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07/10/2014 | FRANCE | N°13LY02470

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 07 octobre 2014, 13LY02470


Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2013, présentée pour Mme B...E..., domiciliée... ;

Mme E...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201623 du 4 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant, d'une part, à reconnaître une situation de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, afin d'obtenir le versement d'une somme de 100 000 euros, à titre de provision et dans l'attente d'une expertise médicale, en réparation des préjudices personnel, moral et économique qui en s

ont résultés, d'autre part, à l'annulation de la décision du centre hospital...

Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2013, présentée pour Mme B...E..., domiciliée... ;

Mme E...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201623 du 4 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant, d'une part, à reconnaître une situation de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, afin d'obtenir le versement d'une somme de 100 000 euros, à titre de provision et dans l'attente d'une expertise médicale, en réparation des préjudices personnel, moral et économique qui en sont résultés, d'autre part, à l'annulation de la décision du centre hospitalier de Mâcon lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) de condamner ledit centre hospitalier à lui verser la somme susmentionnée à titre de provision ;

3°) d'ordonner une expertise médicale ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon, dans l'attente de la protection fonctionnelle, une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- depuis l'année 2007, elle a fait l'objet d'actes réitérés provenant de l'environnement médical du bloc opératoire qui mettent en cause ses conditions d'exercice et altèrent profondément sa santé dans les conditions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;

- depuis 1995, le service du bloc opératoire fait l'objet d'une dégradation importante, dont l'ensemble des infirmiers s'est plaint et dont les chirurgiens ont fait état ; plusieurs témoignages font mention de remarques blessantes, de pressions et d'agressions verbales ; cette situation a provoqué son orientation vers une activité libérale, plusieurs départs du service, ainsi que son départ à la retraite ;

- la direction, pourtant informée et alertée, est restée inactive ;

- le 1er octobre 2010, elle a été victime d'un fait grave de harcèlement qui n'a reçu qu'une réponse formelle de l'administration ; un certificat médical d'arrêt de travail pour harcèlement moral entraînant un syndrome de " burn out " a été établi le 3 mars 2011 ; il lui a été reproché à tort d'exercer une activité professionnelle pendant ce congé de maladie, sans que cette erreur ne soit suivie d'excuse ; le médecin du travail a formellement contre-indiqué, le 5 avril 2011, le retour au service du bloc opératoire ;

- le comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail, lors de sa réunion du 9 juin 2011, a reconnu cette situation ;

- la commission administrative paritaire du 6 septembre 2011 a admis la qualité des services qu'elle a rendus ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les éléments constitutifs d'un harcèlement moral sont établis ;

- ces agissements ont eu pour effet d'aboutir à une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, ce que ne contredit pas, contrairement à l'analyse du tribunal administratif, le certificat médical du 26 juin 2011 ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les actions de la direction du centre hospitalier, qui ont été tardives et insuffisantes, la dispensaient de lui accorder la protection fonctionnelle ; l'établissement a commis une faute en ne lui fournissant pas une protection fonctionnelle qui aurait été de nature à la préserver des agissements dont elle a été victime ;

- ces éléments justifient que soit ordonnée une expertise et, dans l'attente du rapport, de lui allouer une indemnisation provisoire en réparation de ses divers préjudices ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 26 novembre 2013 à la SCI Duparc Curtil et associés, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu l'ordonnance, en date du 26 novembre 2013, fixant la clôture d'instruction au 7 janvier 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2013, présenté pour le centre hospitalier de Mâcon, représenté par son directeur, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- les tensions spécifiques dans le bloc opératoire relevées en 2007, qui ne concernaient pas la requérante, ont fait l'objet d'une gestion de crise qui a entraîné l'édiction de mesures concrètes ;

- le seul fait précis concernant la situation de la requérante s'est produit le 1er octobre 2010, sous la forme de propos certes inadmissibles, mais ponctuels ; elle a alors reçu le soutien de l'institution ;

- un audit du fonctionnement du bloc opératoire a été réalisé en 2012 ;

- la requérante ne justifie pas avoir été soumise à des conditions anormales de travail, constitutives d'une situation de harcèlement ; les éléments qu'elle rapporte ne présentent pas de caractère de répétition ; les évènements relatés pour l'année 2007 ne la concernent pas ; un seul fait survenu le 1er octobre 2010 l'implique personnellement ; les pièces produites, qui ne l'a concerne pas directement, relatent l'existence de relations conflictuelles et un climat tendu au sein du bloc opératoire ; cette situation n'a pas donné lieu à un nombre anormal de départs ; lesdites tensions sont marquées par des attitudes partagées ;

- elle n'apporte aucun élément qui démontre une dégradation de ses conditions de travail ; les appréciations littérales de ses feuilles de notation témoignent de la reconnaissance de la hiérarchie ; elle a pu évoluer dans son parcours professionnel et un accord lui a été donné pour exercer une activité libérale ; le courrier du 17 mars 2011 ne constitue pas une sanction mais doit être regardé comme un rappel de ses devoirs ; son départ à la retraite correspond à une décision personnelle ;

- les certificats médicaux ne peuvent suffire à démontrer un lien entre son état de santé et des agissements qualifiés de harcèlement moral ;

- l'intéressée a pu faire part de ses problèmes auprès de la direction ; cette dernière a mené des actions diligentes qui, au demeurant, la dispensaient de lui accorder la protection fonctionnelle ;

- elle a pu exercer à titre libéral, a été encouragée à suivre une formation " Prise en charge de la douleur aigüe et post opératoire ", a été reçue par la cellule de santé au travail et a connu une évolution dans ses tâches puisqu'affectée en unité de soins palliatifs ;

- l'absence de reconnaissance de sa maladie professionnelle, ajournée en raison de la présente requête, n'est pas un élément de harcèlement ;

- aucune faute n'ayant été commise de nature à donner lieu à réparation, l'expertise est inutile et la demande de provision contestable tant dans son principe que dans son montant ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 11 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions relatives à la fonction publique hospitalière ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Courret, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;

- et les observations de MeA..., représentant Mme E...et de Me C...substituant MeD..., représentant le centre hospitalier de Mâcon ;

1. Considérant que MmeE..., infirmière anesthésiste diplômée d'Etat depuis le 1er octobre 1996 a exercé ses fonctions, à titre principal, au bloc opératoire du centre hospitalier de Mâcon jusqu'au 15 juin 2011 ; qu'elle a été affectée, en juin 2011, à l'unité de soins palliatifs, puis admise, sur sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2012 ; que par un courrier du 20 mars 2012, la requérante a demandé au directeur du centre hospitalier de Mâcon de lui verser une provision de 100 000 euros au titre du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de harcèlement moral et de lui accorder à ce titre le bénéficie d'une protection fonctionnelle ; que, par la présente requête, elle relève appel du jugement du 4 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête tendant, d'une part, à reconnaître qu'elle subissait une situation de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, afin d'obtenir le versement d'une somme de 100 000 euros, à titre de provision et dans l'attente d'une expertise médicale, en réparation des dommages qui en sont résultés, d'autre part, à l'annulation de la décision du centre hospitalier de Mâcon lui refusant le bénéfice d'une protection fonctionnelle ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...). ; que l'article 11 de la même loi dispose que : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. " ;

3. Considérant qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, que le juge peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

4. Considérant que Mme E...fait valoir qu'elle a subi, entre l'année 2007 et le 1er avril 2012, dans le cadre de ses fonctions au sein du bloc opératoire du centre hospitalier de Mâcon, des actes et des propos qui sont constitutifs de harcèlement moral ; que la requérante soutient que ces agissements ont entraîné une dégradation de son état de santé et lui ont occasionné un préjudice moral ; que, toutefois, s'il n'est pas contesté qu'il a existé, au cours de l'année 2007, des tensions spécifiques au bloc opératoire, entre les praticiens hospitaliers et les infirmiers du bloc opératoire, la requérante, en sa qualité d'infirmière anesthésiste diplômée d'Etat, n'était pas directement concernée par ce conflit ; qu'au demeurant, cette situation conflictuelle a été prise en compte par le centre hospitalier, qui a notamment diligenté un audit, suivi d'un projet d'amélioration du fonctionnement du bloc opératoire et d'un plan d'action validé par les professionnels médicaux et paramédicaux ; que s'il est constant que, le 1er octobre 2010, des propos vexatoires ont été tenus à son encontre par un praticien et un interne lors d'un mouvement social qui avait donné lieu à un climat de tension, ces propos, dont le caractère inadmissible a été reconnu par le centre hospitalier de Mâcon, ont fait l'objet d'un entretien et d'un courrier bienveillant de la coordinatrice générale des activités de soins ; que les témoignages produits et les autres pièces du dossier ne révèlent pas que Mme E...aurait subi personnellement d'autres actes ou paroles blessants, dévalorisants ou humiliants ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Mâcon a porté une attention particulière à la situation et à l'avenir professionnel de MmeE..., dont témoignent notamment ses notations et évaluations ; que si, par un courrier du 17 mars 2011, le directeur adjoint chargé des ressources humaines, lui a adressé, à tort, une sommation de cesser d'exercer une activité professionnelle privée parallèlement à un congé de maladie, elle a été suivie un mois plus tard d'une lettre qui peut être regardée comme la reconnaissance de cette erreur et ne saurait, par suite, constituer l'un des éléments d'une situation de harcèlement ; que sa demande d'exercice d'une activité libérale à temps partiel a reçu une réponse favorable ; que son affectation, sur proposition du centre hospitalier de Mâcon, à l'unité de soins palliatifs en juin 2011 peut être regardée comme une réponse au mal-être qu'elle avait exprimé et conforme à sa qualification ; qu'il n'est pas établi que les départs des agents du service hospitalier dont elle fait état aient revêtu un caractère anormal, ni que son départ à la retraite, sur sa demande, ait été la conséquence nécessaire ou la preuve du harcèlement allégué ;

6. Considérant enfin, que si les arrêts de travail des 3 mars, 11 avril, 20 juin et 20 juillet 2011, invoqués par MmeE..., font état de " burn out " suite à du " harcèlement moral ", ces seules mentions non circonstanciées, ne peuvent suffire à établir que l'état de santé de la requérante serait la conséquence d'agissements qualifiables de harcèlement moral ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les agissements invoqués par la requérante ne peuvent être regardés comme constitutifs de faits répétés de harcèlement moral ; que, par suite, le centre hospitalier de Mâcon n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ni sur le fondement de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, ni en s'abstenant de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle prévue par les dispositions de l'article 11 de la même loi ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise demandée, Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d'indemnisation et d'annulation de la décision du centre hospitalier de Mâcon lui refusant le bénéfice d'une telle protection ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Mâcon, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Mme E...et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du centre hospitalier de Mâcon au titre de ces mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Mâcon tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E...et au centre hospitalier de Mâcon.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2014 à laquelle siégeaient :

M. Martin, président de chambre,

Mme Courret, président-assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 octobre 2014.

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N° 13LY02470


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13LY02470
Date de la décision : 07/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTIN
Rapporteur ?: Mme Catherine COURRET
Rapporteur public ?: M. CLEMENT
Avocat(s) : SCP DEVERS-DUVAL-PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2014-10-07;13ly02470 ?
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