Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2011, présentée pour la Compagnie Fluviale de Transport (CFT) dont le siège social est 11 rue du Pont V au Havre (76080) ;
La CFT demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Lyon nos 0804717-0904939 du 24 mai 2011 en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à ce que la société Réseau Transport Electricité (RTE) soit condamnée à lui verser la somme de 106 136,94 euros en réparation des préjudices immatériels subis ;
2°) de prononcer la condamnation demandée, avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2011, les intérêts échus étant eux-mêmes capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la société RTE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en ce que les premiers juges ne l'ont pas invitée à régulariser sa demande initiale, qui pouvait être interprétée comme une demande provisionnelle ;
- elle a attesté devant les premiers juges de l'existence et de l'étendue de son préjudice immatériel, constitué par l'immobilisation du pousseur Décidé du 26 avril 2007 au 14 juin 2007 ;
- ce préjudice s'élève à une somme de 106 136,94 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le courrier en date du 23 août 2012 mettant la société RTE en demeure de produire ses observations dans un délai de 21 jours en application des dispositions de l'article R. 612-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 septembre 2012, présenté pour la société RTE qui conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par la CFT et ses assureurs devant le Tribunal et à ce que soit mise à la charge de la CFT une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le Tribunal n'a commis aucune irrégularité en n'invitant pas la CFT à régulariser sa demande d'indemnité ;
- les nouveaux éléments communiqués par la CFT ne permettent pas de justifier de la réalité du préjudice invoqué ;
- les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute retenue par les premiers juges n'étaient pas réunies en l'espèce, l'anormalité du dommage n'étant pas démontrée ;
- plusieurs avis ont attiré la vigilance de la CFT sur la présence des câbles ;
- aucun manquement ne saurait lui être reproché ;
- la ligne électrique est implantée au même endroit depuis plus de 40 ans ;
- le dommage est entièrement imputable à la faute du conducteur du pousseur Décidé et cette faute est de nature à l'exonérer totalement de toute responsabilité ;
- la hauteur du bâtiment était supérieure à 12 m 50, la timonerie pouvant atteindre 17 m et un arc électrique pouvant se produire jusqu'à 1 m ;
- rien ne permet de dire que la hauteur maximale de 15 m avait été respectée ;
- le câble se trouvait à 2 ou 3 m de distance ;
- compte tenu de l'écho radar, le capitaine aurait dû abaisser la timonerie par précaution, ce qu'il n'a pas fait, commettant du même coup une faute ;
- le défaut de vigilance et l'imprudence du capitaine sont déterminants dans la survenance de l'accident ;
Vu l'ordonnance en date du 25 septembre 2012 fixant la date de clôture de l'instruction au 9 octobre 2012 en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 octobre 2012, présenté pour la société RTE qui conclut aux mêmes fins que précédemment, demandant en outre que soit ordonné le remboursement par la CFT de la somme de 67 704, 47 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 octobre 2012, présenté pour la CFT, qui conclut aux mêmes fins que la requête, ainsi qu'au rejet des conclusions présentées par la société RTE, par les mêmes moyens ;
Elle soutient, en outre, que l'appel incident de la société RTE est irrecevable en ce qu'il a été formé après le délai de recours contentieux et qu'il tend à remettre en cause le principe de la responsabilité alors que l'appel principal ne porte que sur une partie du préjudice ; que l'enterrement de la ligne est projeté ;
Vu l'ordonnance en date du 10 octobre 2012 rouvrant l'instruction jusqu'au 26 octobre 2012 en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 octobre 2012, présenté pour la CFT qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre que :
- l'appel incident formé par la société RTE est irrecevable en ce qu'il tend à la remise en cause de sa responsabilité et au remboursement d'une somme de 61 512,56 euros qui n'a pas été perçue par elle mais par ses assureurs ;
- le niveau de la ligne à haute tension ne respectait pas les prescriptions réglementaires ;
- aucune faute ne saurait lui être reprochée ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 octobre 2012, présenté pour la société RTE qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre que :
- son appel incident est recevable dans la mesure où il peut être formé sans délai et ne porte pas sur un litige distinct de celui qui résulte de l'appel principal ;
- CFT ne justifie pas davantage qu'en première instance de son préjudice immatériel ;
Vu l'ordonnance en date du 20 novembre 2012 reportant la date de clôture de l'instruction au 6 décembre 2012 en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 73-912 du 21 septembre 1973 modifié portant règlement général de police de la navigation intérieure ;
Vu le décret n° 2003-512 du 16 juin 2003 approuvant les nouveaux statuts de la Compagnie nationale du Rhône ;
Vu le décret n° 2003-513 du 16 juin 2003 approuvant le huitième avenant à la convention de concession générale passée le 20 décembre 1933 entre l'Etat et la Compagnie nationale du Rhône et modifiant le décret n° 96-1058 du 2 décembre 1996 relatif à la délivrance des titres d'occupation du domaine public de l'Etat ;
Vu l'arrêté du 4 décembre 1964 fixant les conditions de l'occupation du domaine public fluvial ou maritime par une distribution d'énergie électrique concédée ;
Vu l'arrêté du 20 décembre 1994 modifié fixant le règlement particulier de police de la navigation sur les canaux, rivières, cours d'eau et plans d'eau domaniaux de la Saône et du Rhône ;
Vu l'arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique ;
Vu la décision du 4 mai 1965 portant approbation et autorisation d'exécution des travaux de construction du tronçon La Mouche-Oullins de la ligne à 225 kV Givors-La Mouche ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 février 2013 :
- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;
1. Considérant que le 26 avril 2007 vers 5 h 15, à l'approche de l'écluse de Pierre-Bénite sur le Rhône, le pousseur Décidé, exploité par la CFT, qui convoyait deux barges chargées de trois étages de conteneurs, a été frappé par un arc électrique alors qu'il passait sous une ligne à très haute tension (THT), à l'origine d'importants dommages matériels ; que, par un jugement du 24 mai 2011, le Tribunal administratif de Lyon a condamné la société RTE à indemniser la CFT, à hauteur de 5 191,91 euros, et ses co-assureurs des préjudices matériels subis lors de cet incident, mais a rejeté comme non fondées les conclusions de la CFT tendant au versement d'une somme de 106 136,94 euros en réparation du préjudice résultant pour elle de l'immobilisation du pousseur du 26 avril au 14 juin 2007 ; que, dans cette mesure, la CFT relève appel de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, la société RTE demande sa mise hors de cause ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'il résulte du dossier de première instance que la CFT avait présenté des conclusions tendant au versement d'une somme de 106 136,94 euros à titre d'indemnité définitive, et non pas à titre provisionnel ; que par suite, et en toute hypothèse, elle n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ne pouvaient régulièrement statuer sur ces conclusions sans l'inviter au préalable à former une demande indemnitaire ;
Sur le principe de la responsabilité :
3. Considérant que la CFT avait la qualité de tiers et non celle d'usager vis-à-vis de la ligne électrique THT en cause, qui constituait un ouvrage public distinct, non incorporé au domaine public fluvial dont elle était usagère ; qu'ainsi la société RTE, en sa qualité de gestionnaire de cette ligne, est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des dommages subis par la CFT, imputables à la présence de cet ouvrage ;
4. Considérant que la société RTE soutient cependant que la CFT aurait commis des fautes de nature à l'exonérer totalement de la responsabilité encourue ; que toutefois, rien au dossier ne permet d'affirmer qu'à l'endroit de l'accident, la timonerie télescopique du pousseur Décidé aurait été relevée au-delà de la hauteur maximale de 15 m au-dessus de la surface de l'eau autorisée par l'article 1.06 du règlement général de police de la navigation intérieure alors que, par ailleurs, les pièces du dossier, et notamment un courrier du préfet du Rhône à la société RTE, du 7 mai 2007, permettent de douter de ce que, eu égard à son ancienneté, la ligne électrique THT aurait conservé une hauteur supérieure à la hauteur minimale de 17 m 30 prescrite par la réglementation ;
5. Considérant qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que le radar aurait produit environ 200 m avant la ligne électrique THT un écho qui aurait laissé suffisamment de temps au capitaine du navire pour réagir, les pièces du dossier montrant seulement que celui-ci a immédiatement réagi à l'écho et à la perception visuelle, quasi simultanés, de la ligne électrique, distante de 3 m au maximum du pousseur ; qu'enfin, la double circonstance que le capitaine ne pouvait pas ignorer l'ancienneté de la ligne électrique ainsi que l'incident de même nature survenu au même endroit le 4 avril précédent ne suffisent pas, compte tenu de ce qui précède, à révéler un manquement aux règles de navigation ;
6. Considérant qu'il s'en suit que, contrairement à ce que fait valoir la société RTE, la CFT n'a commis aucune faute exonératoire, même partiellement, de la responsabilité encourue ;
Sur l'indemnisation :
7. Considérant que la CFT a obtenu du Tribunal la réparation du dommage matériel causé au navire ; que la somme de 5 191,91 euros qui lui a été allouée n'est pas contestée ; qu'elle soutient avoir en outre supporté, au cours d'une période de 49 jours, du 26 avril au 14 juin 2007, des coûts d'exploitation, correspondant à des frais d'amortissement, de salaires d'équipage, des frais d'assurance et d'entretien, des frais de siège et d'établissement, qu'elle évalue à 2 166,06 euros par jour, soit 106 136,94 euros au total, en se référant, pour la première fois en appel, aux pertes d'exploitation de deux autres bâtiments de sa flotte, de même classe que le Décidé, à la suite d'une interruption d'activité ;
8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que, même en l'absence de sinistre, le bâtiment Décidé n'aurait pas pu être exploité au cours de la période pendant laquelle il a été immobilisé, dont la durée est établie par une lettre de l'expert du 25 mars 2008, jointe à son rapport du 27 mars 2008 ;
9. Considérant que, s'agissant de l'évaluation du préjudice, la réalité des frais de siège et d'établissement allégués n'est pas établie ; qu'en revanche, la CFT a, du fait même de l'accident, supporté sans contrepartie les autres charges dont elle fait état ; que, compte tenu de l'ensemble des éléments du dossier, il y a lieu de fixer à la somme globale de 73 500 euros l'indemnité due par la société RTE en réparation de ce chef de préjudice ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, la CFT est seulement fondée à demander la condamnation de la société RTE à lui verser une somme supplémentaire de 73 500 euros, s'ajoutant à celle de 5 191,91 euros mentionnée à l'article 2 du jugement attaqué ; que, d'autre part, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée aux conclusions de l'appel incident de la société RTE, celles-ci doivent qu'être rejetées ;
11. Considérant que la CFT a droit aux intérêts au taux légal de la somme que de 73 500 euros, à compter du 29 juillet 2011, date à laquelle elle les a demandés ; que les intérêts de cette somme échus le 29 juillet 2012 seront capitalisés, à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure, pour produire eux-mêmes intérêts ;
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société RTE le paiement à la CFT d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, compte tenu de ce qui précède, les conclusions présentées par la société RTE sur le fondement de ces mêmes dispositions, ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La société RTE est condamnée à payer à la CFT la somme de 73 500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2011. Les intérêts de cette somme échus le 29 juillet 2012 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 24 mai 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société RTE versera à la CFT la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la CFT et les conclusions de la société RTE sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Compagnie fluviale de transports et à la société Réseau transport électricité.
Délibéré après l'audience du 7 février 2013 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Picard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 février 2013.
''
''
''
''
1
2
N° 11LY01912