Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 6 mars 1996 sous le n° 96LY00550, présentée par Mlle X. ;
Mlle X. demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement en date du 11 janvier 1996 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande qui tendait à l'annulation de l'arrêté en date du 24 janvier 1993 par lequel le préfet du Rhône a ordonné son hospitalisation d'office au centre hospitalier spécialisé de S. à compter du 23 janvier 1993 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 24 janvier 1993 du préfet du Rhône ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10.000 francs au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques, ouvert à New-York le 19 décembre 1966 et publié par le décret du 29 janvier 1981 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 janvier 1998 ;
- le rapport de Mme LAFOND, conseiller ;
- et les conclusions de M. BEZARD, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que Mlle X., à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral en date du 24 janvier 1993, a soutenu, à titre principal, que cet arrêté ne pouvait pas être motivé par référence à deux certificats médicaux établis les 23 et 24 janvier 1993 et non joints audit arrêté et, à titre subsidiaire, pour le cas où ce tribunal accepterait cette motivation par référence, que le premier de ces certificats n'énonçait pas de circonstances de fait ; que, par une lettre du 12 juin 1995, le greffier du tribunal administratif de Lyon a invité Mlle X. à communiquer au tribunal les deux certificats médicaux, si elle les détenait, ou, au cas contraire, à en demander au préfet du Rhône la communication au médecin qu'elle aurait désigné à cet effet, puis, après en avoir pris connaissance, de décider le cas échéant, soit de les communiquer directement au tribunal, soit d'autoriser celui-ci à se les faire communiquer par l'administration ; que, par un mémoire enregistré le 8 août suivant, l'intéressée a fait savoir au tribunal qu'elle ne détenait pas les deux certificats en cause et qu'il appartenait au seul tribunal, par un jugement avant dire-droit, d'enjoindre à l'administration de produire ces documents ; que, par son jugement du 11 janvier 1996, ce tribunal a rejeté les conclusions de Mlle X. aux motifs que l'arrêté préfectoral pouvait se borner à se référer aux constatations des certificats médicaux et que l'intéressée, en n'acceptant pas d'effectuer la démarche à laquelle elle avait été invitée par la lettre du 12 juin 1995, avait refusé de mettre le tribunal à même d'exercer le contrôle qui lui incombe de la régularité de l'arrêté litigieux ;
Considérant que, si le rapporteur peut, en vertu de l'article R.142 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, demander à une partie une pièce ou un document qu'elle détient et qui est utile à la solution du litige, il n'appartient qu'à la formation de jugement, après avoir justifié la nécessité d'une telle démarche faisant intervenir un tiers au litige, d'ordonner à la partie qui détient un document couvert par le secret médical, d'en donner communication au demandeur selon des modalités compatibles avec les prescriptions du code de déontologie médicale afin de lui permettre d'en révéler lui-même le contenu au juge administratif ; que, par suite, Mlle X. est fondée à soutenir qu'en fondant le rejet de sa demande sur son refus d'effectuer la démarche qui lui avait été irrégulièrement demandée, le tribunal administratif n'a pas rempli complètement la mission juridictionnelle qui était la sienne ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler son article 3 en tant qu'il rejette les conclusions de Mlle X. tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mlle X. devant le tribunal administratif de Lyon ;
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'annulation de l'arrêté du maire en date du 23 janvier 1993 :
Considérant que si l'arrêté du maire de B., en date du 23 janvier 1993, ordonnant l'hospitalisation provisoire d'office et d'urgence de Mlle X. a été annulé par le jugement du 11 janvier 1996 du tribunal administratif, confirmé sur ce point par un arrêt de la cour de céans en date du 5 juin 1997, cette circonstance est sans influence sur la légalité de l'arrêté préfectoral contesté, dès lors que la mesure d'urgence que peut prendre le maire sur le fondement de l'article L.343 du code de la santé publique ne constitue pas un préalable nécessaire à l'hospitalisation d'office que peut ordonner le préfet en application de l'article L.342 du même code ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision prise par l'autorité préfectorale :
Considérant qu'aux termes de l'article L.342 du code de la santé publique : "A Paris, le préfet de police, et dans les départements, les préfets, prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L.331 des personnes dont les troubles mentaux compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire." ;
Considérant que si, en application de ces dispositions, seules applicables aux arrêtés préfectoraux ordonnant le placement d'office des personnes dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes, la décision du préfet doit être motivée et énoncer les circonstances qui l'ont rendu nécessaire, celle-ci peut se borner à se référer aux constatations du certificat médical exigé par les mêmes dispositions à la condition que celui-ci décrive avec précision l'état mental de l'intéressé ; que, dans le cas où le certificat médical n'est pas joint à l'arrêté préfectoral et où celui-ci n'en reproduit pas les termes, et lorsque la personne visée par cet arrêté soutient qu'il n'est pas motivé ou insuffisamment motivé, il appartient au juge administratif, alors même qu'il n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de la mesure contestée, d'ordonner à l'administration la production du document en question afin de pouvoir se prononcer sur la régularité de l'arrêté attaqué ; que, toutefois, le respect du secret médical s'oppose à ce qu'il en prenne directement connaissance ; que l'administration doit, dès lors, donner communication du certificat médical à l'intéressé selon des modalités respectant le secret médical ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté du préfet du Rhône se borne à se référer au certificat médical du Docteur W. qui ne lui est pas joint et n'en reprend pas les termes ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, une telle motivation par référence ne méconnaît pas les prescriptions de l'article L.342 précité ;
Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que l'arrêté attaqué ne mentionne pas l'adresse de Mlle X. est sans incidence sur sa légalité dès lors que les précisions qu'il contient permettaient d'identifier la personne faisant l'objet du placement d'office ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article 5-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle." ; qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, introduit dans l'ordre juridique interne par l'effet conjugué de la loi du 25 juin 1980, qui en a autorisé la ratification, et du décret du 29 janvier 1981, qui en ordonne la publication : "Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui." ; que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait ces stipulations est inopérant, les conditions dans lesquelles est notifiée une décision administrative étant sans influence sur la légalité de cette dernière ;
Considérant, en quatrième lieu, que Mlle X. soutient que le certificat médical établi par le Docteur W. ne satisfait pas aux exigences de motivation de l'article L.342 précité ; que, dès lors, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'emploi et de la solidarité de communiquer au médecin que Mlle X. désignera le certificat médical afin que la requérante décide, le cas échéant, d'autoriser la Cour administrative d'appel à en prendre connaissance ;
Article 1er : L'article 3 du jugement en date du 11 janvier 1996 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de Mlle X. tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 24 janvier 1993 par lequel le préfet du Rhône a ordonné son hospitalisation d'office au centre hospitalier spécialisé de S..
Article 2 : Avant dire-droit sur la requête de Mlle X., il est enjoint au ministre de l'emploi et de la solidarité de procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à la communication au médecin que Mlle X. désignera du certificat médical du Docteur W. auquel l'arrêté du préfet du Rhône en date du 24 janvier 1993 fait référence.