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20/12/2018 | FRANCE | N°16LY00659

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 16LY00659


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Université Joseph Fourier-Grenoble I, aux droits de laquelle est venue l'Université Grenoble-Alpes, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, la SAS Apave Sudeurope, la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, et la SARL Favre à lui verser une somme totale de 214 632,48 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait d

'un surcoût important des travaux et de l'allongement de la durée d'un ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Université Joseph Fourier-Grenoble I, aux droits de laquelle est venue l'Université Grenoble-Alpes, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, la SAS Apave Sudeurope, la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, et la SARL Favre à lui verser une somme totale de 214 632,48 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait d'un surcoût important des travaux et de l'allongement de la durée d'un chantier liés à la découverte d'une pollution à 1'amiante.

Par un jugement n° 1502366 du 23 décembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a notamment, d'une part, rejeté les conclusions présentées par l'Université Grenoble-Alpes, et d'autre part, mis à la charge définitive de cette dernière les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 14 755,94 euros toutes taxes comprises.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2016, l'Université Grenoble Alpes, représentée par son président en exercice, et par la SELARL CDMF - Avocats, Affaires publiques, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1502366 du 23 décembre 2015 ;

2°) de condamner, in solidum, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, la SAS Apave Sudeurope, la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, et la SARL Favre, à lui verser une somme de 179 458,60 euros hors taxes, soit 214 632,48 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice, d'ordre financier, qu'elle estime avoir subi, lié au surcoût important des travaux et à l'allongement de la durée du chantier consécutivement à la pollution par l'amiante des locaux du bâtiment dit Jean Roget, suite à des travaux de démolition réalisés dans le cadre du projet de restructuration de ce bâtiment, et ce, avec les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge, in solidum, de la SAS Apave Sudeurope, de la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, et de la SARL Favre, une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle n'était pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la SAS Apave Sudeurope, tant au titre de sa mission de diagnostic de recherche d'amiante que de sa mission de contrôleur technique, dès lors que cette société, professionnel du diagnostic, ainsi que l'a relevé l'expert, a commis trois manquements à ses obligations contractuelles, puisque d'une part, elle a proposé une prestation limitée à trois matériaux alors que le décret n° 2001-840 du 13 septembre 2001 modifiant les décrets n° 96-97 et n° 96-98 du 7 février 1996 a défini un programme de repérage étendu à d'autres matériaux ou produits, le tribunal ne pouvant estimer que cette société n'avait pas à se référer aux normes en vigueur, d'autre part, le rapport qu'elle a remis le 24 janvier 2002 était lacunaire, n'étant notamment pas assez précis sur la nature exacte des matériaux contenant de l'amiante, malgré les dispositions de l'arrêté du 22 août 2002, celles de l'article 10-3 du décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié et celles de l'article R. 1334-26 du code de la santé publique, et en outre, elle a manqué à son obligation de conseil, compte tenu des conditions dans lesquelles elle a exercé sa mission ;

- le comportement de la SAS Apave Sudeurope est, ainsi que l'a relevé l'expert, directement à l'origine du sinistre, à savoir de la pollution du chantier par de l'amiante ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle n'était pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, dès lors que cette société, chargée d'une mission de coordination pour la sécurité et la protection de la santé de niveau 1, ainsi que l'a relevé l'expert, a commis des négligences consistant en un manque de réactivité lors de la première découverte de fibrociment dans les gravats de démolition, au regard des stipulations du cahier des clauses techniques particulières, ce qui aurait permis de limiter l'étendue de la pollution, le tribunal ne pouvant estimer que tel n'aurait pas été le cas compte tenu des conclusions de l'expert ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle n'était pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la SARL Favre, dès lors que cette société, à laquelle avait été confié le lot n° 1 dit " Démolition et déconstruction " de l'opération, cette dernière bénéficiant d'un sous-traitant chargé des prestations relatives au désamiantage, a bien engagé sa responsabilité à son égard, contrairement à ce qu'à retenu l'expert, puisque d'une part, la destruction par cette dernière lors des opérations de démolition des portes doublées en Pical et des sorbonnes amiantifères est à l'origine des désordres, d'autre part, elle avait connaissance de la présence d'amiante dans ces portes Pical, en outre, elle n'a pas respecté les dispositions prévues au plan de retrait par son sous-traitant, et enfin, la présence de différents corps de métier ne peut l'exonérer de sa responsabilité, compte tenu du lot dont elle était titulaire, le tribunal ne pouvant estimer que la faute n'était pas démontrée, au regard des éléments issus de l'instruction ;

- elle justifie d'un préjudice financier en lien direct avec les fautes qu'elle invoque ayant entraîné une pollution des locaux par de l'amiante, d'un montant de 179 458,60 euros hors taxes, soit 214 632,48 euros toutes taxes comprises, correspondant à un surcoût du chantier au regard des travaux supplémentaires de désamiantage qui ont dû être réalisés, ainsi qu'à l'allongement de la durée du chantier ayant entraîné des retards, soit, en premier lieu, au montant de l'avenant n° 2 conclu avec la SARL Favre pour un montant de 6 518,02 euros hors taxes, en deuxième lieu, au montant du marché complémentaire passé avec le sous-traitant de cette dernière, soit pour une somme totale de 79 675,53 euros hors taxes, en, troisième lieu, à une analyse réalisée par un laboratoire pour un montant de 4 954,56 euros hors taxes, en quatrième lieu, à la passation d'un avenant n° 3 avec l'entreprise Tomai pour un montant de 17 248,95 euros hors taxes, en cinquième lieu, à une mission complémentaire confiée au titulaire de la mission ordonnancement, pilotage et coordination, pour un montant de 6 061,54 euros hors taxes, en sixième lieu, à l'indemnisation de l'entreprise titulaire du lot n° 12 dit " chauffage ventilation conditionnement d'air ", suite à l'allongement du délai initial des travaux, pour un montant de 60 000 euros hors taxes, en septième lieu, à l'indemnisation de l'entreprise Dumolard pour un montant de 5 000 euros hors taxes ;

- la SAS Apave Sudeurope, la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, et la SARL Favre, ne sauraient contester le montant de l'indemnisation qu'elle sollicite, au regard des conclusions du rapport d'expertise, dès lors que, d'une part, s'agissant de la démolition des sorbonnes, le rapport remis par la SAS Apave Sudeurope n'était pas suffisamment précis et circonstancié, et d'autre part, s'agissant des portes Pical, là encore, le rapport remis par la SAS Apave Sudeurope n'était pas suffisamment précis et circonstancié, et la dépose de ces portes par la SARL Favre a été inconsidérée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2016, la SAS Apave Sudeurope, représentée par ses dirigeants légaux en exercice, et par la SCP Maurice, A...et Vacheron, MeA..., conclut :

1°) A titre principal, au rejet des conclusions présentées par l'Université Grenoble-Alpes ;

2°) A titre subsidiaire, à ce que le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble-Alpes soit limité au maximum à une somme de 126 465,07 euros hors taxes ;

3°) A titre subsidiaire, à ce que la SAS Dekra Industrial Holding et la SARL Favre soient condamnées à la garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre ;

4°) A ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Université Grenoble-Alpes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, les moyens soulevés par l'Université Grenoble Alpes, tirés, d'une part, de ce que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle ne pouvait rechercher sa responsabilité contractuelle, et d'autre part, de ce que son comportement est directement à l'origine du sinistre en cause, ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble Alpes ne saurait être supérieur à une somme de 126 465,07 euros hors taxes, laquelle a été retenue par l'expert ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la SAS Dekra Industrial Holding, dès lors que cette dernière a commis une faute, laquelle a été relevée par l'expert, consistant en un manque de réactivité lors de la première découverte de morceaux de fibrociment dans les gravats de démolition ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la SARL Favre, dès lors que cette dernière a commis une faute, laquelle a été relevée par l'expert, en ayant procédé à la démolition sans avoir respecté le plan de retrait, alors qu'elle avait connaissance de la présence d'amiante depuis le 3 février 2003.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2017, la SAS Dekra Industrial Holding, venant aux droits de la société Norisko coordination, représentée par ses dirigeants légaux en exercice, et par la SCP Comolet - Mandin et Associés, MeD..., conclut :

1°) A titre principal, au rejet des conclusions présentées par l'Université Grenoble-Alpes ;

2°) A titre subsidiaire, à ce qu'une part de responsabilité de l'Université Grenoble Alpes de 50 % soit imputée sur le montant du préjudice subi par cette dernière ;

3°) A titre subsidiaire, à ce que le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble Alpes soit limité au maximum à une somme de 151 252,23 euros toutes taxes comprises ;

4°) A titre subsidiaire, à ce qu'une éventuelle condamnation prononcée à son encontre ne le soit pas in solidum ;

5°) A titre subsidiaire, à ce que la SAS Apave Sudeurope et la SARL Favre soient condamnées, in solidum, à la garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre ;

6°) A ce qu'une somme de 12 000 euros soit mise à la charge de l'Université Grenoble Alpes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, le moyen soulevé par l'Université Grenoble Alpes, tiré de ce que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle ne pouvait rechercher sa responsabilité contractuelle, n'est pas fondé ;

- à titre principal, il n'existe pas, en tout état de cause, de lien de causalité entre la faute qu'elle aurait commise, que l'Université Grenoble Alpes invoque à son encontre, et le préjudice dont se prévaut cette dernière ;

- à titre subsidiaire, l'Université Grenoble Alpes a commis des fautes de nature à l'exonérer à hauteur de 50 % de sa responsabilité contractuelle, dès lors, ainsi que l'a relevé l'expert, d'une part, elle n'a pas communiqué le dossier technique aux bureaux d'études en charge de la conception et de l'ordonnancement, devant être composé de deux diagnostics complétés par le dossier des ouvrages exécutés, relatif à une opération de rénovation précédente, d'autre part, elle s'est contentée du devis établi par la SAS Apave Sudeurope pour un montant de 412 euros hors taxes, dont le coût était anormalement bas, en outre, elle n'a pas communiqué à cette dernière des informations relatives à de précédents travaux au stade de la consultation pour diagnostic qui lui aurait permis d'étoffer sa prestation, de plus, elle n'a pas émis d'observations sur le rapport établi par la SAS Apave Sudeurope, alors qu'elle avait connaissance de l'existence d'autres risques ;

- à titre subsidiaire, le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble-Alpes ne saurait être supérieur à une somme de 151 252,23 euros toutes taxes comprises, laquelle a été retenue par l'expert ;

- à titre subsidiaire, aucune condamnation in solidum ne saurait être prononcée en l'espèce, dès lors que les missions des intéressées étaient distinctes, et qu'elles n'ont pu concourir à la réalisation de l'entier dommage ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la SAS Apave Sudeurope, dès lors que cette dernière a commis une faute, laquelle a été relevée par l'expert, consistant en l'exercice défaillant de sa mission de diagnostic du risque lié à la présence d'amiante ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la SARL Favre, dès lors que cette dernière a commis des fautes, d'une part, en ayant fait démolir, par son sous-traitant, les portes Pical, alors qu'elle connaissait la présence d'amiante dans ces matériaux, et d'autre part, en n'ayant pas respecté le plan de retrait prévu par son sous-traitant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2017, la SARL Favre, représentée par son représentant légal en exercice, et par la SCP HDPR, Hartemann - De Cicco, Pichoud, conclut :

1°) A titre principal, au rejet des conclusions présentées par l'Université Grenoble-Alpes ;

2°) A titre subsidiaire, à ce qu'une part de responsabilité de l'Université Grenoble-Alpes soit imputée sur le montant du préjudice subi par cette dernière ;

3°) A titre subsidiaire, à ce que le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble-Alpes soit limité au maximum à une somme de 151 252,23 euros toutes taxes comprises ;

4°) A titre subsidiaire, à ce que la SAS Apave Sudeurope et la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, soient condamnées à la garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre ;

5°) A titre subsidiaire, à ce que les conclusions aux fins d'appel en garantie présentées à son encontre par la SAS Apave Sudeurope et la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, soient rejetées ;

6°) A ce qu'une somme de 12 000 euros soit mise à la charge de l'Université Grenoble-Alpes, de la SAS Apave Sudeurope et de la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, le moyen soulevé par l'Université Grenoble Alpes, tiré de ce que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu'elle ne pouvait rechercher sa responsabilité contractuelle n'est pas fondé ;

- à titre subsidiaire, l'Université Grenoble Alpes a commis des fautes de nature à l'exonérer de sa responsabilité contractuelle, dès lors, ainsi que l'a relevé l'expert, d'une part, elle n'a pas communiqué le dossier technique aux bureaux d'études en charge de la conception et de l'ordonnancement, devant être composé de deux diagnostics complétés par le dossier des ouvrages exécutés, relatif à une opération de rénovation précédente, d'autre part, elle n'a pas matérialisé physiquement le risque lié aux portes Pical, en outre, elle n'a pas émis d'observations sur le rapport établi par la SAS Apave Sudeurope alors qu'elle avait connaissance de l'existence d'autres risques, de plus, elle n'a pas réagi suite à l'arrêt du chantier le 31 mars 2003, en mettant en oeuvre des mesures conservatoires immédiates et en faisant réaliser des mesures d'empoussièrement représentatives ;

- à titre subsidiaire, le montant du préjudice subi par l'Université Grenoble-Alpes ne saurait être supérieur à une somme de 151 252,23 euros toutes taxes comprises, laquelle a été retenue par l'expert ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la SAS Apave Sudeurope, dès lors que cette dernière a commis une faute, laquelle a été relevée par l'expert, consistant en l'exercice défaillant de sa mission de diagnostic du risque lié à la présence d'amiante au regard de la définition faite par le décret n° 2001-840 du 13 septembre 2001 ;

- à titre subsidiaire, le moyen soulevé par la SAS Apave Sudeurope, tiré de ce qu'elle peut rechercher sa garantie, n'est pas fondé ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la garantie de la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, dès lors que cette dernière a commis une faute, laquelle a été relevée par l'expert, consistant en un manque de réactivité lors de la première découverte de morceaux de fibrociment dans les gravats de démolition ;

- à titre subsidiaire, le moyen soulevé par la SAS Dekra Industrial Holding, tiré de ce qu'elle peut rechercher sa garantie, n'est pas fondé.

Par ordonnance du 27 octobre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 28 novembre 2017.

Un mémoire en défense, présenté pour la SAS Dekra Industrial Holding, a été enregistré le 23 novembre 2018, postérieurement à la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chassagne,

- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant l'Université Grenoble Alpes, celles de Me A..., représentant la société Apave Sudeurope, celles de MeD..., représentant la société Dekra Industrial Hoilding et celles de MeB..., représentant la société Favre.

1. L'Université Joseph Fourier - Grenoble I, aux droits de laquelle est venue l'Université Grenoble Alpes, avant de procéder à la restructuration d'une partie du bâtiment dit Jean Roget accueillant des locaux des facultés de médecine et de pharmacie, a demandé, en décembre 2001, à la SAS Apave Sudeurope d'établir un rapport relatif à la recherche d'amiante dans certains matériaux, par un bon de commande émis le 9 janvier 2002 suite à un devis de l'organisme. Sur la base du rapport remis par la SAS Apave Sudeurope le 24 janvier 2002, le groupement commun de maitrise d'oeuvre a élaboré le dossier de consultation des entreprises, et après lancement de procédures de passation de marchés, la SARL Favre, notamment, a été déclarée attributaire du lot n° 1 de l'opération, dit " Démolition et déconstruction ", qui lui a été confié par acte d'engagement signé le 28 novembre 2002. Cette dernière s'est attaché un sous-traitant pour les prestations relatives au désamiantage. Le contrôle technique a été confié à la SAS Apave Sudeurope, par acte d'engagement signé le 23 janvier 2002. Une mission de coordination pour la sécurité et la protection de la santé de niveau 1 a été confiée à la société Norisko coordination, aux droits de laquelle est venue la SAS Dekra Industrial Holding, par acte d'engagement signé le 29 janvier 2002. La découverte d'amiante, soit dans des matériaux non visés par l'étude préalable réalisée par la SAS Apave Sudeurope, ou dans des proportions excédant les prévisions du dossier de consultation des entreprises, au sein de conduites verticales abritant des gaines techniques, ainsi que dans des portes de placards, des sorbonnes et des portes Pical, a causé un dépassement des coûts initialement prévus. En particulier, la détérioration de certaines de ces portes Pical a engendré une pollution à l'amiante de l'air qui a nécessité un arrêt du chantier. L'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a déposé son rapport le 29 février 2008. L'Université Grenoble-Alpes a alors saisi au fond le tribunal d'une demande de condamnation solidaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, de la SAS Apave Sudeurope, la société Norisko coordination et la SARL Favre à lui verser une somme totale de 214 632,48 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait d'un surcoût important des travaux et de l'allongement de la durée du chantier en lien avec cette pollution à l'amiante. Le tribunal administratif de Grenoble, après annulation d'une première décision et renvoi par la cour, a, d'une part, rejeté les conclusions présentées par l'Université Grenoble-Alpes, et d'autre part, mis à la charge définitive de cette dernière les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 14 755,94 euros toutes taxes comprises, par jugement n° 1502366 du 23 décembre 2015 dont cette dernière relève appel.

Sur les conclusions indemnitaires présentées par l'Université Grenoble Alpes :

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la SAS Apave Sudeurope :

2. En premier lieu, si l'Université Grenoble Alpes recherche la responsabilité contractuelle de la SAS Apave Sudeurope au titre de sa mission de contrôleur technique, confiée en vertu de l'acte d'engagement du 23 janvier 2002, elle n'indique cependant pas, dans ses écritures, quelle faute aurait été commise par cette dernière au cours de cette mission.

3. En deuxième lieu, si l'exécution de l'obligation du débiteur d'une prestation d'étude prend normalement fin avec la remise de son rapport et le règlement par l'administration du prix convenu, sa responsabilité reste cependant engagée, en l'absence de toute disposition ou stipulation particulière applicable à ce contrat, à raison des erreurs ou des carences résultant d'un manquement aux diligences normales attendues d'un professionnel pour la mission qui lui était confiée, sous réserve des cas où, ces insuffisances étant manifestes, l'administration aurait, en payant la prestation, nécessairement renoncé à se prévaloir des fautes commises.

4. Il résulte de l'instruction que, suite à l'établissement d'un devis par la SAS Apave Sudeurope le 26 décembre 2001, faisant suite à la demande de réaliser dans les locaux universitaires concernés un diagnostic de recherche d'amiante, en procédant à un examen visuel des locaux et parties accessibles du bâtiment pour vérifier la composition des flocages, calorifugeages et faux-plafonds, l'Université Grenoble Alpes, a émis un bon de commande, le 9 janvier 2002, en rappelant ce devis, pour un montant de 412 euros hors taxes et 492,75 euros toutes taxes comprises. Le rapport commandé à la SAS Apave Sudeurope, remis le 24 janvier 2002 après une visite sur les lieux le 16 janvier 2002 en présence d'un agent de l'université, fait seulement état de la présence de dalles de sol susceptibles de contenir de l'amiante.

5. Le rapport d'expertise de la SAS Apave Sudeurope révèle que l'organisme n'a pas respecté le programme de repérage de l'amiante visé par les dispositions décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié, qui impliquait l'inspection de conduits de fluides et de portes coupe-feux. Toutefois, si ce manquement aux diligences normales attendues d'un professionnel pour la mission qui lui était confiée peut être révélateur d'une carence il résulte cependant de l'instruction que l'expert a relevé que l'Université Grenoble-Alpes avait, dès avant la saisine de la SAS Apave Sudeurope, connaissance de ce que de l'amiante était présent au sein de conduites en amiante-ciment et de portes doublées de Pical, suite à la conduite d'une première phase de travaux. Ainsi, et dès lors qu'aucun élément ne permet de penser que l'Université Grenoble Alpes n'aurait pas acquitté le montant du prix correspondant au bon de commande du 9 janvier 2002, après le dépôt par la SAS Apave Sudeurope du rapport commandé le 24 janvier 2002, l'appelante a donc nécessairement renoncé à se prévaloir des insuffisances manifestes de ce rapport.

6. En troisième lieu, si l'Université Grenoble Alpes soutient que le comportement de la SAS Apave Sudeurope est, ainsi que l'a relevé l'expert, directement à l'origine du sinistre, à savoir de la pollution du chantier par de l'amiante, il résulte cependant de ce qui vient d'être dit, qu'elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la SAS Apave Sudeurope en l'espèce.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la SAS Dekra Industrial:

7. Aux termes des dispositions de l'article L. 235-5 du code du travail, alors applicable : " L'intervention du coordonnateur ne modifie ni la nature ni l'étendue des responsabilités qui incombent, en application des autres dispositions du présent code, à chacun des participants aux opérations de bâtiment et de génie civil. / (...) / Les modalités de mise en oeuvre de la coordination sont précisées par un décret en Conseil d'Etat qui définit notamment les missions imparties au coordonnateur ainsi que la nature, l'étendue et la répartition des obligations qui incombent respectivement aux maîtres d'ouvrage, aux coordonnateurs, aux entrepreneurs et aux maîtres d'oeuvre. ". Aux termes de l'article R. 238-18 du code du travail, alors applicable : " Aux fins précisées à l'article L. 235-3 et sous la responsabilité du maître d'ouvrage, le coordonnateur (...) :/ 1° Veille à ce que les principes généraux de prévention définis aux articles L. 235-1 et L. 235-18 soient effectivement mis en oeuvre ; / (...) 3° Au cours de la réalisation de l'ouvrage : / a) Organise entre les différentes entreprises, y compris sous-traitantes, qu'elles se trouvent ou non présentes ensemble sur le chantier, la coordination de leurs activités simultanées ou successives, les modalités de leur utilisation en commun des installations, matériels et circulations verticales et horizontales, leur information mutuelle ainsi que l'échange entre elles des consignes en matière de sécurité et de protection de la santé ; à cet effet, il doit, notamment, procéder avec chaque entreprise, y compris sous-traitante, préalablement à l'intervention de celle-ci, à une inspection commune au cours de laquelle sont en particulier précisées, en fonction des caractéristiques des travaux que cette entreprise s'apprête à exécuter, les consignes à observer ou à transmettre et les observations particulières de sécurité et de santé prises pour l'ensemble de l'opération ; cette inspection commune a lieu avant remise du plan particulier de sécurité et de protection de la santé lorsque l'entreprise est soumise à l'obligation de le rédiger ; / b) Veille à l'application correcte des mesures de coordination qu'il a définies ainsi que des procédures de travail qui interfèrent ; / (...) / 4° Tient compte des interférences avec les activités d'exploitation sur le site à l'intérieur ou à proximité duquel est implanté le chantier et à cet effet, notamment : / a) Procède avec le chef de l'établissement en activité, préalablement au commencement des travaux, à une inspection commune visant à délimiter le chantier, à matérialiser les zones du secteur dans lequel se situe le chantier qui peuvent présenter des dangers spécifiques pour le personnel des entreprises appelées à intervenir, à préciser les voies de circulation que pourront emprunter le personnel ainsi que les véhicules et engins de toute nature des entreprises concourant à la réalisation des travaux, ainsi qu'à définir, pour les chantiers non clos et non indépendants, les installations sanitaires, les vestiaires et les locaux de restauration auxquels auront accès leurs personnels ; / b) Communique aux entreprises appelées à intervenir sur le chantier les consignes de sécurité arrêtées avec le chef d'établissement et, en particulier, celles qu'elles devront donner à leurs salariés, ainsi que, s'agissant des chantiers non clos et non indépendants, l'organisation prévue pour assurer les premiers secours en cas d'urgence et la description du dispositif mis en place à cet effet dans l'établissement ; / (...). ". Aux termes de l'article R. 238-19 du même code, alors applicable : " Le coordonnateur consigne sur le registre-journal de la coordination, au fur et à mesure du déroulement de l'opération : / 1° Les comptes rendus des inspections communes, les consignes à transmettre et les observations particulières prévues au a du 3° de l'article R. 238-18, qu'il fait viser par les entreprises concernées ; / 2° Les observations ou notifications qu'il peut juger nécessaire de faire au maître d'ouvrage, au maître d'oeuvre ou à tout autre intervenant sur le chantier, qu'il fait viser dans chaque cas par le ou les intéressés avec leur réponse éventuelle ; / (...). ".

8. Comme rappelé précédemment, la société Norisko a assuré une mission de coordination pour la sécurité et la protection de la santé de niveau 1, tant durant la phase de conception des travaux que durant celle de leur réalisation. Pendant cette seconde phase, selon l'offre de prix, résumant les missions de l'intéressée, faite par cette dernière société le 22 novembre 2001, annexée à l'acte d'engagement précité, la SAS Dekra Industrial Holding, venant aux droits de la société Norisko, s'était engagée, conformément aux dispositions de la loi n° 93-1418 du 31 décembre 1993 et du décret n° 94-1159 du 26 décembre 1994 dont sont issus les articles L. 235-5, R. 238-18 et R. 238-19 du code du travail, notamment, à procéder à des visites d'inspection communes avec les entreprises titulaires, à participer à des réunions de chantier et à des visites de suivi de la coordination de sécurité et de protection de la santé, mais également à tenir un registre journal relatif à cette coordination.

9. Si l'Université Grenoble Alpes reproche à la SAS Dekra Industrial de ne pas lui avoir adressé une demande visant à la prise d'une mesure conservatoire dès le 26 mars 2003, et d'avoir failli ainsi à sa mission de coordination, il ne résulte cependant pas de l'instruction, notamment des conclusions de l'expert judiciaire, insuffisamment développées sur ce point, que dès le 26 mars 2003, la SAS Dekra Industrial aurait pu acquérir la certitude d'une pollution par l'amiante du chantier en l'absence de tout élément susceptible de démontrer, de manière précise et circonstanciée, que le fibrociment découvert au sein des gravats du chantier le 26 mars 2003 aurait été, ne serait-ce que pour partie, à l'origine d'une telle pollution, et ce, en l'absence d'une analyse de ce matériau susceptible de le confirmer.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la SARL Favre :

10. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a déjà été dit précédemment, que par acte d'engagement signé le 28 novembre 2002, ayant fait l'objet de plusieurs avenants durant l'exécution du chantier, la SARL Favre s'est vu confier le lot n° 1, dit " Démolition et déconstruction ", de l'opération en cause. Cette dernière avait recours à un sous-traitant, chargé des prestations relatives au désamiantage.

11. Si l'Université Grenoble-Alpes, en se fondant en partie sur les constatations de l'expert judiciaire, reproche à la SARL Favre d'être à l'origine de la pollution du chantier en cause par de l'amiante, dès lors, d'une part, qu'elle serait à l'origine de la destruction des portes en Pical, il résulte cependant du rapport d'expertise que son auteur a estimé qu'une telle destruction ne pouvait être regardée comme étant, de manière certaine, le fait de cette dernière, sans que l'appelante ne puisse se prévaloir, par différents éléments, d'une présomption de destruction par l'intimée, notamment du fait de la mission lui étant dévolue ou de l'état d'avancement du chantier, éléments au demeurant pris en compte l'expert. D'autre part, si l'Université Grenoble-Alpes indique que l'expert a estimé que le bris des sorbonnes amiantifères était également à l'origine de cette pollution, et qu'une telle détérioration était imputable à la SARL Favre, il ressort cependant du rapport de l'expert que ce dernier a précisé, à plusieurs reprises, que ce bris, étant intervenu probablement le 28 mars 2003, ne révèle pas un comportement qualifiable de fautif de la SARL Favre, qui n'avait pas été informée préalablement de la présence d'amiante au sein de ces sorbonnes. Dans ces conditions, aucune faute susceptible de conduire à l'engagement de la responsabilité de la SARL Favre n'est établie.

12. Ainsi, il résulte de tout ce qui précède, que l'Université Grenoble Alpes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Dès lors, les conclusions présentées par l'Université Grenoble Alpes contre ce jugement et aux fins de condamnation doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées par l'Université Grenoble Alpes, et par la SARL Favre en tant qu'elles sont dirigées contre la SAS Apave Sudeurope et la SAS Dekra industrial doivent donc être rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, pour l'application de ces même dispositions, de mettre à la charge de l'Université Grenoble-Alpes une somme de 1 000 euros chacune au titre des frais exposés respectivement par la SAS Apave Sudeurope, la SAS Dekra industrial et la SARL Favre pour les besoins du litige.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'Université Grenoble Alpes est rejetée.

Article 2 : L'Université Grenoble Alpes versera respectivement à la SAS Apave Sudeurope, la SAS Dekra industrial et la SARL Favre une somme de 1 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Université Grenoble Alpes, à la SAS Apave Sudeurope, à la SAS Dekra industrial et à la SARL Favre.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

M. Chassagne, premier conseiller,

Lu en audience publique le 20 décembre 2018.

11

N° 16LY00659


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY00659
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. Marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : HDPR - AVOCATS ASSOCIES - PICHOUD -HARTEMANN- DE CICCO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-12-20;16ly00659 ?
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