Vu la requête enregistrée le 16 juillet 2007, présentée pour M. Eric A ... ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0601380 du 28 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, d'une part, a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente, sa demande d'annulation de la décision implicite par laquelle le directeur de la maison centrale de Moulins-Yzeure a rejeté sa demande relative à la contestation des sommes dues aux parties civiles, d'autre part, a prononcé un non-lieu à statuer sur sa demande en rectification du compte des sommes versées aux parties civiles, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ladite décision implicite par laquelle le directeur de la maison centrale de Moulins-Yzeure a rejeté sa demande de rectification du compte des sommes versées aux parties civiles ;
M. A soutient qu'il n'entendait pas demander au Tribunal d'interpréter l'arrêt de la Cour d'Assises du Rhône mais, au contraire, d'imposer à l'administration pénitentiaire de respecter ce qui a été jugé au civil par la juridiction pénale et qui est revêtu de l'autorité de chose jugée ; que la décision refusant de rectifier les erreurs entachant les comptes établis par la régie de la maison centrale lui fait grief en ce qu'elle minore de 263,87 euros le montant des sommes qu'il a acquittées ; qu'elle lui occasionne un préjudice financier et fait obstacle à ce qu'il obtienne une réduction de peine de sûreté ou une libération conditionnelle ; que le refus de versements volontaires aux parties civiles prélevés sur son pécule de libération méconnaît l'article D. 320-2 du code de procédure pénale qui les autorise sur des apports d'un montant au moins égal à 1 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire enregistré le 12 août 2008 par lequel le Garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que la demande de M. A, en ce qu'elle tend à déterminer la portée de l'arrêt de la Cour d'Assises, ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ; qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les erreurs du relevé comptable du mois de mars 2005, rectifié le 2 octobre 2006 par l'administration qui a inscrit au compte du requérant le versement volontaire de la somme de 434,39 euros aux parties civiles ; que l'existence d'un préjudice financier consécutif aux erreurs affectant les versements volontaires effectués au profit des parties civiles n'est pas établi ; qu'elle est également sans incidence sur le régime d'application ; que le refus de prélèvements volontaires sur le pécule de libération ne méconnaît pas l'article D. 320-2 du code de procédure pénale annulé par le Conseil d'Etat le 15 février 2006 en ce qu'il limitait à 1 000 euros le montant du pécule de libération et dont les dispositions instituaient un régime obligatoire et non pas de volontariat ;
Vu le mémoire enregistré le 20 février 2009 par lequel le Garde des Sceaux, ministre de la justice, répondant à une mesure d'instruction, informe la Cour qu'il n'est pas en mesure de produire la copie de l'état des condamnations civiles qu'aurait dû délivrer le parquet au comptable de l'établissement de détention en application de l'article D. 325 du code de procédure pénale, la pratique administrative consistant à laisser au comptable le soin d'établir le montant des sommes à inscrire au débit de la première part du compte nominatif en fonction de la décision de justice dont la copie est transmise à cet agent ; qu'il est loisible à l'intéressé de saisir la chambre de l'instruction d'un recours en interprétation sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale ; que la demande formée devant la juridiction administrative, ne pouvant tenir lieu de ce recours, est irrecevable ;
Vu la décision du 25 mars 2008, par laquelle la section administrative d'appel du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Lyon a admis M. A au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 décembre 2009 :
- le rapport de M. Arbarétaz, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;
Considérant que le 22 octobre 1999, la Cour d'Assises du Rhône a condamné M. A à verser diverses sommes aux parties civiles victimes d'une infraction dont il a été reconnu coupable ; que le 12 mars 2006, il a demandé au directeur de la maison centrale de Moulins-Yzeure où il est détenu, de rectifier trois catégories d'erreurs entachant la gestion du compte de ses valeurs pécuniaires, relatives, d'une part, au montant des sommes dont il était constitué débiteur au titre du remboursement des frais irrépétibles dus aux parties civiles, d'autre part, au montant des sommes versées au fonds de garantie subrogé dans les droits des victimes, et résultant enfin du refus de prélever sur la part de ses revenus affectée au pécule de libération une contribution volontaire à l'indemnisation du fonds de garantie ; qu'il a demandé au Tribunal administratif de Clermont-Ferrand l'annulation de la décision implicite de rejet qui lui a été opposée ;
Sur le rejet de la demande d'annulation du refus implicite de rectifier le montant des sommes à prélever au titre des frais de justice exposés par les parties civiles :
Considérant qu'aux termes de l'article 728-1 du code de procédure pénale : Les valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l'établissement pénitentiaire, sont divisées en trois parts : la première sur laquelle seules les parties civiles et les créanciers d'aliments peuvent faire valoir leurs droits ; la deuxième, affectée au pécule de libération, qui ne peut faire l'objet d'aucune voie d'exécution ; la troisième, laissée à la libre disposition des détenus. / (...) La consistance des valeurs pécuniaires, le montant respectif des parts et les modalités de gestion du compte nominatif sont fixés par décret. (...) ; qu'aux termes des dispositions de l'article D. 319 du même code, prises pour l'application de l'article 728-1 : L'établissement pénitentiaire où le détenu est écroué tient un compte nominatif où sont inscrites les valeurs patrimoniales lui appartenant. (...) / Le compte nominatif est (...) crédité ou débité de toutes les sommes qui viennent à être dues au détenu, ou par lui, au cours de sa détention, dans les conditions réglementaires ;
Considérant que les dispositions précitées investissent la direction de l'établissement pénitentiaire, en qualité d'autorité administrative, de la gestion du compte des biens et valeurs pécuniaires des détenus, quelle que soit la part de revenus concernée et sans que s'exerce sur cette activité le contrôle juridictionnel de l'autorité judiciaire ; que les décisions qui mouvementent ces comptes n'intéressent que les relations entre l'administration pénitentiaire et les détenus ; qu'elles ont nécessairement, à l'égard des titulaires du compte le caractère d'actes administratifs unilatéraux, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elles sont étrangères à l'exécution d'une condamnation judiciaire ; qu'en ce qu'elles affectent la situation patrimoniale des intéressés et notamment les parts qui leur sont réservées, ces décisions administratives sont, en outre, susceptibles de faire l'objet de recours pour excès de pouvoir ;
Considérant que lorsque le litige porte sur une décision du directeur de l'établissement pénitentiaire affectant la gestion de la première part de revenus destinée à l'indemnisation des victimes, il appartient à la juridiction administrative de déterminer si cette décision ne contrevient pas au dispositif du jugement ou de l'arrêt prononçant la condamnation, sauf en cas de difficulté sérieuse, à surseoir à statuer afin qu'une question préjudicielle puisse être posée à la juridiction judiciaire ; que c'est, dès lors, irrégulièrement que le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d'annulation du refus de rectifier le montant des sommes inscrites au débit du compte des valeurs pécuniaires de M. A et correspondant à des frais irrépétibles au motif que cette question nécessitait que fût interprété le dispositif de l'arrêt de la Cour d'Assises du Rhône rendu le 22 octobre 1999 ; que l'article 1er du jugement attaqué doit, dès lors, être annulé en ce qu'il rejette comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître la demande d'annulation du refus de réduire le montant des frais de justice exposés par les victimes et inscrits au débit du compte du requérant ;
Considérant qu'il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A tendant à l'annulation du refus implicite de rectifier le montant des frais de justice exposés par les victimes inscrits au débit de son compte de valeurs pécuniaires ;
Considérant que par le V du dispositif de son arrêt du 22 octobre 1999 la Cour d'Assises du Rhône a condamné M. A à verser à MM. Jean B, Bernard B, Michel B, à Mme Maryvonne C épouse D et à M. Jean-Marie C 25 000 francs à chacun d'eux à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, 6 000 francs au titre de l'article 375 du code de procédure pénale ; qu'il ressort clairement de cette rédaction que la somme de 6 000 francs, soit 914,69 euros, a été allouée, comme celle de 25 000 francs correspondant à l'indemnisation du préjudice moral, à M. Jean B, à M. Bernard B, à M. Michel B, à Mme Maryvonne C épouse D et à M. Jean-Marie C au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par chacun d'eux ; qu'il suit de là qu'en inscrivant au débit de la première part du compte des valeurs pécuniaires de M. A cinq fois la somme de 914,69 euros représentant autant de condamnations prononcées au bénéfice de chacune de ces parties civiles, le directeur de l'établissement pénitentiaire n'a pas méconnu l'article précité 728-1 du code de procédure pénale qui lui imposait de n'imputer que les créances détenues par les victimes sur le détenu, dans la limite des droits que leur reconnaissait la décision de justice ;
Sur le non-lieu à statuer opposé à la demande d'annulation du refus de rectifier les versements acquittés auprès du fonds de garantie :
Considérant que devant le Tribunal le directeur du centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure a produit une attestation par laquelle il reconnaissait que le montant des sommes versées par M. A au fonds de garantie, du début de son incarcération au 1er mars 2005, était supérieur de 263,87 euros à la somme dont le créditait l'état des remboursements de son compte de valeurs pécuniaires ; que cette autorité administrative s'est engagée à rectifier les prochains relevés ; qu'en appel, M. A ne conteste pas que cet engagement aurait emporté les mêmes effets que s'il avait été fait droit à la demande présentée le 12 mars 2006 ; que le litige ayant perdu son objet en cours d'instance, le Tribunal a régulièrement, par le jugement attaqué, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions susmentionnées ;
Sur le refus d'alimenter les remboursements du fonds de garantie par des prélèvements volontaires sur la deuxième part :
Considérant qu'aux termes de l'article D. 320-1 du code de procédure pénale : La première part, affectée à l'indemnisation des parties civiles et créanciers d'aliments, est déterminée en appliquant à la fraction des sommes qui échoient aux détenus les taux de : 20 %, pour la fraction supérieure à 200 euros et inférieure ou égal à 400 euros ; 25 %, pour la fraction supérieure à 400 euros et inférieure ou égale à 600 euros ; 30 %, pour la fraction supérieure à 600 euros (...) ; qu'aux termes de l'article D. 320-2 du même code : La deuxième part, affectée à la constitution du pécule de libération, est déterminée en appliquant à la fraction des sommes qui échoient aux détenus le taux de 10 % (...) ; qu'aux termes de l'article D. 320-3 du code : La troisième part, laissée à la libre disposition des détenus, correspond aux sommes restantes après que les prélèvements prévus aux articles D. 320 à D. 320-2 ont été opérés ; qu'aux termes de l'article D. 324 du code : (...) Pendant l'incarcération, le pécule de libération est indisponible (...) ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le détenu n'a pas la libre disposition de la deuxième part abondant son pécule de libération ; que les alinéas 2 et 3 de l'article D. 320-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du décret n° 2004-1072 du 5 octobre 2004 permettant d'abonder volontairement la première part en écrêtant la deuxième lorsque le montant du pécule atteint 1 000 euros, ont fait l'objet d'une annulation contentieuse prononcée le 15 février 2006 par le Conseil d'Etat ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait, à tort, refusé de faire application de dispositions illégales, antérieurement à leur annulation, pour augmenter le montant des remboursements du fonds de garantie ;
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 0601380 du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 28 juin 2007 est annulé.
Article 2 : La demande d'annulation de la décision implicite du directeur de la maison centrale de Moulins-Yzeure en ce qu'elle a rejeté la demande de M. A tendant à ce que la somme inscrite au débit de son compte de valeurs pécuniaires, à prélever sur la première part de ses revenus au titre du remboursement des frais de justice exposés par les parties civiles soit réduite de 3 658,76 euros, est rejetée.
Article 3 : Le surplus de la requête de M. A est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Eric A et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2009 à laquelle siégeaient :
M. du Besset, président de chambre,
Mme Chalhoub et M. Givord, présidents-assesseurs,
M. Arbarétaz, premier conseiller,
Mme Vinet, conseiller.
Lu en audience publique, le 21 janvier 2010.
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N° 07LY01483
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