La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/05/2012 | FRANCE | N°11LY01364

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 03 mai 2012, 11LY01364


Vu la requête, transmise par télécopie le 6 juin 2011, confirmée le 7 juin 2011, et le mémoire ampliatif transmis par télécopie le 5 août 2011, confirmée le 9 août 2011, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON ;

Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000092 du 31 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon l'a déclaré responsable, à raison d'une faute dans l'organisation du service, et l'a condamné à verser à Mme A une indemnité de 32 850 euros au

titre de ses préjudices personnels et à la caisse primaire d'assurance maladie de...

Vu la requête, transmise par télécopie le 6 juin 2011, confirmée le 7 juin 2011, et le mémoire ampliatif transmis par télécopie le 5 août 2011, confirmée le 9 août 2011, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON ;

Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000092 du 31 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon l'a déclaré responsable, à raison d'une faute dans l'organisation du service, et l'a condamné à verser à Mme A une indemnité de 32 850 euros au titre de ses préjudices personnels et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône la somme globale de 29 237,10 euros au titre de sa créance subrogatoire ;

2°) de rejeter la demande de Mme A et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône devant le Tribunal administratif de Dijon ;

Il soutient qu'aucune faute dans l'organisation du service ne peut être reprochée à l'équipe médicale ; qu'il produit deux rapports médicaux, l'un du professeur Sagot, chef de service au CHU de Dijon, l'autre d'un gynécologue accoucheur mandaté par la SHAM, le Dr Viguier, qui critiquent le calcul horaire figurant dans le rapport d'expertise et concluent à une indication de la césarienne à 18 h 50-18 h 55 et non pas à 18 h 30 ; qu'aucune justification médicale n'imposait une césarienne avant 19 h ; que l'expert n'a pas tenu compte du délai de 10 mn impératif en raison de la réinjection locorégionale ; que la somme de 32 500 euros au titre du préjudice de stérilité ne tient pas compte du caractère limité de ce préjudice, le taux de naissance ne dépassant pas 10 à 11 % en cas de procréation par embryons congelés ; que le taux de perte de chance fixé à 90 % par l'expert est trop élevé ; que ce taux ne saurait excéder 10 %, compte tenu du fait que Mme A présentait une fragilisation de l'utérus inhérente à la précédente césarienne ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, transmis par télécopie le 20 octobre 2011, confirmée le 24 octobre 2011, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, tendant à la confirmation du jugement susvisé et à la mise à la charge du centre hospitalier de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, transmis par télécopie le 6 décembre 2011, confirmée le 8 décembre 2011, présenté pour Mme Christelle A, tendant au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la condamnation du centre hospitalier de Dijon à lui verser la somme de 67 968 euros en réparation de ses préjudices, majorée des intérêts au taux légal ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que c'est à bon droit que le Tribunal s'est fondé sur le rapport d'expertise judiciaire ; que le retard dans la décision de la césarienne constitue une faute ; que le médecin de garde n'a jamais été informé de sa situation avant 19 h ; que ces manquements révèlent des dysfonctionnements dans l'organisation du service ; que ce retard lui a fait perdre une chance d'éviter les conséquences les plus préjudiciables de la rupture utérine ; que le Tribunal a sous-évalué ses préjudices ; qu'elle a subi une incapacité temporaire partielle dont il n'a pas été tenu compte par l'expert ; que les souffrances endurées ont été évaluées à 3,5/7 par l'expert ; qu'elle a subi un déficit fonctionnel important, un préjudice d'agrément spécifique ainsi qu'un préjudice esthétique ; que son préjudice moral est important ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 mars 2012, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON, tendant aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience du 12 avril 2012, qui s'est déroulée hors la présence du public, en application de l'article L. 731-1 du code de justice administrative :

- le rapport de Mme Steck-Andrez, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;

Considérant que Mme A, alors âgée de 31 ans, a été admise au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON, le 5 février 2006, où elle a accouché de son second enfant, conçu par fécondation in vitro ; qu'une césarienne a dû être pratiquée en raison d'une rupture utérine avec déchirure de la vessie, suivie d'une hystérectomie le 25 avril 2006 ; que par jugement du 31 mars 2011, le Tribunal administratif de Dijon a retenu la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON du fait du retard fautif du médecin à pratiquer une opération par césarienne, évalué à quarante minutes, a fixé le taux de perte de chance de Mme A d'éviter une hystérectomie à 90 % du dommage corporel, et a condamné le centre hospitalier à verser à la victime une indemnité de 32 850 euros au titre de ses préjudices personnels et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône la somme globale de 29 237,10 euros au titre de sa créance subrogatoire ; que par les voies de l'appel principal et de l'appel incident, le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON, d'une part, et Mme A, d'autre part, contestent ce jugement ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône demande la confirmation du jugement en tant qu'il condamne le centre hospitalier à lui verser la somme de 29 237,10 euros ;

Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions de l'expert désigné par le tribunal administratif, que si l'indication d'accouchement par voie basse du second enfant de Mme A était conforme aux bonnes pratiques, bien que celle-ci ait accouché de son premier enfant par césarienne, l'existence d'un utérus cicatriciel devait appeler à une particulière vigilance ; que la sage-femme devait, dès lors, en référer au médecin de garde, dès l'instant où le travail cesserait d'être physiologique ; qu'en l'espèce, au cours du travail, la stagnation de la dilatation pendant plus de deux heures, de 16 heures à 18 heures 30 environ, les anomalies du rythme cardio-foetal, même mineures, et la présence de sang dans les urines constatée à 17 heures 10, auraient dû être immédiatement signalées au médecin de garde ; qu'il est constant que celui-ci n'a été alerté qu'à 19 heures, lorsque les signes de souffrance foetale sont apparus ; qu'il en est résulté un retard d'environ 40 minutes dans la décision de pratiquer la césarienne ; que les rapports médicaux produits par le centre hospitalier, dont il ne ressort pas que le médecin de garde ait été régulièrement tenu informé de la situation de Mme A, ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert désigné par le Tribunal ; que le retard dans la décision de pratiquer la césarienne constitue une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ;

Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que si l'opération par césarienne avait été plus précoce, elle n'aurait pas empêché la rupture utérine mais aurait permis d'éviter l'extension préjudiciable des lésions de l'utérus et de la vessie ; que dans ces conditions, le retard fautif a fait perdre à Mme A une chance d'éviter l'hystérectomie qui l'a privée à l'âge de 31 ans de toute possibilité de nouvelle grossesse ; qu'eu égard à l'importante probabilité qu'avait Mme A d'éviter une hystérectomie, le Tribunal a fait une juste appréciation de l'ampleur de cette perte de chance en l'évaluant à 90 % et en mettant à la charge du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON la réparation de cette fraction du dommage corporel ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de prescrire une nouvelle expertise, le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Dijon a retenu sa responsabilité à raison de la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier et a fixé à 90 % l'ampleur de la chance perdue par Mme A d'éviter les conséquences préjudiciables du dommage ;

Sur les préjudices subis par Mme A et les droits de la caisse primaire d'assurance-maladie de la Haute-Saône :

Considérant que la caisse primaire d'assurance-maladie de la Haute-Saône exerce sur les réparations dues au titre du préjudice subi par Mme A, les recours subrogatoires prévus aux articles 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu de statuer poste par poste sur ce préjudice et sur les droits respectifs de la victime et de la caisse, en application des dispositions de ces articles telles qu'elles ont été modifiées par la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, qui s'appliquent à la réparation des dommages résultant d'évènements antérieurs à la date d'entrée en vigueur de cette loi dès lors que, comme en l'espèce, le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixé avant cette date ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Quant aux dépenses de santé :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône justifie qu'elle a pris en charge des frais médicaux en lien avec la faute commise par l'hôpital d'un montant total de 31 333,66 euros ; que compte tenu de la fraction de 90 % retenue ci-dessus, le Tribunal a fait une exacte évaluation de ses droits en lui accordant le remboursement de la somme de 28 200,30 euros ; que Mme A n'allègue pas que des frais médicaux seraient restés à sa charge ;

Quant aux pertes de revenu :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône justifie également avoir versé à Mme A des indemnités journalières du 10 au 27 février 2006, soit 18 jours et des indemnités journalières du 24 avril au 11 mai 2006 soit à nouveau 18 jours ; que ces débours s'élèvent à 1 152 euros à ce titre ; que compte tenu de la fraction de 90 %, le Tribunal a fait une exacte évaluation de ses droits en lui accordant le remboursement de la somme de 1 036,80 euros ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant que l'expert a fixé à 20 % le taux de l'incapacité permanente partielle de Mme A résultant de la stérilité, tenant ainsi compte du caractère limité dans le temps des possibilités de procréation médicale assistée ; qu'eu égard à l'âge de l'intéressée ainsi qu'aux périodes d'incapacité liées à son hospitalisation, le tribunal administratif a fait une juste appréciation des troubles divers dans ses conditions d'existence, y compris le préjudice d'agrément et le préjudice moral, en les évaluant, avant application du taux de 90 %, à la somme de 32 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice esthétique, coté 0,5/7, en l'évaluant à 500 euros, et des souffrances endurées, classées au niveau 3,5 sur une échelle de 1 à 7, en les évaluant à 4 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices personnels de Mme A s'élèvent ainsi à la somme de 37 000 euros ; que, par suite, compte tenu de la chance perdue, elle peut prétendre à ce titre à la somme de 33 300 euros qui portera intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2009, date à laquelle sa réclamation préalable est parvenue au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON ;

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 997 euros auquel elle est fixée, à la date du présent arrêt, par l'arrêté interministériel du 29 novembre 2011 ; qu'il y a lieu de porter à ce montant l'indemnité de 980 euros allouée à ce titre en première instance et de mettre la somme de 997 euros à la charge du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON une somme quelconque au titre des frais exposés par Mme A et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON est rejetée.

Article 2 : L'indemnité totale que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON a été condamné à payer à Mme A par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Dijon du 31 mars 2011 est portée à 33 300 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2009.

Article 3 : L'indemnité de gestion allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône par l'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Dijon du 31 mars 2011 en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale est portée à la somme de 997 euros.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Dijon du 31 mars 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE DIJON, à Mme Christelle A et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2012 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Steck-Andrez, président-assesseur,

M. Poitreau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 mai 2012.

''

''

''

''

1

2

N° 11LY01364


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11LY01364
Date de la décision : 03/05/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Frédérique STECK-ANDREZ
Rapporteur public ?: M. POURNY
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-05-03;11ly01364 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award