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27/09/2012 | FRANCE | N°11LY02169

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 27 septembre 2012, 11LY02169


Vu la requête, enregistrée le 31 août 2011, présentée pour Mme Zakia A, M. Nourridine A, M. Rida A, Mlle Dounia A, et Mlle Lilia A, domiciliés ... ;

Les consorts A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902458 du 30 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Sud Léman Valserine à les indemniser des conséquences du décès de leur époux et père, M. Brahim C ;

2°) de condamner le centre hospitalier Sud Léman Valserine à verser les sommes de 294 646,57 euros

à Mme Zakia A, 50 000 euros à M. Nourridine A et 20 000 euros à, respectivement, M. Ri...

Vu la requête, enregistrée le 31 août 2011, présentée pour Mme Zakia A, M. Nourridine A, M. Rida A, Mlle Dounia A, et Mlle Lilia A, domiciliés ... ;

Les consorts A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902458 du 30 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Sud Léman Valserine à les indemniser des conséquences du décès de leur époux et père, M. Brahim C ;

2°) de condamner le centre hospitalier Sud Léman Valserine à verser les sommes de 294 646,57 euros à Mme Zakia A, 50 000 euros à M. Nourridine A et 20 000 euros à, respectivement, M. Rida A, Mlle Dounia A et Mlle Lilia A, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2009, ainsi qu'aux dépens ;

3°) de mettre solidairement à la charge du centre hospitalier Sud Léman Valserine et de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que les erreurs commises dans la prise en charge de M. Brahim C ont été pour lui à l'origine d'une perte de chance d'éviter son décès ; que les manquements relevés par l'expert, compte tenu de l'état du patient, consistent dans le fait de n'avoir pas réalisé un scanner en urgence et de n'avoir pas sollicité l'avis d'un chirurgien ; qu'il y a eu également des carences dans l'information de la famille traduisant la volonté de dissimuler la réalité des manquements ; que le Docteur Lambert les a orientés vers une hypothèse qui ne leur a pas permis de considérer qu'une autopsie se serait révélée utile pour déterminer les causes exactes du décès ; que, s'agissant des préjudices, ils sont dans l'attente de la créance du RSI ; que leurs préjudices se décomposent de la manière suivante : 700 euros au titre des honoraires du Dr Grégoire ; 448 euros au titre des frais d'obsèques ; 257 798,57 euros et 30 000 euros au titre des préjudices économiques de, respectivement, Mme A et M. Nourridine A ; qu'au titre du préjudice d'accompagnement sont dues les sommes de 10 000 euros à Mme Zakia A, 5 000 euros à M. Nourridine A, M. Rida A, Mlle Dounia A, et Mlle Lilia A ; qu'au titre du préjudice d'affection, sont dues les sommes de 25 000 euros à Mme Zakia A et 15 000 euros à, respectivement, M. Nourridine A, M. Rida A, Mlle Dounia A et Mlle Lilia A ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 février 2012, présenté pour le centre hospitalier Sud Léman Valserine et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) qui concluent au rejet de la requête ;

Ils soutiennent que comme cela ressort du rapport d'expertise, même si des insuffisances dans la prise en charge de M. Brahim C peuvent être retenues à l'encontre de l'équipe médicale, aucun lien de causalité direct et certain entre les conditions de cette prise en charge et le décès du patient n'a pu être établi ; que l'expert indique qu'il est impossible de préciser la cause du décès ; que c'est la raison pour laquelle il n'a pas procédé à l'évaluation d'une éventuelle perte de chance en lien avec les conditions de prise en charge au centre hospitalier ; qu'il a pris soin de noter que seule une autopsie, à laquelle les consorts A se sont opposés, aurait pu permettre de déterminer les causes exactes du décès ; que les sommes réclamées par les consorts A sont excessives ; que le centre hospitalier ne pourrait être condamné qu'à une réparation partielle du dommage, correspondant à l'ampleur de la chance perdue ; qu'au demeurant, le montant des sommes réclamées par les requérants n'est pas justifié ; que Mme Zakia A ne justifie pas de la réalité et de l'étendue du préjudice économique dont elle se prévaut ; que l'indemnité de 30 000 euros demandée au titre de son préjudice économique par M. Nourridine A n'est pas davantage fondée, dès lors que l'intéressé n'établit pas la réalité de ce chef de préjudice ; qu'il ne produit aucune pièce relative au revenu professionnel tiré de l'activité exercée au sein de l'entreprise de son père ; qu'il n'établit pas qu'il aurait été sans revenu professionnel à la suite du décès de son père et dans l'impossibilité de trouver un autre emploi ; que les indemnités sollicitées au titre du préjudice d'accompagnement ne sont pas davantage justifiées dès lors que l'hospitalisation de M. Brahim C a été extrêmement courte ; que les demandes présentées au titre du préjudice moral apparaissent également excessives ; qu'il ne saurait être alloué à Mme Zakia A une somme supérieure à 18 000 euros et à chacun des enfants une somme supérieure à 10 000 euros ; que ces sommes devront être réduites en fonction de l'ampleur de la perte de chance retenue ; que la société hospitalière d'assurances mutuelles, personne morale de droit privé, devra être mise hors de cause dès lors que le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de la demande présentée à son encontre en sa qualité d'assureur du centre hospitalier ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 mars 2012, présenté pour les consorts A qui concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Ils soutiennent en outre que le décès de M. Brahim C est dû non seulement aux manquements du médecin qui l'a pris en charge, mais également aux dysfonctionnements dans l'organisation du centre hospitalier, comme cela ressort de la décision de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins du 12 octobre 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 septembre 2012 :

- le rapport de M. Poitreau, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;

- et les observations de Me Chebbah, avocat des consorts A et de Me Bergeron, avocat du centre hospitalier Sud Léman Valserine et de la société hospitalière d'assurances mutuelles ;

Considérant que M. Brahim C, qui souffrait de violentes douleurs abdominales, a été pris en charge par le service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) du centre hospitalier Sud Léman Valserine le 7 janvier 2008 à 21 heures 50 ; qu'après des premiers soins prodigués sur place, il a été transporté au centre hospitalier où il est arrivé à 22 heures 55 ; que vers 4 heures 30 du matin, il a été victime d'un arrêt cardio-respiratoire dont il est décédé 30 minutes plus tard, les tentatives de réanimation s'étant révélées vaines ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de son épouse et de ses enfants tendant à la condamnation du centre hospitalier à les indemniser des préjudices que leur a occasionnés ce décès ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Rhône-Alpes que, d'une part, lors de l'admission de M. C au service des urgences du centre hospitalier Sud Léman Valserine, la réalisation d'un scanner aurait dû être prescrite en extrême urgence compte tenu de l'existence de signes radiologiques d'interprétation difficile et que, d'autre part, il aurait dû être fait appel au chirurgien de garde, avant de pratiquer une injection de morphine, en raison de l'existence d'une contracture pariétale ; qu'ainsi, des fautes ont été commises lors de la prise en charge de ce patient ; que s'il est vrai que son décès, dont la cause demeure inconnue, ne peut être directement imputé à ces fautes, celles-ci ont été directement à l'origine d'une perte de chance de l'éviter ; que, dès lors, ces fautes engagent la responsabilité du centre hospitalier Sud Léman Valserine ;

Sur les préjudices :

Considérant que compte tenu de l'ampleur de la chance perdue, la fraction des préjudices indemnisables qui sont la conséquence du décès de M. C doit, en l'espèce, être fixée à 30 % ;

En ce qui concerne les préjudices matériels :

Quant au préjudice économique de Mme Zakia A :

Considérant que le préjudice subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus ; qu'il résulte de l'instruction qu'au titre de l'année précédent son décès, le montant des revenus perçus par M. C, gérant d'une SARL, s'est élevé à la somme de 20 000 euros ; que son épouse, Mme Zakia A, qui n'exerce aucune activité professionnelle, perçoit annuellement, à la suite du décès de son mari, les sommes de 2 705,40 euros de la caisse régionale d'assurance maladie et 963,28 euros de la caisse nationale du régime social des indépendants ; que, compte tenu de la part de 20 % des revenus que M. C devait consacrer à sa propre consommation, la perte annuelle de revenus de Mme Zakia A est de 12 331,32 euros à compter de l'année 2008 ; qu'eu égard à l'âge de M. C, à la date de son décès, soit 56 ans, et à la durée prévisible de la poursuite de son activité, il sera fait une juste appréciation du préjudice économique futur de Mme A en l'évaluant à la somme de 106 000 euros ; qu'en conséquence, l'intéressée a droit à une indemnité s'élevant à 30 % de ce montant, soit 31 800 euros ;

Quant au préjudice économique de M. Nourridine A :

Considérant que M. Nourridine A, qui était employé dans l'entreprise de son père, fait valoir qu'il a été contraint de faire procéder à la radiation de la société à la suite de son décès ; qu'il évalue son préjudice lié à " une perte de chance de travailler avec son père " à la somme de 30 000 euros ; que toutefois, il se borne à produire une attestation d'un expert comptable qui précise qu'il a travaillé dans l'entreprise de son père jusqu'au décès de celui-ci ; que ce document ne permet ni d'évaluer les revenus de l'intéressé, ni de connaître les raisons pour lesquelles il n'a pas poursuivi son activité ; que, dès lors, la réalité du préjudice économique résultant, pour M. Nourridine A, du décès de son père, n'est pas établie ;

Quant aux autres dépenses :

Considérant que Mme Zakia A justifie de frais correspondant aux honoraires d'un médecin conseil pour un montant de 700 euros et de frais d'obsèques pour un montant de 448 euros ; qu'en conséquence, l'indemnité à laquelle elle peut prétendre au titre de ce chef de préjudice s'élève à 30 % de ce montant, soit 344,40 euros ;

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au préjudice d'accompagnement :

Considérant qu'eu égard à la brièveté du délai qui s'est écoulé entre la prise en charge de M. C par le centre hospitalier Sud Léman Valserine et son décès, les requérants ne justifient d'aucun préjudice d'accompagnement ;

Quant à la souffrance morale :

Considérant qu'en conséquence du décès de M. C, le préjudice de Mme Zakia A au titre de la douleur morale doit être fixé à la somme de 20 000 euros ; qu'en conséquence, l'intéressée a droit à une indemnité de 30 % de ce montant, soit 6 000 euros ; qu'au titre du même chef de préjudice, l'indemnité qui doit être accordée à chacun des enfants de M. C doit être évaluée à la somme de 5 000 euros en ce qui concerne M. Nourridine A, qui travaillait avec son père, et à la somme de 4 000 euros pour chacun des autres enfants ; que, compte tenu de la fraction du préjudice indemnisable, l'indemnité à laquelle ils peuvent prétendre s'élève à la somme de 1 500 euros s'agissant de M. Nourridine A et à la somme de 1 200 euros pour chacun des autres enfants ;

Sur les intérêts :

Considérant que si les requérants demandent que les sommes que le centre hospitalier Sud Léman Valserine est condamné à leur verser soient assorties des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2009, il ne produisent à l'appui de cette demande que la copie d'une lettre adressée au centre hospitalier Sud Léman Valserine, sans justifier de la date à laquelle cette lettre a été reçue par cet établissement ; que, par suite, les requérants ont droit aux intérêts des sommes qui leur sont dues par le centre hospitalier Sud Léman Valserine à compter du 26 mai 2009, date à laquelle leur demande a été enregistrée au greffe du tribunal administratif ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Sud Léman Valserine le versement aux consorts A d'une somme globale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que la SHAM n'ayant pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, les conclusions des consorts A tendant à ce qu'elle verse une somme au titre de ces dispositions doivent, dès lors, être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 30 juin 2010 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier Sud Léman Valserine est condamné à payer les sommes de 38 144,40 euros à Mme Zakia A, 1 500 euros à M. Nourridine A, 1 200 euros à M. Rida A, 1 200 euros à Mlle Dounia A et 1 200 euros à Mlle Lilia A. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2009.

Article 3 : Le centre hospitalier Sud Léman Valserine versera au consorts A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des consorts A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Zakia A, à M. Nourridine A, à M. Rida A, à Mlle Dounia A, à Mlle Lilia A, au centre hospitalier Sud Léman Valserine, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie des professions libérales provinces et à la caisse nationale du régime social des indépendants.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2012 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Poitreau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 septembre 2012.

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N° 11LY02169 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11LY02169
Date de la décision : 27/09/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Gérard POITREAU
Rapporteur public ?: M. POURNY
Avocat(s) : CHEBBAH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-09-27;11ly02169 ?
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