition de la plaie, ni prélèvement ni antibiothérapie intra-vitréenne n'ont été entrepris par le centre hospitalier d'Annecy Genevois, la première injection intra-vitréenne ayant été faite par le centre hospitalier universitaire de Grenoble 60 heures après l'accident à la suite du transfert du patient dans ce second hôpital. Dans ces conditions, sont imputables au centre hospitalier d'Annecy Genevois deux fautes, par mauvais diagnostic de l'urgentiste et par non-conformité aux règles de l'art des soins devant être menés lors de l'hospitalisation. Il résulte également des données de l'expertise, non utilement contestées par le requérant, que c'est lors de la projection du fil de fer dans l'oeil droit du requérant et de la plaie ainsi créée sur son oeil, laquelle constitue un accident du travail, que le bacillus thuringiensis présent sur ledit fil de fer a pénétré dans son oeil droit et a provoqué l'infection véloce et grave qui a conduit à la perte de la fonctionnalité de l'oeil droit. Par suite, ni cette plaie et ni cette contamination infectieuse ne résultent d'un acte de soin. La seule circonstance invoquée par le requérant que cette infection ait été provoquée par une bactérie particulièrement agressive et résistante ne saurait permettre d'établir en l'espèce l'existence d'un accident médical non fautif susceptible de constituer un aléa thérapeutique et qui viendrait se cumuler avec les deux fautes de l'hôpital portant le mauvais diagnostic de l'urgentiste et sur le retard à mettre en place une antibiothérapie. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, aucune indemnisation fondée sur les conséquences d'un aléa thérapeutique ne saurait, être mis à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois. En l'absence d'un accident médical non fautif directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soin, la solidarité nationale ne saurait en l'espèce être engagée.

4. D'autre part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée par le juge à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, non contesté sur ce point par le requérant que les deux fautes retenues - le mauvais diagnostic initial retardant la mise sous antibiothérapie de 5 heures et l'absence de prélèvement et d'injection intra-vitréenne d'antiobiotiques 24 heures après l'accident de travail - ont entraîné pour M. E...une perte de chance d'échapper à des séquelles moins lourdes. Dans les circonstances de l'espèce, la part de responsabilité du service hospitalier correspondant à la perte de chance pour l'intéressé d'éviter les complications liées à une telle infection et à la perte de fonctionnalité de son oeil droit doit être fixée à une fraction de 50 % des différents chefs de préjudices subis. Il y a lieu dès lors, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois la réparation de cette fraction des préjudices subis par M. A...E....

Sur la recevabilité des conclusions de la CPAM du Rhône :

6. Le centre hospitalier Annecy Genevois oppose une fin de non-recevoir aux demandes indemnitaires formulées par la CPAM du Rhône au motif que celle-ci ne démontre pas venir aux droits de la CPAM de l'Isère par la production d'une convention signée entre la caisse nationale d'assurance maladie, les deux caisses primaires et des agents comptables de ces établissements dès lors que cette convention " relative à l'activité recours contre tiers " ne comporterait pas pour chaque signataire la date de signature. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'en application des clauses figurant dans cette convention lesquelles prévoient que " la présente convention est conclue pour une durée d'un an. A l'issue de cette période elle continue ses effets par tacite reconduction. La convention est signée par le directeur général de la CNAMTS puis les directeurs et agents comptables des caisses. Elle produit tous ses effets à compter de la dernière signature ". Il résulte également de l'instruction que l'agent comptable de la caisse primaire du Rhône, qui est le dernier signataire de cette convention, a signé celle-ci le 13 juillet 2017. Par suite, à compter du 13 juillet 2017, la CPAM du Rhône doit être regardée comme venant aux droits de la CPAM de l'Isère et disposer d'un intérêt à agir pour les litiges indemnitaires concernant la CPAM de l'Isère dont les prestations versées et à verser pour le compte de M.E.... Par suite, la fin de non-recevoir du centre hospitalier Annecy Genevois relative à l'absence d'intérêt à agir de la CPAM du Rhône doit être rejetée.

7. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

8. La CPAM du Rhône est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. La CPAM du Rhône est également recevable à augmenter en appel le montant de ses prétentions par rapport au montant de l'indemnité demandée devant les premiers juges lorsque l'étendue réelle des conséquences dommageables d'un même fait n'est connue que postérieurement au jugement de première instance ou que le dommage s'est aggravé après la première instance.

9. Toutefois, d'une part, comme l'oppose le centre hospitalier Annecy Genevois, la CPAM de l'Isère ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés au titre de la rente accident de travail antérieurement au jugement du tribunal administratif de Grenoble rendu le 21 mars 2017, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, venant aux droits de la CPAM de l'Isère, n'est plus recevable à le demander devant le juge d'appel. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de M. E...se soit aggravé postérieurement au jugement de première instance. Compte tenu de la date à laquelle la CPAM de l'Isère a accordé une rente d'accident de travail à M.E..., à savoir le 10 janvier 2008 avec un effet rétroactif au 1er juillet 2006 ainsi que du rachat partiel de la rente le 12 octobre 2010, actes ayant eu lieu antérieurement au dépôt du rapport de l'expert judiciaire et au jugement du 21 mars 2017 du tribunal administratif de Grenoble, l'étendue réelle des conséquences dommageables pour la CPAM en ce qui concerne la rente accident du travail ne saurait être regardée comme n'ayant été connue que postérieurement au jugement de première instance. Hormis le poste de dépenses de santé lié aux consultations médicales et aux changements de prothèse oculaire, les conclusions d'appel de la CPAM ne sont ainsi pas recevables au-delà des sommes demandées en première instance de 49 398,77 euros.

10. Dans les limites définies au point 9 et sous réserve du principe de préférence à la victime, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois, dans le cadre de la perte de chance de 50 % lui étant imputable, la réparation de 50 % des débours et prestations pris en charge par la CPAM de l'Isère en lien direct avec l'infection et la perte de la fonctionnalité de l'oeil droit de M.E....

Sur les préjudices de M. A...E...et les droits de la CPAM du Rhône :

11. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que l'état de santé de M. E...doit être regardé comme consolidé au 10 janvier 2007.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Sur les dépenses de santé :

Avant consolidation :

12. M. E...ne fait état d'aucun reste à charge. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône justifie, par les pièces produites, avoir exposé, du fait des manquements du centre hospitalier Annecy Genevois dans la prise en charge de M.E..., des frais hospitaliers à hauteur de 26 576 euros pour la période du 15 décembre 2005 au 4 janvier 2006. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, il y a lieu de mettre à la charge dudit centre hospitalier une somme de 13 288 euros à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Entre la date de consolidation et la date de l'arrêt :

13. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône justifie, par les pièces produites notamment en appel suite aux mesures d'instruction menées par la cour de frais liés à une consultation annuelle spécialisée de 25 euros soit une somme de 300 euros (12 fois 25). En ce qui concerne les frais de pose et de remplacement d'une prothèse oculaire, comme l'oppose le centre hospitalier, le renouvellement de celle-ci n'a lieu que tous les 6 ans. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu sur la base des derniers débours transmis par la CPAM sur un montant initial de 1 267,50 euros et de deux renouvellements d'évaluer les frais liés à cette prothèse à 3 802,50 euros. Compte tenu de l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier Annecy Genevois fixée à 50 %, il y a lieu de mettre à la charge dudit centre hospitalier une somme arrondie à 2 051 euros - (300+3802,5)/2 - à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Après la date de l'arrêt :

14. Pour la période postérieure à l'arrêt, les séquelles de la perte de fonctionnalité de l'oeil droit de M. E...entraineront des dépenses de santé consistant en des consultations médicales spécialisées en ophtalmologie et au renouvellement de sa prothèse oculaire tous les six ans. Toutefois, eu égard aux dispositions de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Le centre hospitalier d'Annecy Genevois s'oppose à ce qu'un capital soit versé à la caisse primaire d'assurance maladie. Dès lors, en l'absence d'accord dudit centre hospitalier pour un remboursement du capital représentatif des frais futurs de la CPAM, la demande de cette caisse tendant à se voir accorder un capital représentatif de ces dépenses futures de santé ne peut être accueillie. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, il y a ainsi seulement lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois le remboursement à la caisse primaire d'assurance maladie de tels débours au fur et à mesure qu'ils seront exposés dans la limite de 50 % de la consultation annuelle de 23 euros et du renouvellement tous les six ans de la prothèse oculaire et ce sur présentation de justificatifs annuels par ladite caisse ;

Sur la perte de revenus et l'incidence professionnelle :

15. En application, d'une part, des dispositions de l'article L.376-1 dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

16. D'autre part, la rente d'accident du travail prévue par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, rendu applicable aux salariés des professions agricoles par l'article L. 751-8 du code rural et de la pêche maritime, et la rente d'accident du travail servie aux non-salariés agricoles sur le fondement de l'article L. 752-6 de ce code doivent, en raison de la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui leur est assignée par les dispositions qui les instituent et de leur mode de calcul, appliquant le taux d'incapacité permanente au salaire de référence défini par l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale ou au gain forfaitaire annuel mentionné à l'article L. 752-5 du code rural et de la pêche maritime, être regardées comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de son incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.

17. Le principe de la réparation intégrale du préjudice doit conduire le juge à déterminer, au vu des éléments de justification soumis à son appréciation, le montant de la perte de revenus dont la victime ou ses ayants droit ont été effectivement privés du fait du dommage qu'elle a subi. Ce montant doit en conséquence s'entendre comme correspondant aux revenus nets perdus par elle.

Avant consolidation :

18. Pour la période d'incapacité temporaire, il y a lieu pour la cour d'évaluer les pertes de gains professionnels subis par M. E...avant compensation par les indemnités journalières et par la rente accident de travail, de mettre compte tenu du taux de perte de chance 50 % du montant de ces perte de gains professionnels à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois, accorder à M. E...une indemnité couvrant les pertes non compensées par les indemnités journalières et par la rente accident de travail et accorder, sous réserve d'une demande indemnitaire recevable, le solde à la caisse au titre des différentes indemnités versées.

19. M. E...allègue que son revenu mensuel moyen net étant de 2 100 euros avant son accident du travail sa perte de revenus professionnel s'élève à 25 200 euros entre le 13 décembre 2005, date de son accident et le 10 janvier 2007, date de la consolidation retenue par l'expert commis par le tribunal administratif. Toutefois, il ressort des mentions figurant sur l'attestation produite par son employeur, la société IHL Travail temporaire l'employant depuis 2003, que le revenu mensuel moyen net de M. E...sur l'année 2005 peut être estimé à la somme de 2 006 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que pendant cette période de 13 mois, M. E... aurait dû voir sa rémunération augmenter de manière certaine et aurait connu un préjudice d'incidence professionnelle. Dès lors, compte tenu de ce salaire mensuel moyen net de 2 006 euros, le montant que M. E...aurait dû percevoir au cours de cette période du fait de son activité salariée, s'il n'avait pas été accidenté, sera justement évalué, après déduction de la période d'une tentative de reprise d'activité en juin/ juillet 2006, à la somme de 25 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 % mis à la charge du centre hospitalier, la somme maximale des pertes pouvant être mis à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois est de 12 500 euros. Il résulte de l'instruction et notamment des attestations de paiement par la CPAM produites en première instance que le montant des indemnités journalières versées entre janvier 2006 et le 8 janvier 2007 doit être évalué à 11 032 euros. Il résulte également de l'instruction que M. E...a perçu une rente accident du travail à compter du 1er juillet 2006 d'un montant annuel de 3 381 euros soit une somme de 1 785 euros jusqu'à la date de consolidation. M. E... ayant ainsi perçu 12 187 euros sur la période considérée, sa perte de revenus s'élève à 12 813 euros. Il y a par suite lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale une somme de 12 500 euros à M. E...en réparation du préjudice subi (on limite la somme au plafond de 12 500 euros et on ne donne pas 12 813). Aucun solde n'existant, aucune somme ne peut être allouée à la CPAM du Rhône.

Entre la consolidation et l'arrêt :

20. M. E...indique n'avoir pas repris d'activité professionnelle depuis le 29 février 2008 et demande que le centre hospitalier Annecy Genevoise soit condamné à compenser sa perte de revenus salariés à hauteur de 2 100 euros par mois, montant qu'il indique avoir perçu dans le cadre de son activité de maçon-coffreur en 2005 avant cet accident du travail. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise judiciaire réalisée en 2014 qu'à la suite de la perte de la fonctionnalité de son oeil droit et des séquelles afférentes, notamment de larmoiements, tout travail en milieu venteux et poussiéreux est contre-indiqué à M.E.... L'expert conclut sans être contesté que cette perte visuelle entraine une fatigabilité accrue pour certaines activités nécessitant une attention intense. Il ressort de tels éléments et n'est d'ailleurs pas contesté que le requérant n'est plus en capacité d'exercer son métier de maçon-coffreur, son essai de reprise professionnelle en juin 2006 ne s'étant pas révélé probant et qu'il a perdu des possibilités de reconversion sur des activités imposant un travail dans des milieux poussiéreux et venteux ou imposant une attention visuelle soutenue. Toutefois, il ressort de cette expertise laquelle fixe à 30 % son taux de déficit permanent résultant de la perte fonctionnelle de son oeil et des séquelles afférentes mais également de l'analyse du Dr B...médecin du travail évoquant en juillet 2006 la possibilité de reclassement notamment dans un travail en intérieur et d'un classement COTOREP lui permettant de mener des démarches d'emplois y compris sur des postes aménagés ainsi que des documents transmis par l'intéressé, suite aux mesures d'instruction menées par la cour, concernant la perception du RSA et le contrat établi en janvier 2019 le département de l'Isère sur des démarches à mener par le requérant en vue de se faire reconnaître la qualité de travailleur handicape, que M. E...que ce soit à compter du 10 janvier 2007, date de sa consolidation, alors qu'il était âgé de 29 ans ou à compter du 29 février 2008 n'était toutefois pas inapte définitivement à tout travail. Dans les circonstances de l'espèce, et alors au demeurant qu'il résulte des mesures d'instruction menées par la cour que le requérant a perçu différentes sommes de la part du département de l'Isère au titre du revenu de solidarité active en plus de sa rente d'accident du travail entre la date de consolidation et l'arrêt, le requérant n'établit pas de lien de causalité directe entre la perte de salaire alléguée de 2 100 euros par mois, montant qu'il indique avoir perçu en 2005 en qualité de maçon-coffreur et la perte de fonctionnalité de son oeil droit et par suite avec la perte de chance imputable au centre hospitalier Annecy Genevois. Suite aux mesures d'instruction menées par la cour relatives notamment aux montants des revenus de solidarité active perçus dans le cadre de trois autres contrats RSA avec le département depuis le 29 février 2008, le requérant, par les pièces produites et en l'absence d'autres précisions probantes sur ses différents revenus ou allocations ne justifie pas du quantum de pertes de revenus professionnels. En l'état de l'instruction, le requérant ne justifie pas de pertes de revenus professionnels exclusivement en lien avec la perte de son oeil droit et les séquelles afférentes notamment de larmoiements. En revanche, il sera fait une juste appréciation de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa fatigabilité accrue à exercer certaines activités impliquant la lecture de documents ou de visualisation sur écran et de la nécessité de réaliser une reconversion professionnelle liée à la perte de fonctionnalité de son oeil droit en fixant pour cette période à la somme de 60 000 euros le montant de l'incidence professionnelle subi par M.E.... Compte tenu du taux de perte de chance de 50 % imputable au centre hospitalier Annecy Genevois, le montant maximal des pertes pouvant être mis à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois est de 30 000 euros. Il résulte de l'instruction que pour la période comprise entre la date de consolidation et l'arrêt et au regard notamment d'un rachat partiel de rente par le requérant le 12 octobre 2010 lequel a conduit à une minoration des rentes d'accident du travail versées postérieurement, M. E...a perçu 50 652 euros au titre de la rente accident du travail. Il y a lieu par suite de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois une somme de 9 348 euros (60 000-50652) à verser à M. E.... Le solde de 20 652 euros (30 000-9348) devra être versé par ledit centre hospitalier à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Après l'arrêt :

21. Le requérant évoque sans autre précision d'éventuelles pertes de revenus futurs jusqu'à son décès liées à l'absence de reprise d'une activité professionnelle et demande à être indemnisé sur la base d'une perte de revenus mensuels nets de 2 100 euros. Le centre hospitalier Annecy Genevois oppose que ce préjudice n'est qu'éventuel dès lors que le requérant peut travailler notamment sur des postes aménagés et ne justifie ni du principe ni du quantum de la somme demandée. Suite aux mesures d'instruction menées par la cour, il ressort notamment du dernier contrat RSA conclu avec le département de l'Isère pour la période allant du 21 janvier 2019 au 20 juillet 2019 concernant les démarches devant être menées par M. E...pour se voir reconnaître la qualité de travailleur handicapé afin de l'aider dans ses démarches d'emploi, que ce dernier qui conserve une capacité de travail n'est pas, par suite de son accident du travail, inapte à l'exercice de toute activité professionnelle. Dans les circonstances de l'espèce, et alors que M. E...ne se prévaut d'aucune aggravation de son déficit fonctionnel permanent depuis la date de consolidation, il ne résulte pas de l'instruction que la rente d'accident de travail devant être versée au requérant par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône jusqu'à son décès d'un montant de 2 806,18 euros par an depuis le 1er avril 2018 ne couvrirait pas, pour les séquelles directement en lien avec la perte de fonctionnalité de son oeil droit, ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle qui n'aurait pas été indemnisée au point 20 de cet arrêt. Dans l'état de l'instruction, la demande indemnitaire de M. E... relative à la perte de revenus professionnels et à l'incidence professionnelle après l'arrêt doit par suite être rejetée. Le centre hospitalier Annecy Genevois s'opposant à ce qu'un capital puisse être versé à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône en remboursement des débours liés au versement d'une rente d'accident du travail, il y a lieu compte tenu du taux de perte de chance de 50 % de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois le remboursement de 50 % des débours annuels d'une telle rente dans la limite d'une somme arrondie à 13 408 euros, montant plafonné comme indiqué aux points 9 et 10 eu égard à la somme globale demandée en première instance par la CPAM de l'Isère dès lors que ladite caisse connaissait avant le jugement de première instance l'existence de cette créance " rente accident du travail " et l'étendue de celle-ci.

En ce qui concerne les préjudices personnels de M.E... :

22. Le centre hospitalier d'Annecy Genevois conteste le montant alloué par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel permanent en indiquant que les séquelles de M. E... ont été surévaluées par ceux-ci. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise qu'à compter du 10 janvier 2007, date de la consolidation retenue par l'expert, que M. E... conserve une incapacité permanente partielle, consécutive à la perte fonctionnelle de l'oeil droit et reste affecté de larmoiements, céphalées et anxiété. L'expert commis par le tribunal administratif de Grenoble a évalué le taux de déficit fonctionnel permanent à 30 %. Il résulte également de l'instruction que la rente d'accident de travail a été calculée en 2008 sur une base d'une incapacité permanente partielle de 35 %. Dans les circonstances de l'espèce et de la gène liée à la perte fonctionnelle de cet oeil et des séquelles de larmoiement, de céphalées et d'anxiété affectant M.E..., il y a lieu de retenir un taux de déficit fonctionnel permanent de 30 %. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 80 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 % imputable au centre hospitalier, il y a lieu de mettre de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois une somme de 40 000 euros à verser à M.E....

23. Si certaines douleurs physiques et psychologiques sont inhérentes à l'accident du travail, il sera fait une juste appréciation des souffrances liées directement aux fautes du centre hospitalier dans le cadre de sa prise en charge aux urgences et notamment de l'erreur de diagnostic sur la gravité de la plaie et sur les risques d'infection puis lors de son hospitalisation en en fixant le montant à 2 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, il y a lieu de mettre de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois une somme de 1 000 euros à verser à M. E...au titre de chef de préjudice.

24. L'expert mentionne sans être utilement contredit que M. E... a subi un préjudice esthétique léger de 1,5 sur 7. Le requérant n'apportant pas d'éléments supplémentaires en appel pour justifier d'un préjudice devant être calculé selon lui sur la base de 2 500 euros, il y a lieu de maintenir l'évaluation retenue par les premiers juges d'un tel chef de préjudice à hauteur de 2 000 euros qui n'apparait ni sous-évaluée ni surestimée. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, le centre hospitalier Annecy Genevois versera une somme de 1 000 euros à M. E...en réparation de ce préjudice.

25. M. E...justifie qu'avant son accident, il pratiquait en club le muay-thai. Du fait de son déficit fonctionnel de l'oeil droit et des précautions nécessaires liées à son larmoiement, il résulte de l'instruction qu'il ne peut plus pratiquer cette activité sportive. La perte de son oeil le pénalise également pour conduire son automobile et pour participer à certains loisirs imposant de la précision visuelle. Il sera ainsi fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à 7 000 euros et en mettant ainsi, compte tenu du taux de perte de chance, à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois une somme de 3 500 euros;

26. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier d'Annecy Genevois est débiteur à l'égard de M. E...d'une somme de 67 348 euros (12 500 + 9 348 + 40 000 + 1 000 + 1 000 + 3 500) dont il conviendra de déduire la provision de 5 000 euros déjà mise à sa charge . Ledit centre hospitalier est débiteur à l'égard de la CPAM du Rhône d'une somme de 15 339 euros au titre des débours de santé et d'une somme de 20 652 euros au titre du remboursement de la rente accident du travail jusqu'à l'arrêt. Le centre hospitalier Annecy Genevois est également condamné à rembourser à la CPAM du Rhône, sur présentation de justificatifs annuels, 50 % du montant des consultations spécialisées en ophtalmologie dans la limite maximale de 23 euros par an, 50 % du montant du renouvellement tous les 6 ans de la prothèse oculaire et 50 % de la rente annuelle d'accident du travail pour un montant plafonné pour celle-ci à la somme de 13 048 euros. Par suite M. E...et la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a limité leur indemnisation par le centre hospitalier Annecy Genevois respectivement aux sommes de 56 056 euros et de 15 781 euros et que d'autre part doivent être rejetées les conclusions d'appel incident dudit centre hospitalier par lesquelles ce dernier demande une minoration des sommes mises à sa charge.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

27. La somme devant lui être versée dans le cadre de cette instance étant supérieure à celle allouée par les premiers juge, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance malade de l'Isère, est fondée à demander l'actualisation de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, fixée en dernier lieu à 1 080 euros par l'arrêté interministériel du 27 décembre 2018. Il y a donc lieu de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois.

Sur les dépens :

28. Les frais de l'expertise ordonnée le 25 octobre 2010 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, liquidés et taxés à la somme de 800 euros, doivent être mis à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois, partie perdante.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. . Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois une somme de 1 500 euros au profit de M. E...et une somme de 1 500 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité de 56 056 euros que le centre hospitalier Annecy Genevois a été condamnée à verser à M. E...par le jugement du 21 mars 2017 du tribunal administratif de Grenoble est portée à 67 348 euros dont il conviendra de déduire la provision de 5 000 euros mise à sa charge.

Article 2 : L'indemnité de 15 781 euros que le centre hospitalier Annecy Genevois a été condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère par le jugement du 21 mars 2017 du tribunal administratif de Grenoble est portée à 35 991 euros. Pour les débours postérieurs à l'arrêt, ledit centre hospitalier est également condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, sur présentation de justificatifs annuels, 50 % du montant des consultations spécialisées en ophtalmologie dans la limite maximale de 23 euros par an, 50 % du montant du renouvellement tous les 6 ans de la prothèse oculaire et 50 % de la rente annuelle d'accident du travail pour un montant plafonné pour celle-ci à la somme de 13 048 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier Annecy Genevois versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 4 : Les dépens, qui comprennent les frais de l'expertise ordonnée le 25 octobre 2010 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, liquidés et taxés à la somme de 800 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier Annecy Genevois.

Article 5 : Le centre hospitalier Annecy Genevois versera à M. E...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le centre hospitalier Annecy Genevois versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Les articles 1er et 2 du jugement du 21 mars 2017 du tribunal administratif de Grenoble sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 8 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Annecy Genevois devant la cour sont rejetées.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et au centre hospitalier Annecy Genevois.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2019 à laquelle siégeaient :

M. Drouet, président de la formation de jugement,

Mme Cottier et MmeD..., premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 23 mai 2019.

1

14

N° 17LY01368


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY01368
Date de la décision : 23/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. DROUET
Rapporteur ?: Mme Cécile COTTIER
Rapporteur public ?: Mme CARAËS
Avocat(s) : BDL AVOCATS - ME BARIOZ ET ME PHILIP DE LABORIE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-05-23;17ly01368 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award