Vu la requête, enregistrée le 17 mars 2011, présentée pour M. et Mme Smaïn A, domiciliés 38 rue du Docteur Schweitzer à Gueugnon (71130) et pour Mme Hamina A, domiciliée ... ;
Les consorts A demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0900022 du 13 janvier 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mâcon à leur verser les sommes de, respectivement, 50 000 euros et 15 000 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès, survenu le 21 mars 2006, de leur fils et frère, M. Mustapha C ;
2°) de prononcer la condamnation demandée ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent :
- que, dans la soirée du 14 mars 2006, après une altercation, M. Mustapha C a été hospitalisé d'office au centre hospitalier de Paray-le-Monial en vertu d'un arrêté du maire de Gueugnon ; que, dans la nuit du 14 au 15 mars, il a été transféré à l'unité de psychiatrie libre de l'hôpital des Chanaux du centre hospitalier de Mâcon ;
- que, le 15 mars, Mme Amina A a informé par téléphone l'hôpital des Chanaux de l'état de dangerosité de son frère lié à son agressivité, à ses propos menaçants envers autrui, à son manque d'hygiène corporelle et à son refus de s'alimenter ; qu'elle a également informé cet établissement des nombreuses tentatives de suicide de son frère, des nombreuses poursuites judiciaires dont il avait fait l'objet et de ce qu'à l'issue de ces procédures, il avait été déclaré irresponsable pénalement du fait de son état psychiatrique ;
- que Mme Amina A a demandé à ce que toutes ces informations soient transmises au médecin responsable de l'unité de psychiatrie libre de l'hôpital, en précisant qu'elle se tenait à sa disposition pour évoquer avec lui la situation de son frère ;
- que le 15 mars à 17 h, M. C a pourtant été autorisé à quitter seul l'hôpital ;
- qu'interrogé par la famille sur les raisons de cette sortie qui lui semblait prématurée, l'établissement a invoqué un manque de place ;
- que, le 16 mars 2006, M. C a été interpellé par les services de gendarmerie et placé en garde à vue puis mis en examen pour violences, dégradation de biens d'autrui et menaces de mort ;
- que, sur mandat de dépôt en date du 17 mars 2006, il a été placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Varennes le Grand ; que, le même jour, Mme Amina A a adressé une télécopie au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Mâcon afin de lui indiquer que l'état de son frère nécessitait des soins en milieu psychiatrique, plutôt que son maintien en prison ;
- que, le 21 mars 2006 à 23 h, M. C s'est suicidé dans sa cellule ;
- que son décès est la conséquence d'une faute dans l'organisation du service ainsi que sur le plan médical ;
- que l'équipe médicale de l'hôpital des Chanaux ne pouvait ignorer le comportement suicidaire de l'intéressé ; que les troubles dont il était atteint nécessitaient des soins et étaient de nature à compromettre la sûreté des personnes et donc à porter atteinte de façon grave à l'ordre public ; que, dans ces conditions, le certificat médical ayant permis la levée de l'hospitalisation d'office par le préfet était incontestablement entaché d'une erreur de diagnostic ;
- que c'est bien l'établissement de ce certificat médical qui a permis la sortie prématurée de M. C et, par la suite, son placement en détention puis son suicide ;
- que l'hôpital ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité au motif que M. C n'avait pas manifesté d'idées suicidaires au moment de son admission ;
- que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le compte rendu d'hospitalisation démontrait que le patient ne présentait pas de signe dépressif patent, ni d'éléments de psychose et qu'il désirait rentrer chez lui par ses propres moyens ;
- que le certificat médical rédigé par le médecin traitant faisait état d'un comportement à risque, qualifié de suicidaire ;
- que le docteur Delay avait noté dans le dossier du malade son état antérieur, ce qui aurait dû l'alerter et l'inquiéter ;
- qu'en l'absence d'une guérison de M. C, la levée de son hospitalisation ne pouvait pas être autorisée dès lors qu'il continuait à présenter un danger tant pour lui-même que pour les autres ;
- que l'argument tiré de l'absence de lits disponibles qu'a retenu l'hôpital pour se séparer de M. C constitue une faute grave dans l'organisation du service hospitalier ;
- que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la preuve de cette faute n'était pas apportée alors que le centre hospitalier de Mâcon n'a pas établi que des lits étaient disponibles lors de la période d'hospitalisation de M. C ;
- que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le délai de six jours séparant la sortie de l'établissement hospitalier de la date du suicide faisait obstacle à l'établissement d'un lien de causalité entre les deux événements ;
- que si M. C n'avait pas été admis à quitter l'hôpital, il n'aurait pas été incarcéré et il aurait pu continuer à bénéficier de soins appropriés en secteur hospitalier, ce qu'un établissement pénitentiaire ne peut offrir ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 février 2012, présenté pour le centre hospitalier de Mâcon, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient :
- que contrairement à ce qu'affirment les requérants, les circonstances dans lesquelles s'est déroulée l'hospitalisation de M. C ne justifiaient pas son maintien en hospitalisation sous contrainte ; que le fait que son état psychiatrique était susceptible, comme le prétendent les requérants, de relever d'un traitement médical ne suffit pas à établir que cet état justifiait le maintien d'une hospitalisation sous contrainte au-delà du 15 mars 2006 à 17 h ;
- qu'en application des dispositions des articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique, lorsqu'une personne est hospitalisée sans son consentement, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles qui sont nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement ;
- que les requérants ne tiennent aucun compte de cet impératif lorsqu'ils soutiennent que le psychiatre de l'établissement hospitalier n'aurait dû autoriser la levée de l'hospitalisation qu'au cas où il aurait pu démontrer la guérison de M. C ;
- que le praticien a strictement respecté le cadre de sa mission en ayant conclu que M. C ne relevait pas d'une hospitalisation d'office ;
- qu'en application des dispositions de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, la privation de liberté que constitue l'hospitalisation d'office est fondée sur l'existence de troubles mentaux et n'est applicable qu'en cas de danger immédiat pour la sûreté des personnes ; que le psychiatre qui a examiné M. C évoque uniquement un trouble de la personnalité que l'intéressé laisse paraître volontairement pour déjouer ses interlocuteurs ;
- que le psychiatre a abordé avec l'intéressé la question des nombreux antécédents psychiatriques qui sont décrits dans le dossier du centre hospitalier de Paray-le-Monial ; qu'il a pu légitimement toutefois déduire des propos et du comportement de M. C qu'il n'y avait pas lieu de le maintenir en hospitalisation sous contrainte en raison de l'absence de dangerosité pour lui-même ; qu'à la date de l'examen, le psychiatre indique qu'il n'existe pas de signe dépressif patent ;
- qu'aucune tendance suicidaire n'a été évoquée lors de l'hospitalisation qui n'avait elle-même été justifiée que par une agressivité à l'égard des tiers, ce qui a d'ailleurs conduit ultérieurement à l'incarcération de M. C ;
- que le moyen tiré de la faute dans l'organisation du service hospitalier manque en fait ; que les requérants allèguent, sans le prouver, que le centre hospitalier de Mâcon aurait mis fin à l'hospitalisation d'office de M. C en raison d'un manque de lits pour l'accueillir ;
- que le décès est intervenu plus de six jours après la sortie de l'établissement hospitalier, à une période où M. C n'était plus sous sa surveillance ; que les consorts A ne sont donc pas fondés à reprocher au centre hospitalier de Mâcon un accident qui s'est produit lorsque M. C était sous la responsabilité des autorités judiciaires ; qu'ils reconnaissent d'ailleurs avoir informé celles-ci, dès le 17 mars 2006, que l'état de M. C nécessitait des soins ;
- que les indemnités demandées sont excessives et devraient, en tout état de cause, être ramenées à de plus justes proportions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mai 2012 :
- le rapport de M. Poitreau, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;
Considérant qu'à la suite d'une altercation dans un débit de boissons, M. Mustapha C a fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation d'office prise le 14 mars 2006 par le maire de Gueugnon ; que, placé en chambre d'isolement au centre hospitalier de Mâcon, il a pu quitter cet établissement le lendemain, 15 mars 2006, au vu d'un certificat médical indiquant que le maintien de la mesure d'hospitalisation sous contrainte n'était plus justifié ; que, le même jour, cette mesure a été levée par arrêté du préfet de Saône-et-Loire ; que M. C est retourné dans le même débit de boissons où, après s'être livré à des actes de violence sur la personne du gérant et à des dégradations matérielles, il a été interpellé et placé en garde à vue ; que, placé en détention provisoire, le 17 mars 2006, M. C s'est suicidé en prison le 21 mars 2006 ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. et Mme A et de Mme Hamina A, respectivement parents et soeur de M. Mustapha C, tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mâcon à réparer leur préjudice moral résultant de ce décès ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. (...) / Dans les vingt-quatre heures suivant l'admission, le directeur de l'établissement d'accueil transmet au représentant de l'Etat dans le département et à la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 un certificat médical établi par un psychiatre de l'établissement. (...) " ;
Considérant que si les requérants soutiennent que le centre hospitalier de Mâcon aurait mis fin à l'hospitalisation de M. C en raison d'un manque de place pour l'accueillir ils ne l'établissent pas ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu de son hospitalisation le 15 mars 2006, que le patient ne présentait pas à cette date de signes dépressifs patents, ni d'éléments de psychose ; que, dans ces circonstances, en indiquant dans son certificat médical établi dans les vingt-quatre heures suivant son admission, que M. C ne relevait pas d'une mesure préfectorale d'hospitalisation d'office, le psychiatre du centre hospitalier de Mâcon n'a pas commis de faute de diagnostic de nature à engager la responsabilité de cet établissement ;
Considérant, en outre, que le suicide de M. C est intervenu six jours après sa sortie du centre hospitalier de Mâcon et alors qu'il était détenu depuis cinq jours au centre pénitentiaire de Varennes le Grand ; que, par suite, le lien de causalité entre la faute alléguée et le décès ne peut être regardé comme établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande ; que leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A et de Mme Hamina A est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Smaïn A, à Mme Hamina A, au centre hospitalier de Mâcon et à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2012 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
Mme Steck-Andrez, président-assesseur,
M. Poitreau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2012.
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N° 11LY00706 2