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09/05/2006 | FRANCE | N°05LY01746

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6eme chambre - formation a 5, 09 mai 2006, 05LY01746


Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 8 novembre 2005, présenté par le PREFET DU RHONE ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0507132 en date du 21 octobre 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 18 octobre 2005 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Yasar X ainsi que ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont l'intéressé a la nationalité comme destination de la reconduite et ordonnant son mainti

en en rétention administrative, lui a enjoint de réexaminer la demande d'autori...

Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 8 novembre 2005, présenté par le PREFET DU RHONE ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0507132 en date du 21 octobre 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 18 octobre 2005 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Yasar X ainsi que ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont l'intéressé a la nationalité comme destination de la reconduite et ordonnant son maintien en rétention administrative, lui a enjoint de réexaminer la demande d'autorisation provisoire de séjour de l'intéressé dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 196 euros au titre des frais exposés par l'intéressé et non compris dans les dépens ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Lyon ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 relatif à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Commission des recours des réfugiés ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2006 :

- le rapport de Mme Marginean-Faure, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Verley-Cheynel, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X a présenté une demande d'asile le 24 janvier 2005 ; qu'une autorisation provisoire de séjour lui a été délivrée, le même jour, par le PREFET DU RHONE, afin de lui permettre de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de sa demande d'asile ; que par décision du 21 février 2005, l'office, qui avait reçu son dossier après l'expiration du délai de vingt et un jours prévu à l'article 1er du décret n° 2004-814 du 14 août 2004, a refusé d'enregistrer sa demande ; que le PREFET DU RHONE a, le 9 mars 2005, décidé de ne pas renouveler son autorisation provisoire et l'a invité à quitter le territoire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision ; que M. X a présenté, le 24 mai 2005, une nouvelle demande d'autorisation provisoire de séjour que le PREFET DU RHONE a refusé de lui délivrer par décision du 15 juin 2005 ; que par un arrêté en date du 18 octobre 2005 le PREFET DU RHONE a ordonné la reconduite à la frontière de M. X sur le fondement des dispositions de l'article L. 511-1 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant que pour annuler l'arrêté de reconduite à la frontière pris par le PREFET DU RHONE à l'encontre de M. X, le 18 octobre 2005, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a jugé que la décision du 15 juin 2005 du PREFET DU RHONE qui devait être regardée comme un refus d'instruire sa demande d'asile était entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'aucune disposition n'interdisait à l'étranger auquel l'OFPRA avait refusé l'enregistrement de sa demande d'asile en raison de l'expiration du délai prévu à l'article 1er du décret n° 2004-814 du 14 août 2004 de formuler une nouvelle demande pour laquelle il devait bénéficier des mêmes droits et garanties que sa demande initiale ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 alinéa 1 de la loi du 25 juillet 1952 codifié à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « … L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'office ne peut être saisi qu'après la remise de ce document au demandeur » ; qu'en vertu de l'article L. 751-2 de ce code, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'instruction des demandes d'asile dont l'OFPRA est saisi ; que le décret du 14 août 2004, pris pour l'application de ces dispositions législatives, prévoit à son article 1er qu'à compter de la remise de l'autorisation provisoire de séjour, « l'étranger demandeur d'asile dispose d'un délai de vingt et un jours. » ; que selon les dispositions de l'article 8 alinéa 2 de la loi du 25 juillet 1952 codifié à l'article L. 741-4 dudit code : « Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : (…) 2° L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1er de la convention de Genève susmentionnée ou d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr. Un pays est considéré comme tel s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ; 3° La présence en France de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ; 4° La demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. » ; qu'aux termes de l'article 16 du décret du 30 juin 1946 : « Indépendamment des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 9 de la loi du 25 juillet 1952 précitée, si au plus tard à l'expiration de la durée de validité de l'autorisation provisoire de séjour délivrée dans les conditions prévues à l'article 15, l'étranger ne peut justifier de l'enregistrement de sa demande par l'office, une décision refusant le séjour peut être prise. » ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que si ce droit implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, il appartient à l'étranger intéressé de formuler celle-ci dans les conditions prévues par la législation et la réglementation en vigueur ; qu'au nombre de ces conditions figure l'exigence de saisir l'OFPRA d'un dossier complet dans un délai de vingt et un jours à compter de la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour ; que ce délai, de caractère impératif, a été fixé dans le souci d'assurer un examen rapide des demandes d'asile ; qu'il en résulte qu'à la suite du rejet d'une demande d'asile présentée après l'expiration de ce délai, l'intéressé n'est pas en droit de se voir délivrer une nouvelle autorisation provisoire de séjour et qu'un refus peut lui être opposé indépendamment des cas énumérés à l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'un refus peut notamment lui être opposé dans le cas où il ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité de respecter le délai prescrit pour saisir l'OFPRA ; que M. X se borne à invoquer un droit à un nouvel examen de sa demande d'asile sans invoquer aucun élément de nature à expliquer le non respect du délai pour saisir l'OFPRA ; que, dans ces conditions, c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur le motif précité pour annuler l'arrêté litigieux ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. X, tant devant le Tribunal administratif de Lyon que devant la Cour ;

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 26 mai 2005, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Rhône le 30 mai 2005, M. Christophe Bay, secrétaire général de la préfecture du Rhône, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DU RHONE pour signer notamment les arrêtés de reconduite à la frontière ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée doit donc être écarté ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;

Considérant que si M. X fait valoir qu'il serait très bien intégré en France, pays où il aurait tissé des liens personnels, sincères et durables et où il était sur le point d'épouser la ressortissante française avec laquelle il prétend vivre, il ressort des pièces du dossier que le requérant sans enfant à charge, qui n'établit pas la stabilité de sa relation maritale, n'est pas dépourvu de toute attache familiale en Turquie où résident notamment ses parents et la plupart de ses frères et soeurs ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment des conditions d'entrée et de séjour du requérant en France, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision distincte fixant le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ;

Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que si M. X fait valoir, en première instance, qu'il encourrait des risques en cas de retour en Turquie, il n'assortit toutefois son allégation d'aucune précision ou justificatif de nature à établir la réalité des menaces qui pèseraient sur sa vie ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Sur la décision distincte ordonnant le maintien en rétention administrative de M. X :

Considérant qu'aux termes de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : « I. Le placement en rétention d'un étranger dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire peut être ordonné lorsque cet étranger : / (…) 3° Soit, faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière (…) édicté moins d'un an auparavant, ne peut quitter immédiatement le territoire français. / (…) La décision de placement est prise par le préfet (…). Elle est écrite et motivée.(…) » ;

Considérant, en premier lieu, que la décision du 18 octobre 2005 par laquelle le PREFET DU RHONE a ordonné le maintien en rétention administrative de M. X, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée ;

Considérant, en second lieu, qu'il n'est pas contesté que le départ de M. X du territoire français ne pouvait intervenir immédiatement et que la circonstance que ce dernier était en possession d'un passeport en cours de validité, qu'il se trouvait hébergé, à la date de la décision contestée, chez une ressortissante française avec laquelle il était sur le point de contracter mariage et qu'il avait déféré spontanément à une convocation des services de police, ne suffit pas à établir que cette décision aurait été prise en méconnaissance de l'article 35 bis précité de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions litigieuses ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit de M. X, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon en date du 21 octobre 2005 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.

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N° 05LY01746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6eme chambre - formation a 5
Numéro d'arrêt : 05LY01746
Date de la décision : 09/05/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GUERRIVE
Rapporteur ?: Mme Dominique MARGINEAN-FAURE
Rapporteur public ?: Mme VERLEY-CHEYNEL
Avocat(s) : SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2006-05-09;05ly01746 ?
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