Vu, I/ la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 20 mars 2006, sous le n° 06LY00581, présentée pour M. Murad X, domicilié ..., par Me Faure Cromarias, avocat au barreau de Clermont-Ferrand ;
M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0502084 en date du 25 novembre 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2005, par lequel le préfet du Cantal a ordonné sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné ainsi que la décision fixant le pays de renvoi pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet du Cantal de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative, dans le délai de huit jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu, II/ la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 20 mars 2006, sous le n° 06LY00580, présentée pour M. X, domicilié ..., par Me Faure Cromarias, avocat au barreau de Clermont-Ferrand ;
M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0502085 en date du 25 novembre 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 novembre 2005 par laquelle le préfet du Cantal a désigné la Géorgie comme pays de destination de la reconduite à la frontière ordonnée à son encontre ;
2°) d'annuler la décision susmentionnée pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet du Cantal de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative, dans le délai de huit jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 juillet 2006 :
- le rapport de M. Chabanol, président de la Cour ;
- et les conclusions de Mme Verley-Cheynel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n° 06LY00580 et n° 06LY00581 présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité des jugements attaqués :
Considérant qu'aux termes de l'article 28 du code de justice administrative : « Le délibéré des juges est secret » ;
Considérant qu'il ressort des témoignages concordants versés au dossier que, à l'issue de l'audience du 25 novembre 2005, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, après s'être retiré pour en délibérer, annoncé publiquement, à douze heures, qu'il annulait la décision ordonnant la reconduite à la frontière de M. X, et a renvoyé au lundi 28 novembre suivant la production des motifs de cette décision, puis s'est repris quelques minutes plus tard pour exposer qu'il ne rendrait sa décision que le lundi 28 novembre ; que cependant les jugements attaqués qui rejettent les conclusions de M. X, mentionnent qu'ils ont été lus en audience publique le 25 novembre ;
Considérant que les interventions orales du magistrat, le 25 novembre, qui ne se sont accompagnées de la délivrance d'aucun écrit pouvant être regardé comme constituant le dispositif de la décision, mentionné à l'article R. 776-17 du code de justice administrative, ont eu pour effet de révéler aux parties présentes les hésitations de ce magistrat en son délibéré et ont ainsi méconnu l'obligation de secret à laquelle même le juge statuant seul est tenu par les dispositions précitées ; que par suite M. X est fondé à demander l'annulation des jugements rendus à la suite de ce délibéré ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement, tant sur les demandes présentées par M. X devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand que sur le surplus de ses conclusions présentées devant la Cour ;
Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité géorgienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 1er septembre 2005, de la décision du préfet du Cantal du 26 août 2005 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, le 10 novembre 2005, il était dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 10 novembre 2005, par lequel le préfet du Cantal a décidé la reconduite à la frontière de M. X, qui énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qui n'a pas à préciser en quoi la situation particulière de l'intéressé ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de cette procédure, est ainsi suffisamment motivé, alors même qu'il ne mentionne pas explicitement les raisons pour lesquelles le préfet n'a pas cru devoir utiliser en l'occurrence sa faculté de régularisation de la situation administrative de M. X ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort également des pièces du dossier que le préfet a effectivement procédé à l'examen de la situation personnelle de l'intéressé et ne s'est pas estimé lié par les décisions de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et de la commission des recours des réfugiés ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que si M. X a déposé, par l'intermédiaire d'un représentant d'une association, un dossier de demande de réexamen de sa demande d'asile, en préfecture du Cantal, le 10 novembre 2005 à 14 H 00, il n'établit pas que ce dépôt serait intervenu antérieurement à la date de l'arrêté de reconduite à la frontière contesté, dont le préfet affirme, sans contredit, qu'il a été pris le 10 novembre 2005 au matin ; que cette demande de réexamen d'admission au statut de réfugié est, par suite, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement contestée qui s'apprécie à la date de son édiction et non à celle de sa notification ;
Considérant, en cinquième lieu, que la demande de régularisation à titre exceptionnel qui a été formulée par courrier du 12 septembre 2005 et à laquelle, contrairement aux affirmations du requérant, il a été répondu par le préfet du Cantal par lettre du 11 octobre 2005, n'obligeait, en tout état de cause, pas le préfet à surseoir à l'édiction d'un arrêté de reconduite à la frontière jusqu'à ce qu'il ait statué sur cette demande ;
Considérant, en sixième lieu, que les moyens tirés des risques que le requérant encourrait en cas de retour dans son pays d'origine sont, en tout état de cause, inopérants à l'encontre d'un arrêté de reconduite à la frontière, lequel ne désigne pas le pays de destination ; que les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent, par suite, qu'être écartés ;
Considérant, en septième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;
Considérant que M. X, qui est entré irrégulièrement en France le 1er décembre 2003, n'établit pas ni même n'allègue disposer, sur le territoire national, d'autres attaches familiales que celles de son épouse et de son frère qui sont tous deux en situation irrégulière et ont également fait l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'il ne ressort pas du dossier, et n'est même pas allégué, que, nonobstant leur nationalité différente, M. et Mme X ne seraient pas légalement admissibles dans un même pays ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, et notamment de la durée et des conditions d'entrée et de séjour du requérant en France, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté contesté, qui ne fixe pas le pays de destination de la reconduite, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2005 du préfet du Cantal ordonnant sa reconduite à la frontière ;
Sur la décision distincte fixant le pays de destination :
En ce qui concerne sa légalité externe :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision du 10 novembre 2005, par laquelle le préfet du Cantal a fixé la Géorgie comme pays de destination de la reconduite à la frontière de M. X, qui énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qui n'a pas à préciser en quoi la situation particulière de l'intéressé ne fait pas obstacle à la désignation de la Géorgie comme pays de destination de la reconduite, est suffisamment motivée ; que la circonstance, purement matérielle, que cette décision mentionne le numéro de l'arrêté de reconduite à la frontière visé de façon manuscrite et la date de ce dernier à l'aide d'un tampon dateur n'est pas de nature à affecter la légalité de cette décision ;
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :
Considérant que pour les motifs précédemment exposés dans le cadre de l'examen de la légalité de la mesure d'éloignement, cette dernière n'est entachée, ni d'un vice de procédure, ni d'une erreur de droit et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, les moyens tirés de l'exception d'illégalité de l'arrêté de reconduite à la frontière doivent être écartés ;
En ce qui concerne les autres moyens :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ;
Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;
Considérant que si M. X soutient qu'il aurait été arrêté par les autorités géorgiennes, qu'il aurait fait l'objet d'une incarcération arbitraire au cours de laquelle il aurait subi des mauvais traitements et qu'il serait toujours actuellement recherché par lesdites autorités géorgiennes, en raison notamment de ses activités politiques et de celles de son frère et du vol dont serait accusée son épouse, il n'établit pas, par les pièces qu'il produit, la réalité des faits allégués et des risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour dans son pays d'origine ; que la décision fixant la Géorgie comme pays de destination de la reconduite à la frontière ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 10 novembre 2005 du préfet du Cantal fixant la Géorgie comme pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que le présent arrêt, qui rejette la requête de M. X, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à M. X un titre de séjour ou de réexaminer sa situation administrative doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit de M. X, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les jugements n° 0502084 et n° 0502085 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 25 novembre 2005 sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par M. X devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand et le surplus des conclusions de ses requêtes en appel, sont rejetés.
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Nos 06LY00580,…