Vu la requête, enregistrée le 11 octobre 2010 au greffe de la Cour, présentée pour la SAS TRANSPORTS ALAINE, dont le siège est ZI Sud, rue de la Grosne, BP 62039 à Mâcon (71020), représentée par son gérant en exercice ;
La SAS TRANSPORTS ALAINE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0900794, en date du 1er juillet 2010, par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ou, à défaut, les intérêts au taux légal prévus à l'article 1153 du code civil, à la suite de la récupération, au cours de l'année 2006, de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses dépenses de péages autoroutiers pendant la période de 1996 à 2000 ;
2°) d'ordonner le paiement de ces intérêts moratoires, pour un total de 219 285,07 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais qu'elle a exposés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- sa situation n'étant pas couverte par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, il lui est possible d'invoquer les dispositions de l'article 1153 du code civil ; qu'elle a droit au versement d'intérêts moratoire sur ce fondement, dès lors que l'Etat doit être regardé comme ayant été condamné au paiement des droits de taxe sur la valeur ajoutée dont il s'agit ; que l'avis rendu à ce sujet par la Cour de justice des communautés européennes le 28 août 1989 constitue la première sommation de payer, ou au plus tard la décision du Conseil constitutionnel du 1er janvier 1996 ;
- l'article L. 208 du livre des procédures fiscales est en lui-même contraire aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; qu'il conduit en effet à un enrichissement sans cause de l'Etat, au mépris du respect des biens, sans que cela soit justifié par l'intérêt général ; qu'il introduit en outre des discriminations injustifiées entre contribuables ;
- s'agissant de l'enrichissement sans cause, le jugement n'est pas motivé quant au refus d'appliquer l'article 1371 du code civil ;
- le décompte des intérêts moratoires qui lui sont dus doit être fait à compter de la date à laquelle elle aurait dû imputer la taxe sur la valeur ajoutée, c'est-à-dire le mois suivant le paiement des péages concernés ; ces intérêts moratoires doivent être liquidés, jusqu'au 31 décembre 2005, au taux de l'intérêt légal, et, à compter du 1er janvier 2006, au taux de l'intérêt de retard de 0,40 % par mois ; sur ces bases, leur montant doit être fixé à 219 285,07 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 février 2011, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, tendant au rejet de la requête de la SAS TRANSPORTS ALAINE ; le ministre soutient que la société requérante n'est pas fondée à solliciter le remboursement d'intérêts moratoires sur le fondement de l'article 1153 du code civil, dès lors que la société à elle-même renoncé à obtenir satisfaction par la voie contentieuse ; qu'en l'absence de taxe sur la valeur ajoutée dont la société requérante aurait pu demander le remboursement, l'Etat n'était débiteur d'aucune obligation consistant au paiement d'une somme d'argent ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article 1153 du code civil ne sont pas applicables en l'espèce dès lors que les conditions de paiement d'intérêts moratoires étaient prévues par les dispositions particulières de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; qu'il n'y a pas atteinte au droit de propriété, dès lors que la société a elle-même choisi de ne pas utiliser la voie contentieuse et que l'espérance légitime de se voir allouer des intérêts moratoires ne peut être analysée comme un bien ; qu'il n'y a pas davantage atteinte au principe de non-discrimination, dès lors que les contribuables pouvant bénéficier des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales sont placés dans une situation juridique distincte ; que les conditions ne sont pas remplies pour que la société puisse revendiquer un enrichissement sans cause de l'Etat ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article 1371 du code civil ne sont pas applicables dès lors qu'existe l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 septembre 2011 :
- le rapport de M. Montsec, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Monnier, rapporteur public ;
Considérant que la SAS TRANSPORTS ALAINE, société de transport routier usager des autoroutes exploitées par différentes sociétés concessionnaires, a acquitté au cours de la période allant de 1996 à 2000 des péages ayant été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ; que l'administration fiscale a précisé les modalités d'exercice du droit à déduction de la taxe exigible au titre de ces péages, reconnu aux transporteurs routiers assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article 271 du code général des impôts, dans les réponses ministérielles à MM. Rochebloine et Boisserie, députés, publiées aux journaux officiels de l'Assemblée nationale des 5 décembre 2006 et 26 décembre 2006 nos 107775 et 109923, p. 12745 et 13646, aux termes desquelles les entreprises de transport routier sont fondées à récupérer la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages qu'elles ont acquittés entre 1996 et 2000, soit par voie d'imputation directe sur leur déclaration de chiffre d'affaires et le cas échéant par le remboursement de crédit de taxe en résultant, soit par voie de réclamation contentieuse à l'appui desquelles elles devront apporter des justificatifs ; que la SAS TRANSPORTS ALAINE a imputé la taxe litigieuse sur ses déclarations de chiffre d'affaires CA3 souscrites en octobre 2006 ;
Considérant, en premier lieu, que, d'une part, aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. (...) ;
Considérant que, d'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) ; qu'aux termes de l'article 242-0 A de l'annexe II au même code : Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la SAS TRANSPORTS ALAINE a imputé la taxe ayant grevé les péages, acquittée entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000, sur la taxe sur la valeur ajoutée due, renonçant ainsi à la réclamation qu'elle avait présentée dans un premier temps ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un excédent de taxe déductible aurait alors fait l'objet d'une demande de remboursement, dont l'obtention eût été susceptible de caractériser un dégrèvement contentieux de même nature que celui prononcé par un tribunal au sens de l'article L. 208 précité du livre des procédures fiscales, dans les conditions fixées par les articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts, ni même, contrairement à ce que soutient la société requérante, d'une réclamation sur le fondement de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que le montant de la taxe que la SAS TRANSPORTS ALAINE a imputée sur ses déclarations ne peut, par suite, ouvrir droit au versement d'intérêts moratoires sur le fondement des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, ce que la société requérante ne conteste d'ailleurs pas ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;
Considérant que la société requérante, qui, à défaut d'avoir maintenu sa réclamation, était dans une situation différente de celle des contribuables ayant présenté et maintenu une telle réclamation, et qui avait choisi elle-même de se placer dans cette situation en imputant la taxe sur la valeur ajoutée en litige dans ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée de l'année 2006, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions susmentionnées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales méconnaîtraient le principe de non-discrimination et seraient ainsi contraires aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1153 du code civil : Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit (...) ; que ces dispositions s'appliquent, sauf disposition législative spéciale, en cas de retard pris par une personne publique à exécuter une obligation consistant dans le paiement d'une somme d'argent ; qu'en l'absence en l'espèce de crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont la SAS TRANSPORTS ALAINE aurait pu demander le remboursement, l'Etat n'était débiteur à son égard d'aucune obligation consistant au paiement d'une somme d'argent ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante à l'instance, une telle obligation ne pouvait résulter de l'avis de la commission du 28 août 1989 et de la décision de la Cour de justice des communautés européennes du 12 septembre 2000 disant pour droit que les frais de péage autoroutiers entraient dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée et donc que la taxe implicitement incluse dans ces frais présentait un caractère déductible pour les usagers qui les avaient payés ; qu'au surplus, aucune sommation de payer une somme au principal n'était en l'espèce susceptible de constituer une sommation de payer ou acte équivalent au sens desdites dispositions ; que, dans ces conditions, la SAS TRANSPORTS ALAINE ne peut demander le paiement d'intérêts sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1153 du code civil ;
Considérant, en quatrième lieu, que la SAS TRANSPORTS ALAINE qui, ainsi qu'il est dit ci-dessus, a choisi d'imputer la taxe sur la valeur ajoutée en litige sur ses déclarations et a de ce fait renoncé à présenter une réclamation à l'administration, n'est pas fondée à invoquer un enrichissement sans cause de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 1371 du code civil, au seul motif qu'elle ne peut en conséquence prétendre au versement d'intérêts moratoires ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS TRANSPORTS ALAINE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ; que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au demeurant non chiffrées, doivent être rejetées par voie de conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS TRANSPORTS ALAINE est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS TRANSPORTS ALAINE et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2011, à laquelle siégeaient :
M. Duchon-Doris, président de chambre,
M. Montsec, président-assesseur,
Mme Besson-Ledey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 octobre 2011.
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N° 10LY02406