Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. F... E..., représenté par la Selarl B...avocats, a demandé dans ses dernières écritures le 15 mai 2014 au tribunal administratif de Lyon :
1°) d'annuler la décision du 12 mars 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a, en premier lieu, retiré la décision implicite rejetant le recours formé par la société Paré et Compagnie à l'encontre de la décision du 5 septembre 2011 de l'inspectrice du travail de la 7ème section du Rhône refusant d'autoriser son licenciement, en deuxième lieu, annulé cette décision de l'inspectrice du travail et, en dernier lieu, autorisé la société Paré et Compagnie à procéder à son licenciement ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1203269 du 5 avril 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 juin 2016, M.E..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 12 mars 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a retiré la décision implicite rejetant le recours formé par la société Paré et Compagnie à l'encontre de la décision du 5 septembre 2011 de l'inspectrice du travail de la 7ème section du Rhône refusant d'autoriser son licenciement, annulé cette décision de l'inspectrice du travail et autorisé la société Paré et Compagnie à procéder à son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier car insuffisamment motivé ;
- la décision ministérielle contestée est insuffisamment motivée car elle n'indique pas les motifs d'illégalité de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
- la société Paré a manqué à son obligation de reclassement dès lors qu'aucune proposition de reclassement interne ne lui a été faite alors que des postes étaient disponibles (ex-poste de peintre enduiseur de M.C..., ex-poste de magasinier, poste de peintre occupé par M.A...) et qu'elle avait indiqué que les postes de reclassement identifiés seraient proposés aux salariés individuellement ;
- il a été fait une application discriminatoire des critères d'ordre de licenciement liée à son mandat de représentant du personnel dès lors qu'il a été exclu de l'application des critères relatifs à l'expérience d'encadrement et aux compétences clés ;
- il existe un lien entre son licenciement et son mandat car il était particulièrement actif dans l'exercice de ses mandats et que l'entreprise, à plusieurs reprises, a tenté de porter atteinte à l'exercice de ses mandats ; l'inspecteur du travail a retenu un tel lien pour refuser l'autorisation de licenciement ; 3 des 4 membres de son syndicat ont été visés par une demande de licenciement ;
Par un mémoire enregistré le 20 avril 2018, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la décision ministérielle est suffisamment motivée car elle comprend les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée et précise les points de contrôle sur lesquels elle a fondé son analyse : appréciation du motif économique impossibilité de reclassement, lien avec les mandats ; en constatant que le motif de lien avec le mandat retenu par l'inspecteur du travail n'était pas fondé, il a pu légalement annuler la décision de l'inspecteur du travail et sa décision implicite de rejet du recours, lesquelles étaient toutes deux illégales ;
- l'entreprise a satisfait à son obligation de reclassement ; le poste de magasinier, pour lequel il n'avait pas les compétences requises, a été proposé à un autre salarié dont le poste était également supprimé et qui possédait les compétences techniques pour occuper le poste de magasinier du fait d'une formation sur ce poste et d'une occupation antérieure de ce poste ; le requérant ne conteste pas son absence de qualifications et compétences nécessaires pour occuper le poste de peintre enduiseur lequel avait été supprimé par l'ordonnance du juge commissaire ; le poste de M. D...était un simple remplacement de congé et le requérant ne pouvait pas être reclassé sur ce poste ;
- la contestation par le salarié de l'ordre des licenciements relève de la compétence du juge judiciaire ; l'autorité administrative n'a pas à en effectuer le contrôle sauf pour démontrer l'éventuel lien avec le mandat ; sur les 8 critères, le critère " expérience d'encadrement " ne discrimine pas les salariés protégés, car sur les 6 représentants du personnel, tous ouvriers, 3 exerçaient des fonctions d'encadrement ; le requérant n'avait jamais manifesté le souhait d'exercer des fonctions d'encadrement ; aucun élément ne permet d'établir un traitement inégal lié à des fonctions représentatives et syndical dans l'application des critères d'ordre " expérience d'encadrement " et " compétences clés " ;
- il n'existe pas de lien avec le mandat ; les licenciements ont été réalisés dans le cadre de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et d'une décision du tribunal de commerce ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code du commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cottier ;
- les conclusions de Mme Caraës, rapporteur public ;
- et les observations de M. E...et de Me Kari, avocate de M.E....
1. Considérant que, par jugement du 23 mars 2011, le tribunal de commerce de Lyon a placé sous procédure de redressement judiciaire la société Paré et compagnie, entreprise spécialisée dans la plâtrerie, peinture et décoration comptant 42 salariés ; que, par une ordonnance du 25 mai 2011, le juge-commissaire du même tribunal de commerce a autorisé la suppression de 18 postes dont 11 postes de peintre ; que la société Paré et compagnie a demandé le 1er juillet 2011 à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour motif économique M. E... exerçant la fonction de peintre, lequel était membre titulaire de la délégation unique du personnel depuis le 18 juin 2010 et avait un mandat de conseiller prud'homal depuis décembre 2002 ; que, par une décision du 5 septembre 2011, l'inspectrice du travail de la 7ème section du Rhône a refusé l'autorisation sollicitée au motif d'un lien avec le mandat ; que la société Paré et compagnie et l'administrateur judiciaire ont adressé le 4 novembre 2011 un recours hiérarchique auprès du ministre du travail à l'encontre de cette décision de l'inspectrice du travail ; que, par décision du 12 mars 2012, le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspectrice du travail et a autorisé la société Paré et compagnie à procéder au licenciement économique de M.E... ; que M. E... interjette appel du jugement du 5 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ministérielle ;
Sur la légalité de la décision contestée :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;
3. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article L. 631-17 du code du commerce alors en vigueur , relatif à la possibilité de procéder à des licenciements économiques lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire : " Lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à procéder à ces licenciements (...) " ;
4. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce ; que, si le salarié dont le licenciement est envisagé bénéficie du statut protecteur, l'administrateur doit, en outre, solliciter l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement, et qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée ; qu'en revanche, il résulte des dispositions du code de commerce citées au point 3 que le législateur a entendu que, pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes soient examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ; que, dès lors qu'un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration ;
5. Considérant que, lorsqu'il est saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail ayant statué sur une demande d'autorisation de licenciement, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision ;
6. Considérant que, lorsque le motif de licenciement invoqué par l'employeur fait obligation à l'administration d'apprécier le sérieux des recherches préalables de reclassement effectuées par celui-ci, l'inspecteur du travail doit apprécier les possibilités de reclassement du salarié à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu'à la date à laquelle il statue sur la demande de l'employeur ; qu'en vertu de la règle rappelée au point précédent, le ministre saisi d'un recours hiérarchique doit, lorsqu'il statue sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date de cette décision ; que si le ministre annule la décision de l'inspecteur du travail et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, il doit alors, en principe, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date à laquelle il statue ;
7. Considérant que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Lyon, par ordonnance du 25 mai 2011, a autorisé la suppression de 18 postes dans l'entreprise Paré qui n'appartient pas à un groupe soit 1 poste de directeur administrateur et financier cadre et 17 postes d'ouvriers dont 1 chauffeur, 11 peintres et 7 plaquistes ;
8. Considérant que M. E...fait valoir que la société Paré et compagnie n'a pas respecté les obligations de recherche de reclassement lui incombant ; qu'il résulte de l'instruction que M.E..., ouvrier peintre, ne s'est vu proposer par l'entreprise aucun poste de reclassement en interne ; qu'il mentionne que trois postes (un poste de magasinier, un poste de peintre-enduiseur et un poste de peintre en contrat à durée déterminée en juin-juillet 2011) étaient disponibles et ne lui ont pas été proposés ; qu'il ressort des pièces du dossier que le poste de magasinier, vacant au 27 mai 2011 du fait de la démission du salarié occupant ce poste, alors à temps complet, a été supprimé et a été transformé en un poste à mi-temps pour être proposé dans le cadre du reclassement interne à un autre salarié chauffeur, dont le poste était également supprimé par l'ordonnance du 25 mai 2011 du juge-commissaire, dans le cadre d'une transformation en poste de chauffeur-magasinier ; que M. E...ne conteste pas que le salarié chauffeur avait déjà été formé à ce poste de magasinier qu'il avait occupé pendant les congés du titulaire alors que lui-même ne disposait d'aucune des qualifications ou compétences requises pour tenir ce poste de magasinier ; que, par suite, l'argumentation de M. E...relative à l'obligation de l'entreprise de lui proposer un tel poste ne peut être retenue ; qu'en revanche, s'agissant du poste de peintre-enduiseur en contrat à durée indéterminée qui a été libéré par rupture conventionnelle le 9 décembre 2011, soit postérieurement à la décision de l'inspectrice du travail du 5 septembre 2011 et au recours hiérarchique introduit par la société le 4 novembre 2011, et dont il ne résulte pas de l'instruction qu´il aurait fait l'objet d'une suppression avant la décision ministérielle, M. E...indique sans être utilement contredit en défense par le ministre et par la société Paré que, compte tenu de son expérience et de ses compétences professionnelles au sein de la société en qualité de peintre, il pouvait occuper le poste ainsi libéré de peintre-enduiseur après une simple formation d'adaptation à certaines techniques d'enduisage ; que, par suite, dans de telles circonstances établissant que ce poste de peintre-enduiseur aurait dû être proposé à M.E..., c'est à tort que le ministre du travail a estimé, à la date de sa propre décision, que la société Paré et compagnie avait respecté ses obligations en matière de recherche de reclassement ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande à fin d'annulation de la décision ministérielle du 12 mars 2012 ;
Sur les frais liés au litige :
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 800 euros à verser à M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 5 avril 2016 du tribunal administratif de Lyon et la décision ministérielle du 12 mars 2012 autorisant le licenciement de M. E...sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. E...la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...E..., au liquidateur judiciaire de la société Paré et compagnie et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Carrier, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 septembre 2018.
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N° 16LY01869