Vu la requête, enregistrée à la Cour le 20 octobre 2010, présentée pour M. Mohamed A, domicilié 45, place Jacquemart à Romans-sur-Isère (26100) ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002651, en date du 17 septembre 2010, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Drôme, du 10 juin 2010, portant retrait de sa carte de résident, obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et désignation du pays à destination duquel il serait reconduit à l'expiration de ce délai, à défaut pour lui d'obtempérer à l'obligation de quitter le territoire français qui lui était faite ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme, en cas d'annulation de l'arrêté contesté pour un motif de fond, de lui délivrer une carte de résident dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, en cas d'annulation de l'arrêté contesté pour un motif de forme, de réexaminer sa situation dans le délai de trente jours à compter du notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que le préfet de la Drôme a méconnu les stipulations de l'article 10, point f, de l'accord franco-tunisien en lui retirant sa carte de résident ; que l'accord franco-tunisien prévoit expressément que les années passées sous couvert d'un faux titre de séjour sont comptabilisées au titre des dix ans de séjour habituel en France pour l'obtention d'un titre de séjour ; que sa présence en France n'est pas de nature à troubler gravement l'ordre public ; que la fraude alléguée par le préfet ne pouvait concerner que la délivrance de son premier titre de séjour et que le titre de séjour délivré après l'annulation de son mariage avec une ressortissante française a été légalement obtenu ; qu'il s'est écoulé plus de dix-huit ans et demi entre la date du jugement d'annulation de son mariage avec une ressortissante française et la date de retrait de son titre de séjour en litige et que ce délai de tolérance ne peut pas lui être opposé ; qu'il est régulièrement entré en France en juillet 1989 et y a résidé de manière continue pendant presque vingt-et-un ans ; que, par suite, il a droit à une carte de résident ; que la décision de retrait de son titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, a porté à son droit au respect de sa vie privée une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise, est vaguement motivée et est entachée de détournement de pouvoir ; que l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre a méconnu les dispositions des points 4 et 5 de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 3 décembre 2010 à la Cour et régularisé le 14 janvier 2011, présenté par le préfet de la Drôme, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que M. A devait avoir connaissance de l'annulation de son mariage avec une ressortissante française pour pouvoir se remarier avec une compatriote ; que, le premier mariage du requérant ayant été annulé faute de consentement des époux, les années de résidence de M. A en France ne peuvent pas être prises en compte ; que les services de la préfecture n'ont commis aucune erreur dans l'instruction du dossier du requérant ; que, même si le mariage n'a pas été entaché d'une fraude, le requérant a quitté le territoire français pendant une période de plus de trois ans consécutifs et il s'ensuit que sa carte de résident était périmée en vertu de l'article L. 314-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la décision contestée n'a pas porté au droit de M. A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ; que M. A, qui ne pouvait pas prétendre à la délivrance d'un titre de séjour, pouvait faire l'objet d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français ; que la décision fixant le pays de destination n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 mars 2011 :
- le rapport de M. Le Gars, président,
- et les conclusions de M. Reynoird, rapporteur public ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, ressortissant tunisien né le 15 janvier 1969, est entré en France en juillet 1989, a épousé une ressortissante française le 14 octobre 1989 et a obtenu une carte de résident, valable du 14 octobre 1991 au 13 octobre 2001, sur le fondement des stipulations, alors en vigueur, de l'article 10, point a, de l'accord franco-tunisien ; que le Tribunal de grande instance de Valence a prononcé, dans un jugement du 8 janvier 1992, la nullité du mariage contracté entre le requérant et son épouse française faute de consentement, après avoir constaté que celle-ci n'avait épousé M. A que dans le seul but de permettre à ce dernier de régulariser sa situation administrative ; que M. A a épousé une compatriote le 12 novembre 1994, en Tunisie, et a eu deux enfants avec celle-ci, nés le 12 décembre 1995 et le 1er décembre 1998 ; que la carte de résident du requérant a été renouvelée en 2001 par le préfet de la Drôme, qui n'avait connaissance, lors de la demande de renouvellement, ni de la nullité du premier mariage, ni de l'existence du second mariage ; que M. A a déposé une demande de regroupement familial au profit de son épouse et de ses deux enfants le 22 mars 2005, que le dossier de cette demande n'a été complet que le 28 mai 2009 et que ladite demande a été rejetée par le préfet de la Drôme le 23 avril 2010 ; que, par les décisions contestées du 10 juin 2010, le préfet de la Drôme a prononcé le retrait, pour fraude, de la carte de résident de M. A, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ; que l'intéressé fait appel du jugement du 17 septembre 2010, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces trois décisions ;
Sur la légalité de la décision portant retrait de la carte de résident :
Considérant que la décision du préfet de la Drôme, du 10 juin 2010, portant retrait de la carte de résident de M. A comporte les éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait insuffisamment motivée doit être écarté ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité compétente, s'il est établi que le mariage d'un ressortissant étranger avec un conjoint de nationalité française a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, de faire échec à cette fraude ; qu'un titre de séjour obtenu ainsi frauduleusement ne crée aucun droit au bénéfice de l'intéressé et peut être retiré par le préfet à tout moment, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir ;
Considérant qu'il ressort des mentions de l'arrêté contesté que, pour apprécier le caractère frauduleux du mariage de M. A avec une ressortissante française, le préfet de la Drôme s'est fondé sur les motifs du jugement du 8 janvier 1992 du Tribunal de grande instance de Valence susmentionné ; qu'il ressort des affirmations, non contredites, du préfet de la Drôme que M. A n'a pas interjeté appel de ce jugement ; que si M. A soutient que la carte de résident ne pouvait pas lui être retirée dès lors que la fraude alléguée par le préfet ne pouvait concerner que la délivrance de son premier titre de séjour et que le second titre de séjour, délivré après l'annulation de son mariage avec une ressortissante française, a été légalement obtenu, la seconde carte de résident, valable du 14 octobre 2001 au 13 octobre 2011, a été délivrée à M. A parce que le préfet de la Drôme, qui n'avait connaissance, lors de la demande de renouvellement, ni de la nullité du premier mariage avec une femme française, ni de l'existence du second mariage avec une femme tunisienne, avait alors considéré l'intéressé comme marié avec une ressortissante française et lui avait délivré un titre sur le fondement des stipulations de l'article 10, point a, de l'accord franco-tunisien ; que le fait que la présence en France du requérant n'était pas de nature à troubler gravement l'ordre public est sans incidence sur la légalité de la décision en litige ; qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme a pu, à bon droit, retirer à M. A sa carte de résident, motif pris du caractère frauduleux de son mariage avec une ressortissante française ;
Considérant que la décision en litige a été motivée par les manoeuvres frauduleuses dont s'est rendu coupable M. A pour obtenir une carte de résident ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été prise en violation des stipulations de l'article 10, point f, de l'accord franco-tunisien, qui prévoit que : Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : (...) Au ressortissant tunisien qui est en situation régulière depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ;
Considérant que M. A fait valoir qu'il réside en France depuis 1989, qu'il a construit sa vie dans ce pays et qu'il n'a plus aucun lien avec son pays d'origine ; que, toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que le requérant a vécu en France à partir de juillet 1989, il ne s'est maintenu sur le territoire national que sous couvert de titres de séjours obtenus frauduleusement et sa femme et ses enfants résident en Tunisie ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et nonobstant l'insertion professionnelle du requérant en France, la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'elle n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, le préfet de la Drôme n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A ;
Considérant que M. A n'établit pas que la décision contestée portant retrait de sa carte de résident soit entachée d'un détournement de pouvoir ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant ; / 5° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; (...) ;
Considérant que M. A soutient être entré en France en juillet 1989 et y séjourner depuis, qu'il ne pouvait par conséquent pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement au regard des dispositions des 4° et 5° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ; que, toutefois, le requérant a résidé en France en qualité de conjoint de française pendant plus de vingt ans à la suite de manoeuvres frauduleuses ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été prise en violation des dispositions précitées ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité de la décision distincte fixant le pays de destination :
Considérant que M. A ne développe aucun moyen à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Drôme, du 10 juin 2010, désignant le pays de renvoi ; que lesdites conclusions ne peuvent donc qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; que ses conclusions aux fins d'injonction et de mise à la charge de l'Etat des frais exposés par lui et non compris dans les dépens doivent être rejetées par voie de conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2011 à laquelle siégeaient :
M. Le Gars, président de la Cour,
M. Chanel, président assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2011.
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N° 10LY02397