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06/03/2012 | FRANCE | N°11LY01286

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Formation plenière, 06 mars 2012, 11LY01286


Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 17 mai 2011 et régularisée le 23 mai 2011, présentée pour M. Sébastien A, domicilié au ..., par Me Giraudet, avocat ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000656, du 17 mars 2011, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2009 par lequel le maire de Clermont-Ferrand l'a suspendu de ses fonctions, et la décision du 18 mars 2010 rejetant son recours gracieux ;

2°) d'annuler lesdites décisions ; >
3°) de mettre à la charge de la commune de Clermont-Ferrand la somme de 1 500 euros au t...

Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 17 mai 2011 et régularisée le 23 mai 2011, présentée pour M. Sébastien A, domicilié au ..., par Me Giraudet, avocat ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000656, du 17 mars 2011, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2009 par lequel le maire de Clermont-Ferrand l'a suspendu de ses fonctions, et la décision du 18 mars 2010 rejetant son recours gracieux ;

2°) d'annuler lesdites décisions ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Clermont-Ferrand la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le jugement est entaché d'irrégularité, car le magistrat qui a présidé l'audience du tribunal administratif, le 24 février 2011, avait auparavant présidé le conseil de discipline, le 12 octobre 2010 ; qu'en outre le compte-rendu du conseil de discipline, qui a décidé du report de l'affaire, a estimé qu'une partie des faits reprochés à l'agent était établie ; que cette situation méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les règles générales de la procédure administrative ; que le président du conseil de discipline a pris parti dans un sens défavorable à M. A, ce qui méconnaît la réalité des débats, la présomption d'innocence et le droit à un procès équitable ; que le président du tribunal administratif a préjugé, à l'audience, de l'issue du litige ; que les délégations de signature produites, par leur généralité, ne fondent pas la compétence des autorités qui ont signé les décisions en litige ; que le jugement n'est pas motivé sur ce point ; que la suspension, prise tardivement, est contraire à l'intérêt du service et, par suite, illégale ; que cette décision est entachée de détournement de pouvoir ; qu'elle est manifestement erronée, la vraisemblance des faits, qui sont anciens, et leur caractère de gravité, n'étant pas établis ; que M. A n'a pas pu se faire entendre avant le prononcé de la suspension ; qu'il n'a jamais eu ni comportement raciste ni sanction disciplinaire, et que la configuration du service est incompatible avec toute forme de dérive ; que ses qualités humaines et professionnelles sont attestées par ses collègues, et que les accusations sont diffamatoires ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

Vu l'ordonnance du 29 septembre 2011 fixant la clôture de l'instruction au 21 octobre 2011, à 16h30 ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 octobre 2011, présenté pour la commune de Clermont-Ferrand, représentée par son maire en exercice, par Me Michel, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. A, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La commune soutient que si le magistrat qui a présidé l'audience du 24 février 2011 a également présidé le conseil de discipline du 12 octobre 2010, cette circonstance est sans effet sur la décision litigieuse du 9 décembre 2009 ; que c'est en application de l'article R. 731-1 du code de justice administrative qu'il a veillé au bon ordre de l'audience ; que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que les dispositions de l'arrêté du 25 mars 2008 donnaient aux signataires des décisions attaquées compétence pour les signer ; qu'aucun retard à agir contraire à l'intérêt du service ne peut être reproché à la commune ; que la suspension, qui ne présente pas le caractère d'une sanction, n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire ; que les griefs établis présentaient, sans que la décision attaquée soit entachée d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir, un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ;

Vu l'ordonnance du 24 octobre 2011 reportant la clôture de l'instruction au 18 novembre 2011 à 16h30 ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 novembre 2011, par lequel M. A persiste dans ses écritures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 février 2012 :

- le rapport de M. Rabaté, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;

- les observations de Me Giraudet, pour M. A ;

Considérant que M. A, rédacteur territorial, demande à la Cour d'annuler le jugement du 17 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2009 par lequel le maire de la commune de Clermont-Ferrand l'a suspendu de ses fonctions, ensemble la décision du 18 mars 2010 rejetant son recours gracieux ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que les règles générales de la procédure juridictionnelle font obstacle à ce qu'un magistrat participe à une formation de jugement appelée à se prononcer sur un litige relatif à des faits dont il a eu à connaître dans le cadre de ses activités administratives ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le président de la formation qui a rendu le jugement attaqué a également présidé le conseil de discipline appelé, le 12 octobre 2010, à émettre un avis sur les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de M. A ; que si le conseil de discipline a décidé du report de l'affaire, il ressort de l'avis motivé qu'il a émis pour justifier sa position, qu'à cette occasion, le dit conseil, et donc son président, ont examiné les faits reprochés à l'agent, lesquels ont également motivé la suspension de ce dernier ; que la participation du magistrat ayant présidé le conseil de discipline à la formation de jugement appelée à statuer sur la légalité de la mesure de suspension est, dans ces conditions, contraire aux principes susmentionnés ; que le jugement attaqué doit, pour ce motif, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par M. A ;

Sur la légalité de la suspension :

Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. " ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'examen de l'arrêté du maire de Clermont-Ferrand du 25 mars 2008 qu'il donnait délégation au 4ème adjoint au maire, M. B, signataire de l'arrêté de suspension du 9 décembre 2009, pour les décisions relatives aux ressources humaines ; qu'ainsi l'arrêté du 25 mars 2008, suffisamment précis, habilitait M. B à statuer sur les mesures de suspension des agents municipaux ; que, par suite, l'arrêté du 9 décembre 2009 n'est pas entaché d'incompétence ;

Considérant, en deuxième lieu, que la mesure de suspension, qui est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service, ne présente pas, par elle-même, un caractère disciplinaire ; qu'il suit de là que M. A n'est pas fondé à soutenir qu'elle devait intervenir après observation des droits de la défense ; que les irrégularités qui entacheraient la séance du conseil de discipline du 12 octobre 2010 et son compte-rendu, postérieurs aux décisions attaquées, sont sans incidence sur la légalité de ces dernières ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aucun texte n'impose un délai pour prendre une mesure de suspension ; qu'au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté de suspension ait été pris avec un retard contraire à l'intérêt du service ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport établi par le directeur des services à la population le 23 novembre 2009, lequel s'était entretenu préalablement avec sept agents, et des témoignages d'agents du service de l'état-civil produits, qui ne sont pas infirmés par les attestations peu circonstanciées produites par M. A, que ce dernier, rédacteur territorial chargé d'encadrer les agents du guichet du service de l'état-civil de la mairie de Clermont-Ferrand, a tenu des propos agressifs à l'encontre de collègues, allant jusqu'à l'altercation et la menace avec deux d'entre eux, a dénigré d'autres collègues devant le public, et a tenu des propos racistes ; que l'intéressé a, en outre, fait preuve à plusieurs reprises, à l'égard d'agents féminins, titulaires ou stagiaires, de familiarité, de gestes déplacés, ainsi que d'un comportement entreprenant susceptible de générer malaise et crainte chez ces personnes ; que si le requérant argue de l'ancienneté des griefs, le dernier incident qui lui est reproché est survenu le 7 mai 2009 ; que dans ces conditions, même si M. A n'avait pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire, les faits relevés à son encontre présentaient un caractère de vraisemblance, et, eu égard à ses fonctions d'encadrement, de gravité suffisantes pour justifier légalement la mesure de suspension attaquée ;

Considérant, en dernier lieu, que le détournement de pouvoir allégué, lié à la rivalité qui opposerait M. A à deux collègues, n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2009 qui l'a suspendu de ses fonctions ni par voie de conséquence, de la décision du 18 mars 2010 rejetant son recours gracieux, le requérant ne pouvant pas utilement se prévaloir des vices propres dont cette dernière serait entachée, selon lui ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de ces dispositions : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1000656 du 17 mars 2011 du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Sébastien A et à la commune de Clermont-Ferrand.

Délibéré après l'audience du 29 février 2012 à laquelle siégeaient :

M. Le Gars, président de la Cour,

M. Fontanelle, président de chambre,

M. du Besset, président de chambre,

M. Chanel, président de chambre,

M. Duchon-Dorris, président de chambre,

M. Clot, président de chambre,

M. Moutte, président de chambre,

M. Rabaté, président-assesseur,

M. Bézard, président.

Lu en audience publique, le 6 mars 2012.

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N° 11LY01286


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Formation plenière
Numéro d'arrêt : 11LY01286
Date de la décision : 06/03/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - DISCIPLINE - SUSPENSION - MAGISTRAT PARTICIPANT À UNE FORMATION DE JUGEMENT APPELÉE À SE PRONONCER SUR UN LITIGE RELATIF À DES FAITS DONT IL A EU À CONNAÎTRE ET À EXAMINER DANS LE CADRE DE SES ACTIVITÉS ADMINISTRATIVES - EFFET - VIOLATION DES RÈGLES GÉNÉRALES DE LA PROCÉDURE - CONSÉQUENCE - IRRÉGULARITÉ DE LA COMPOSITION DE LA FORMATION DE JUGEMENT.

36-09-01 Le président de la formation de jugement qui a statué sur un litige relatif à la suspension d'un agent public a eu antérieurement à connaître et à examiner les faits reprochés à l'agent lorsqu'il a présidé le conseil de discipline appelé à émettre un avis sur les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de cet agent. Les griefs qui ont motivé la suspension et l'engagement des poursuites disciplinaires sont identiques. La participation de ce magistrat à la formation de jugement appelée à se prononcer sur la légalité de la mesure de suspension méconnaît les règles générales de la procédure juridictionnelle. Dès lors le jugement est irrégulier.,,,Annulation du jugement de première instance.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - RÈGLES GÉNÉRALES DE PROCÉDURE - COMPOSITION DES JURIDICTIONS - MAGISTRAT PARTICIPANT À UNE FORMATION DE JUGEMENT APPELÉE À SE PRONONCER SUR UN LITIGE RELATIF À DES FAITS DONT IL A EU À CONNAÎTRE ET À EXAMINER DANS LE CADRE DE SES ACTIVITÉS ADMINISTRATIVES - EFFET - VIOLATION DES RÈGLES GÉNÉRALES DE LA PROCÉDURE - CONSÉQUENCE - IRRÉGULARITÉ DE LA COMPOSITION DE LA FORMATION DE JUGEMENT.

37-03-05 Le président de la formation de jugement qui a statué sur un litige relatif à la suspension d'un agent public a eu antérieurement à connaître et à examiner les faits reprochés à l'agent lorsqu'il a présidé le conseil de discipline appelé à émettre un avis sur les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de cet agent. Les griefs qui ont motivé la suspension et l'engagement des poursuites disciplinaires sont identiques. La participation de ce magistrat à la formation de jugement appelée à se prononcer sur la légalité de la mesure de suspension méconnaît les règles générales de la procédure juridictionnelle. Dès lors le jugement est irrégulier.,,,Annulation du jugement de première instance.


Références :

[RJ1]

Cf CAA Lyon - 6 novembre 2000 - N° 97LY01591-97LY2102 - Centre médico-chirurgical de Tronquières,,

[RJ2]

Comparer CE section 4 février 2008 - M. André - N° 270119.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GARS
Rapporteur ?: M. Vincent RABATE
Rapporteur public ?: Mme SCHMERBER
Avocat(s) : GIRAUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-03-06;11ly01286 ?
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