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30/12/2004 | FRANCE | N°98LY02247

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5eme chambre - formation a 3, 30 décembre 2004, 98LY02247


Vu le recours, enregistré le 17 décembre 1998, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) de réformer l'article 2 du jugement n° 951332-951430-9655 du 26 mai1998 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a prononcé la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme ont été assujettis au titre des années 1989 à 1991 ainsi que du prélèvement social de 1 % relatif à l'année 1989 et de la contribution sociale généralisée relative aux années 1990 et 1991 et d'annu

ler l'article 3 du même jugement par lequel le tribunal a condamné l'Etat à verser ...

Vu le recours, enregistré le 17 décembre 1998, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) de réformer l'article 2 du jugement n° 951332-951430-9655 du 26 mai1998 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a prononcé la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme ont été assujettis au titre des années 1989 à 1991 ainsi que du prélèvement social de 1 % relatif à l'année 1989 et de la contribution sociale généralisée relative aux années 1990 et 1991 et d'annuler l'article 3 du même jugement par lequel le tribunal a condamné l'Etat à verser la somme de 3000 francs à M. et Mme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

2°) de remettre à la charge de M. et Mme les impositions et majorations dont la décharge a été prononcée à concurrence des droits et pénalités correspondant à des revenus de capitaux mobiliers d'un montant de 423 009 francs au titre de l'année 1989, 551 453 francs au titre de l'année 1990 et 612 833 francs au titre de l'année 1991 ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2004 :

- le rapport de M. Bédier, président-assesseur ;

- les observations de Me X..., pour M. et Mme ;

- et les conclusions de M. Gimenez, commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SA Boissons Service, dont M. était président-directeur-général et Mme directrice générale, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant notamment sur les exercices clos en 1989, 1990 et 1991 ; que, parallèlement, l'administration a effectué un contrôle sur pièces de la situation fiscale de M. et Mme ; qu'à la suite de ces contrôles, M. et Mme ont été assujettis à des compléments d'impôt sur le revenu au titre des années 1989, 1990 et 1991, au prélèvement social de 1 % au titre de l'année 1989 et à la contribution sociale généralisée au titre des années 1990 et 1991 ; que les intéressés ont obtenu, par jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 26 mai 1998, la décharge de ces impositions et des majorations dont elles étaient assorties ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE relève appel de ce jugement et demande à la Cour de remettre à la charge de M. et Mme les impositions et majorations dont la décharge a été prononcée par le tribunal à concurrence des droits et pénalités correspondant à des revenus de capitaux mobiliers d'un montant de 423 009 francs au titre de l'année 1989, 551 453 francs au titre de l'année 1990 et 612 833 francs au titre de l'année 1991 ;

Considérant qu'à la suite de la reconstitution partielle des recettes des exercices clos en 1989, 1990 et 1991 de la SA Boissons Service, M. et Mme ont été regardés par l'administration fiscale comme les bénéficiaires, sur le fondement de l'article 109-1-2° du code général des impôts, des sommes regardées comme distribuées ; que pour prononcer la décharge des impositions contestées par M. et Mme , le tribunal a relevé que, en dépit de la détention par les intéressés de la majorité du capital de la SA Boissons Service et de leur droit de signature sur les comptes bancaires de la société, les contribuables ne pouvaient être regardés comme les maîtres de l'affaire en l'absence de démonstration par l'administration d'un enrichissement personnel des intéressés ou d'une confusion entre le patrimoine de la société et celui de ses dirigeants ;

Considérant qu'aux termes de l'article 109-1-2° du code général des impôts applicable en l'espèce : Sont considérés comme revenus distribués (...) toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ; que les contribuables ayant, dans les délais, contesté le montant des redressements qui leur ont été notifiés au titre des années 1989,1990 et 1991 en matière d'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, il appartient à l'administration d'apporter la preuve, d'une part, de l'existence et du montant des revenus distribués, et d'autre part, Xde leur appréhension par les contribuables ;

Sur l'existence et le montant des revenus distribués :

Considérant que le vérificateur a rejeté la comptabilité de la SA Boissons Service comme non probante au motif principal que les ventes de marchandises facturées par la société étaient sensiblement inférieures à ce qu'elles auraient dû être au regard des achats de marchandises effectués par la société et corrigés des variations de stocks ; qu'il résulte des énonciations du jugement du 23 janvier 1998 du Tribunal de grande instance de Moulins statuant en matière correctionnelle que la société se livrait à des ventes sans factures ; qu'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par M. et Mme que la comptabilité de la SA Boissons Service était, pour les années en cause, dépourvue de caractère probant ;

Considérant que, pour reconstituer le chiffre d'affaires de la SA Boissons Service, le vérificateur a, pour les vingt-six produits les plus vendus de l'entreprise, recherché les quantités achetées, corrigé ces quantités des variations de stocks, déterminé les quantités théoriquement revendues et comparé ce chiffre avec les quantités réellement facturées ; que l'écart obtenu, lui-même corrigé des quantités consommées par le personnel et les dirigeants, des échantillonnages, de la casse et du coulage, a permis de déterminer, pour chacun des vingt-six produits, les quantités vendues par la société sans factures ; que, dans un second temps, le vérificateur a déterminé, pour chacun des produits, un prix de vente unitaire moyen à partir des factures des produits vendus par l'entreprise, et calculé, en multipliant les quantités vendues sans factures par ce prix unitaire moyen, le montant non déclaré des recettes de la société ;

Considérant que pour souligner le caractère excessivement sommaire de cette méthode, les contribuables font valoir que le vérificateur a dû accepter, au cours de la procédure d'imposition, une diminution importante des redressements par rapport au montant des redressements initialement notifiés, qu'un rapport d'expertise déposé dans le cadre d'une instance pénale les opposant à l'administration fiscale devant le Tribunal de grande instance de Moulins démontre l'exagération des redressements et que le vérificateur n'a pas suffisamment pris en compte les attributions promotionnelles, la consommation du personnel et des dirigeants, les échantillonnages, la casse et le coulage ;

Considérant en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les redressements initialement notifiés par le vérificateur à M. et Mme au titre des années 1989, 1990 et 1991 auraient fait l'objet d'une diminution importante suite à leur notification et aux échanges entre les parties ; qu'en toute hypothèse, une telle diminution ne suffirait pas à caractériser le caractère excessivement sommaire de la méthode suivie par le vérificateur ;

Considérant, en deuxième lieu, que le rapport d'expertise, déposé dans le cadre de l'instance pénale opposant M. et Mme à l'administration fiscale devant le Tribunal de grande instance de Moulins, établi d'ailleurs de façon non contradictoire, qui évalue respectivement à 89 079 francs, 114 497 francs et 127 758 francs le montant des redressements qui devraient être effectivement apportés aux résultats des exercices clos de la SA Boissons Service en 1989, 1990 et 1991, ne fait que reprendre les chiffres retenus par la commission départementale des impôts dans sa séance du 24 novembre 1993, chiffres eux-mêmes retenus par la commission par une limitation à 22 % du montant des redressements notifiés, dans le souci, souligné par les membres de la commission, de voir l'entreprise poursuivre ses activités compte tenu du contexte économique actuel ; qu'une telle évaluation n'est pas de nature à remettre en cause les calculs du vérificateur, obtenus à partir des conditions d'exploitation réelles de l'entreprise, conformément d'ailleurs aux dispositions de la note 13 L- 5- 88 éditée le 6 mai 1988 par la direction générale des impôts, dont les termes n'ont pas été méconnus ;

Considérant, en troisième lieu, que si M. et Mme soutiennent qu'ils n'ont pas revendu mais offert à leur clientèle les attributions promotionnelles de café et de vin mousseux dont la SA Boissons Service avait bénéficié de la part de ses fournisseurs, ils ne critiquent pas utilement les constatations et les calculs précis du vérificateur obtenus à partir des conditions d'exploitation de l'entreprise ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le vérificateur aurait sous-évalué la consommation du personnel et des dirigeants et des échantillonnages ; que, s'agissant de la casse et du coulage, les taux respectifs de 2% et 1%, admis en appel par le ministre et pris en compte dans les conclusions de son recours, n'apparaissent pas inférieurs aux taux résultant des usages de la profession et à ceux admis par l'article 495 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable en ce qui concerne les pertes subies par les marchands en gros ;

Considérant que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence et le montant des recettes non déclarées par la SA Boissons Service et, simultanément, l'existence et le montant des revenus distribués par la société ;

Sur l'appréhension des revenus réputés distribués par M. et Mme :

Considérant qu'en raison de la séparation existant entre le patrimoine de la SA Boissons Service et celui de M. et Mme , il incombe à l'administration d'établir l'appréhension par les intéressés des revenus réputés distribués en démontrant que ceux-ci se sont comportés en maîtres de l'affaire, d'une part, du fait de la détention d'une partie prépondérante du capital social, d'autre part, eu égard à des circonstances précises et concordantes tirées du fonctionnement même de l'entreprise ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme détenaient 60 % des parts de la SA Boissons Service, leur fils Guillaume détenant par ailleurs 33 % des parts, et qu'ils exerçaient respectivement à la tête de cette société les fonctions de président-directeur-général et de directrice générale ;

Considérant, en second lieu, que, comme il a été dit, la comptabilité de la SA Boissons Service a été à bon droit rejetée comme non probante ; qu'il est constant que la société se livrait à des ventes sans factures ; que, comme le souligne le ministre, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas soutenu par les contribuables, que l'appréhension des revenus réputés distribués ait pu être le fait d'un préposé ou d'un tiers ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les sommes issues des ventes sans factures, dont M. et Mme ont nécessairement eu, dans le cadre de leurs responsabilités de mandataires sociaux, la gestion, soient demeurées investies ou aient été réinvesties dans l'entreprise, ou encore qu'elles aient, comme ils l'affirment sans l'établir, servi à régler de quelconques frais ou charges incombant à la société ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme ayant réuni des indices précis et concordants tirés du fonctionnement même de la société suffisants pour établir que les contribuables se comportaient en maîtres de l'affaire et, partant, pour démontrer l'appréhension par eux des revenus distribués par la société ;

Considérant que le ministre est, en conséquence, fondé à soutenir que c'est à tort que, pour accorder à M. et Mme la décharge des droits et pénalités qui leur avaient été réclamés, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'administration n'établissait pas l'appréhension par les intéressés des revenus regardés comme distribués par la société Boissons Service ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme tant devant Xle Tribunal administratif de Clermont-Ferrand que devant le juge d'appel ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, que les irrégularités qui entacheraient la procédure d'imposition d'une société à l'impôt sur les sociétés sont, par elles-mêmes, sans influence sur l'imposition des dirigeants ou des associés de cette société à l'impôt sur le revenu, alors même qu'il s'agirait d'un excédent de distribution révélé par un redressement des bases de l'impôt sur les sociétés que l'administration entend imposer à l'impôt sur le revenu entre les mains des bénéficiaires ; que, par suite, sont inopérants les moyens tirés des prétendues irrégularités qui entacheraient la vérification de comptabilité de la SA Boissons Service ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. et Mme soutiennent qu'ils auraient été privés de la faculté de se faire assister d'un conseil, aucune disposition de la loi fiscale n'oblige l'administration à informer les contribuables de cette faculté avant l'engagement d'un contrôle sur pièces ; qu'en outre, à l'issue de ce contrôle, la notification de redressements datée du 27 novembre 1992 a régulièrement mentionné cette faculté conformément aux dispositions de l'article L. 54 B du livre des procédures fiscales ;

Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les contribuables, il ne résulte pas de l'instruction que le vérificateur aurait exercé des pressions sur M. lors d'un entretien qui s'est déroulé le 13 mars 1992, soit plus de huit mois avant l'envoi de la notification des redressements, alors que le contribuable était incarcéré ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, a prononcé, exception faite des réductions de base correspondant à la prise en compte des taux de 2% et 1% pour la casse et le coulage, la décharge des impositions et majorations en litige ;

Sur les conclusions du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE tendant à l'annulation de l'article 3 du jugement :

Considérant que le tribunal administratif, par l'article 3 de son jugement, a condamné l'Etat à verser à M. et Mme , la somme de 3000 francs au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que la décharge des impositions prononcée par le tribunal administratif est confirmée partiellement par le présent arrêt ; que M. et Mme ne peuvent donc être regardés comme les parties perdantes dans le litige qui les opposait à l'administration fiscale en première instance ; que, par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions du recours du ministre tendant à l'annulation de l'article 3 du jugement ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en appel, soit condamné à verser à M. et Mme la somme que ceux-ci demandent en application de cet article ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les compléments d'impôt sur le revenu, de prélèvement social de 1% et de contribution sociale généralisée auxquels M. et Mme ont été assujettis au titre des années 1989, 1990 et 1991 sont remis à leur charge à concurrence des droits et pénalités correspondant à des revenus de capitaux mobiliers d'un montant de 64 487,31 euros (423 009 francs) au titre de l'année 1989, 84 068,47 euros (551 453 francs) au titre de l'année 1990 et 93 425,79 euros (612 833 francs) au titre de l'année 1991.

Article 2 : L'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 26 mai 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. et Mme tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N°98LY02247


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 98LY02247
Date de la décision : 30/12/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. BERNAULT
Rapporteur ?: M. Jean-Louis BEDIER
Rapporteur public ?: M. GIMENEZ
Avocat(s) : LAMY LEXEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2004-12-30;98ly02247 ?
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