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12/07/2011 | FRANCE | N°11LY00721

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 3ème chambre, 12 juillet 2011, 11LY00721


Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 18 mars 2011 et régularisée le 21 mars 2011, présentée par le PREFET DE LA SAVOIE ;

Le PREFET DE LA SAVOIE demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1101010 du 23 février 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 19 février 2011 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Muslum A, ainsi que sa décision distincte du même jour fixant le pays de destination de cette mesure de police, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situati

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Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 18 mars 2011 et régularisée le 21 mars 2011, présentée par le PREFET DE LA SAVOIE ;

Le PREFET DE LA SAVOIE demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1101010 du 23 février 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 19 février 2011 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Muslum A, ainsi que sa décision distincte du même jour fixant le pays de destination de cette mesure de police, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de M. Muslum A et de délivrer à celui-ci une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois suivant la notification dudit jugement, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, au profit du conseil de M. Muslum A, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Il soutient que M. Muslum A entrait dans le champ d'application des dispositions du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. Muslum A est suffisamment motivé en fait et en droit ; que celui-ci ne peut se voir délivrer un titre de séjour en qualité de conjoint de française dès lors qu'il ne possède pas de visa de long séjour ; que M. Muslum A n'établit pas qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il se trouverait exposé à un risque réel pour sa personne du fait des autorités de cet Etat pour s'être soustrait à ses obligations militaires ; que l'arrêté du 19 février 2011 en litige n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré à la Cour par télécopie le 26 mai 2011 et régularisée le 1er juin 2011, présenté pour M. Muslum A, domicilié 733 rue du Bertillet à Chambéry (73000) ;

M. Muslum A demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du PREFET DE LA SAVOIE ;

2°) d'enjoindre au PREFET DE LA SAVOIE de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient qu'il ne peut pas envisager de retourner en Turquie pour y demander la délivrance d'un visa de long séjour en raison des dangers qui le menacent ; que, par suite, le PREFET DE LA SAVOIE, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du paragraphe 4 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif qu'il ne possède pas de visa de long séjour, a commis une erreur manifeste d'appréciation et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le mémoire enregistré à la Cour par télécopie le 28 juin 2011 et régularisée le 1er juillet 2011, présenté par le PREFET DE LA SAVOIE qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 juillet 2011 :

- le rapport de M. Fontanelle, président ;

- les observations de M. Muslum A ;

- et les conclusions de M. Reynoird, rapporteur public ;

- la parole ayant été donnée à nouveau à M. Muslum A ;

Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire prise depuis au moins un an ; (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Muslum A, de nationalité turque, a fait l'objet d'une décision du PREFET DE LA SAVOIE en date du 12 février 2010 lui faisant obligation de quitter le territoire français ; que cette décision, qui lui a été notifiée le 17 février 2010 et dont la légalité a été confirmée par un jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 27 mai 2010 devenu définitif, était exécutoire et avait été prise depuis au moins un an à la date de l'arrêté de reconduite à la frontière en litige, le 19 février 2011 ; que, par suite, M. Muslum A était dans le cas prévu par les dispositions du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement :

Considérant que, pour annuler la décision du 19 février 2011 par laquelle le PREFET DE LA SAVOIE a ordonné la reconduite à la frontière de M. Muslum A et la décision subséquente, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a retenu que la mesure d'éloignement a porté au droit de M. Muslum A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et a, ainsi, méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'intéressé, entré en France en 2006, a épousé à Chambéry le 12 juillet 2008 une Française qui est pourvue d'un emploi stable ; qu'il a de nombreux membres de sa famille en France et qu'il bénéficie d'une promesse d'embauche ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ;

Considérant qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que M. Muslum A, qui déclare être entré irrégulièrement en France en 2006, n'a pas obtempéré à l'obligation de quitter le territoire français qui lui était faite et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents et onze de ses frères et soeurs et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de vingt ans ; que, dans ces conditions, l'arrêté du 19 février 2011 par lequel le PREFET DE LA SAVOIE a ordonné la reconduite à la frontière de M. Muslum A n'a pas porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par conséquent, cette décision n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le PREFET DE LA SAVOIE est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière pour violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, par voie de conséquence, la décision du même jour fixant le pays de destination de cette mesure de police ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. Muslum A, tant devant le Tribunal administratif que devant la Cour ;

Sur l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant que l'arrêté du 19 février 2011 en litige énonce les dispositions dont il fait application et les éléments de fait qui justifient la mesure d'éloignement édictée à l'encontre de M. Muslum A ; qu'il est ainsi suffisamment motivé ;

Considérant qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) ; qu'aux termes de l'article L. 311-7 du même code : Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour compétences et talents sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois. et qu'aux termes de l'article L. 211-2-1 dudit code : La demande d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d'un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande. (...) le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur la demande de visa de long séjour formée par le conjoint de Français dans les meilleurs délais. (...) ;

Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, M. Muslum A est entré irrégulièrement en France en 2006 ; qu'il n'est pas contesté qu'à la date de la mesure d'éloignement en litige, il n'était pas titulaire d'un visa de long séjour ; que, par suite, M. Muslum A n'est pas fondé à soutenir qu'il pouvait se voir attribuer de plein droit un titre de séjour sur le fondement des dispositions du paragraphe 4 de l 'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ;

Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés dans le cadre de l'examen du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision ordonnant la reconduite à la frontière de M. Muslum A n'a pas méconnu les dispositions du paragraphe 7 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant que M. Muslum A, titulaire d'un passeport en cours de validité, n'établit pas qu'il serait dans l'impossibilité de retourner en Turquie en vue d'obtenir des autorités consulaires françaises installées dans ce pays le visa de long séjour requis par les dispositions de l'article L. 311-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. et que ce dernier texte énonce que Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ;

Considérant que M. Muslum A fait valoir qu'il avait décidé de fuir son pays en 2006 pour rejoindre la France afin de ne pas effectuer son service militaire, alors qu'il devait y être appelé prochainement ; qu'il serait susceptible de faire l'objet d'une condamnation pénale en Turquie pour s'être soustrait à ses obligations militaires et que s'il devait effectuer son service militaire dans ce pays, il serait amené à combattre les mouvements de guérilla kurde ; que, toutefois, M. Muslum A n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations ; qu'en particulier, la traduction d'un document rédigé en langue turque, présenté comme un appel au service militaire édicté le 27 mai 2010, comporte des incohérences ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision du 19 février 2011 portant reconduite à la frontière de M. Muslum A, ainsi que sa décision du même jour fixant le pays de destination de cette mesure de police, et lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de M. Muslum A et de délivrer à celui-ci une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois suivant la notification dudit jugement ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions aux fins d'injonction et de mise à la charge de l'Etat des frais exposés par M. Muslum A et non compris dans les dépens, présentées en appel par celui-ci ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1101010 du 23 février 2011 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. Muslum A devant le Tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au PREFET DE LA SAVOIE, à M. Muslum A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Lu en audience publique, le 12 juillet 2011.

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N° 11LY00721

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 11LY00721
Date de la décision : 12/07/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guy FONTANELLE
Rapporteur public ?: M. REYNOIRD
Avocat(s) : CLEMENTINE FRANCES ET AUDREY LEREIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2011-07-12;11ly00721 ?
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