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18/12/2014 | FRANCE | N°14LY01597

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 18 décembre 2014, 14LY01597


Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2014 au greffe de la Cour, présentée par le préfet de l'Isère, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1400234 du 29 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble, d'une part, a annulé son arrêté du 5 décembre 2013 refusant de délivrer à M. A...B...un titre de séjour et obligeant ce dernier à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

Le préfet de l'Isère fait valoir que c'e

st à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaiss...

Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2014 au greffe de la Cour, présentée par le préfet de l'Isère, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1400234 du 29 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble, d'une part, a annulé son arrêté du 5 décembre 2013 refusant de délivrer à M. A...B...un titre de séjour et obligeant ce dernier à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

Le préfet de l'Isère fait valoir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2014, présenté pour M. A...B..., qui demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

M. B...soutient :

- qu'ainsi que l'a jugé le Tribunal administratif, le refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît également les stipulations dudit article 8 ainsi que celles de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- qu'en lui accordant un délai de départ volontaire d'une durée d'un mois seulement, préfet a commis une " erreur manifeste d'appréciation " ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la décision du 6 août 2014, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel) a admis M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Vu la décision du président de la formation de jugement dispensant le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience, en application des articles L. 732-1 et R. 732-1-1 du code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2014 :

- le rapport de M. Meillier, premier conseiller ;

1. Considérant que M. A...B..., ressortissant tunisien né en 1983, est entré en France le 21 août 2001, muni d'un visa de court séjour valable du 21 août au 25 septembre 2001 ; qu'il a sollicité le 21 novembre 2011 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il a été muni de récépissés de demande de titre de séjour du 7 décembre 2011 au 2 septembre 2013 ; qu'il a également sollicité le 4 septembre 2013 son admission exceptionnelle au séjour en application de l'article L. 313-14 du même code ; que, par arrêté du 5 décembre 2013, le préfet de l'Isère a refusé de délivrer à M. B...un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé son pays de destination ; que, par jugement du 29 avril 2014, le Tribunal administratif de Grenoble, saisi par M.B..., d'une part, a annulé l'arrêté du 5 décembre 2013, en tant qu'il porte refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français, et, d'autre part, a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à l'intéressé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ; que le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement ;

Sur le bien-fondé du moyen accueilli par les premiers juges :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

3. Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un étranger ou de procéder à son éloignement d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie privée et familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par les mesures de refus de séjour et d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. B...est entré en France, pour la première fois, le 21 août 2001 ; que s'il ne produit pas de justificatifs de nature à établir sa présence habituelle ou continue en France avant le dépôt, en novembre 2011, de sa demande de titre de séjour et la délivrance subséquente, à compter du 7 décembre 2011, de récépissés de dépôt de cette demande, il a toutefois ouvert en septembre 2002 un compte bancaire auprès du Crédit Mutuel, dispose depuis le 17 juillet 2008 d'un pass Navigo et a déposé le 24 décembre 2010 auprès des services préfectoraux du Val-de-Marne une précédente demande de titre de séjour ; que, surtout, il a épousé le 24 septembre 2009 à Grigny (Rhône), une compatriote née en 1987, entrée en France en 1998 et titulaire d'une carte de résident de dix ans valable du 9 décembre 2005 au 8 décembre 2015 ; que deux enfants sont nés de cette union le 11 décembre 2010 au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) et le 2 mars 2013 à Bourgoin-Jallieu (Isère) ; qu'à la date de l'arrêté attaqué, son épouse était enceinte depuis un mois environ ; que le préfet ne conteste ni l'existence d'une vie commune depuis le mariage, ni la contribution de M. B...à l'éducation de ses enfants ; que le préfet de l'Isère ne peut utilement invoquer la possibilité ouverte à l'épouse de M. B...de demander, au profit de ce dernier, le bénéfice du regroupement familial ; qu'enfin, il n'est pas contesté que deux des frères de M. B...résident régulièrement sur le territoire français ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et de la stabilité du mariage entre M. et MmeB..., de la présence de deux enfants en bas âge dans leur foyer, de l'état de grossesse de son épouse et de la durée de séjour de cette dernière en France, et alors même que M. B...s'est, selon ses dires, maintenu irrégulièrement sur le territoire français pendant de nombreuses années et n'a pas cherché à régulariser sa situation avant décembre 2010, l'arrêté attaqué a porté, eu égard aux buts qu'il poursuit, une atteinte disproportionnée au droit de M. B...au respect de sa vie privée et familiale ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que cet arrêté avait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a accueilli la demande de M. B...;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Le Gloan, avocat de M.B..., d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Gloan renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Le Gloan une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Gloan renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2014, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Mear, président-assesseur,

M. Meillier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 décembre 2014.

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N° 14LY01597


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14LY01597
Date de la décision : 18/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Charles MEILLIER
Rapporteur public ?: Mme CHEVALIER-AUBERT
Avocat(s) : LE GLOAN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2014-12-18;14ly01597 ?
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