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04/11/2010 | FRANCE | N°10LY00590

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 04 novembre 2010, 10LY00590


Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 16 mars 2010 et régularisée le 19 mars 2010, présentée par le PREFET DE L'ISERE ;

Le PREFET DE L'ISERE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0905318, en date du 11 février 2010, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 28 octobre 2009, par lesquelles il a refusé à M. Naim A la délivrance d'un titre de séjour, il a fait obligation à ce dernier de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et il a désigné le pays à destination duquel il serait é

loigné s'il n'obtempérait pas à l'obligation qui lui était ainsi faite ;

2°) de reje...

Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 16 mars 2010 et régularisée le 19 mars 2010, présentée par le PREFET DE L'ISERE ;

Le PREFET DE L'ISERE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0905318, en date du 11 février 2010, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 28 octobre 2009, par lesquelles il a refusé à M. Naim A la délivrance d'un titre de séjour, il a fait obligation à ce dernier de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et il a désigné le pays à destination duquel il serait éloigné s'il n'obtempérait pas à l'obligation qui lui était ainsi faite ;

2°) de rejeter la demande de M. A devant le Tribunal administratif ;

Il soutient que les actes que M. A a commis dans son pays et qui ont été regardés comme de nature à l'exclure du bénéfice des dispositions de la Convention de Genève, sont contraires aux lois et règlements applicables par la France et donc portent atteinte à l'ordre public ; qu'il s'est borné à s'approprier les motifs des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile, seules autorités compétentes pour déterminer la gravité, la véracité et la nature des faits, pour rejeter la demande de titre de séjour ; qu'il pouvait donc légalement lui refuser la délivrance d'une carte de résident en qualité de conjoint de réfugié, au motif que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré à la Cour le 7 octobre 2010, présenté pour M. Naim A, domicilié ..., qui conclut au rejet de la requête et demande à la Cour :

1°) d'enjoindre au PREFET DE L'ISERE, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de deux cents euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de deux jours et de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de mille deux cents euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Il soutient que le refus de délivrance de titre de séjour contesté est entaché d'un vice de procédure, en l'absence de consultation préalable de la commission du titre de séjour et est insuffisamment motivé ; qu'il est conjoint de réfugié et que le PREFET DE L'ISERE ne démontre pas en quoi le fait qu'il ait été informateur de la police serbe, entre 1988 et 1998, dans un pays en guerre, sans que ses agissements ne fassent, au demeurant, l'objet de poursuites pénales, constitue une menace actuelle pour l'ordre public en France ; qu'eu égard à l'ancienneté de son séjour en France, où résident régulièrement son épouse et leurs quatre enfants mineurs, le refus qui a été opposé à sa demande de délivrance de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est, en outre, entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle, eu égard à ses efforts d'insertion sociale et professionnelle ; que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour qui la fonde ; que cette mesure d'éloignement est insuffisamment motivée, est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le PREFET DE L'ISERE s'est estimé en situation de compétence liée pour prendre cette décision et a, dès lors, commis une erreur de droit ; que la décision désignant le pays de renvoi est illégale en conséquence de l'illégalité des deux décisions susmentionnées, est entachée d'un défaut de motivation et méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la décision du 12 octobre 2010 du bureau d'aide juridictionnelle, par laquelle M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 octobre 2010 :

- le rapport de M. Le Gars, président,

- et les conclusions de M. Reynoird, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, ressortissant du Kosovo entré irrégulièrement en France le 24 mai 2004, selon ses déclarations, a vu sa demande d'asile rejetée par décision du 19 août 2005 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée le 17 juillet 2009 par la Cour nationale du droit d'asile, au motif qu'il avait exercé, sur une base volontaire et rémunérée, une activité d'informateur auprès de la police serbe, au cours des années 1988 à 1998, et qu'il ne pouvait pas être regardé comme s'étant désolidarisé des méthodes d'interrogatoire et de tortures, dont il a déclaré avoir eu connaissance, employées par le régime serbe qu'il servait ; qu'il y avait ainsi des raisons sérieuses de penser qu'il avait directement ou indirectement participé à la préparation et à l'exécution d'actes contraires aux buts et principes des Nations Unies au sens de l'article 1er, F, c de la convention de Genève, l'excluant du bénéfice des dispositions protectrices de ladite convention ; que l'épouse de M. B, avec laquelle il est marié depuis le 5 mars 1993, a toutefois obtenu le statut de réfugié, le 20 novembre 2007 ; que, par décision du 28 octobre 2009, le PREFET DE L'ISERE a notamment refusé à M. A la délivrance de la carte de résident en qualité de conjoint de réfugié, prévue au 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au seul motif que la présence de M. A sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public ; que, par jugement du 11 février 2010, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision de refus, motif pris que les actes précités, commis par M. A dans son pays d'origine, ne permettent pas de considérer que sa présence en France constituerait, actuellement, une menace à l'ordre public ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : (...) 8° A l'étranger qui a obtenu le statut de réfugié en application du livre VII du présent code ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3 lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre les époux ainsi qu'à ses ascendants directs au premier degré si l'étranger qui a obtenu le statut de réfugié est un mineur non accompagné ; (...) ;

Considérant que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou de la Cour nationale du droit d'asile qui se prononce sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France et que la notion de menace pour l'ordre public au sens des dispositions précitées de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit s'apprécier indépendamment des exclusions d'application de la convention de Genève énumérées au F de l'article 1er de ladite convention ; que la circonstance qu'un étranger ait été exclu du bénéfice de la convention de Genève en raison des actes graves commis par lui ne peut, à elle seule, justifier légalement qu'il soit automatiquement regardé comme constituant une menace pour l'ordre public sur le territoire français et donc comme n'étant pas susceptible de bénéficier d'un droit au séjour en France et qu'il appartient par conséquent au préfet, auprès duquel ledit étranger a déposé une demande de titre de séjour, d'examiner, au vu de l'ensemble des circonstances de fait en cause, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est susceptible de constituer une menace pour l'ordre public ; qu'en l'espèce, s'il ressort des pièces du dossier que M. A a reconnu avoir, entre 1988 et 1998, exercé une activité volontaire et rémunérée d'informateur pour la police serbe, alors que cette dernière employait des méthodes d'interrogatoire et de tortures contraires aux buts et principes des Nations Unies, dont il avait connaissance, ces faits, pour répréhensibles qu'ils soient, ne peuvent être regardés, eu égard à leur nature, à leur ancienneté et aux circonstances dans lesquelles ils ont été commis, comme permettant de regarder la présence de M. A sur le territoire français comme constituant, à la date de la décision contestée, une menace pour l'ordre public ; que la circonstance que ces faits ont justifié l'exclusion de M. A du bénéfice des dispositions protectrices de la convention de Genève est sans incidence ; que, dès lors, c'est à tort que le PREFET DE L'ISERE, qui n'était pas en situation de compétence liée, a refusé à M. A, au seul motif de l'existence d'une menace pour l'ordre public, la délivrance de la carte de résident en qualité de conjoint de réfugié prévue au 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE L'ISERE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 28 octobre 2009, par lesquelles il a refusé à M. Naim A la délivrance d'un titre de séjour, il a fait obligation à ce dernier de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et il a désigné le pays à destination duquel il serait éloigné s'il n'obtempérait pas à l'obligation qui lui était ainsi faite ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. A :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant que le présent arrêt, qui confirme l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour du 28 octobre 2009 du PREFET DE L'ISERE et les décisions subséquentes, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, et sauf changement de circonstances de droit ou de fait, que le PREFET DE L'ISERE délivre le titre sollicité par M. A ; que, par suite, il y a lieu d'enjoindre audit préfet de délivrer à M. A une carte de résident sur le fondement du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la requête tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées par M. A, tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mebarki, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de mille euros au profit de Me Mebarki, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête du PREFET DE L'ISERE est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au PREFET DE L'ISERE de délivrer à M. A, en sa qualité de conjoint de réfugié, la carte de résident prévue au 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et ce, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de mille euros à Me Mebarki, avocat de M. A, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées devant la Cour par M. A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au PREFET DE L'ISERE, à M. Naim A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2010 à laquelle siégeaient :

M. Le Gars, président de la Cour,

M. Chanel, président de chambre,

M. Pourny, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 novembre 2010.

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N° 10LY00590


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10LY00590
Date de la décision : 04/11/2010
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. LE GARS
Rapporteur ?: M. Jean Marc LE GARS
Rapporteur public ?: M. REYNOIRD
Avocat(s) : MEBARKI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-11-04;10ly00590 ?
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