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23/09/1997 | FRANCE | N°94LY01164

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1e chambre, 23 septembre 1997, 94LY01164


Vu, enregistré au greffe de la cour le 27 juillet 1994, le recours présenté par le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme ;
Le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du 22 octobre 1992 par lequel le tribunal administratif de NICE a, à la demande de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur, déclaré que la responsabilité contractuelle de l'Etat était engagée à raison du non-respect des dispositions du traité de concession confiant à la chambre de commerce l'établissement et l'exploitation des ouvrages du port de Nice ;

2 ) d'annuler le jugement du 15 mars 1994 par lequel le tribunal admini...

Vu, enregistré au greffe de la cour le 27 juillet 1994, le recours présenté par le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme ;
Le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du 22 octobre 1992 par lequel le tribunal administratif de NICE a, à la demande de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur, déclaré que la responsabilité contractuelle de l'Etat était engagée à raison du non-respect des dispositions du traité de concession confiant à la chambre de commerce l'établissement et l'exploitation des ouvrages du port de Nice ;
2 ) d'annuler le jugement du 15 mars 1994 par lequel le tribunal administratif de NICE a condamné l'Etat à payer à la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur une indemnité de 201 302 francs, outre intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 1987, et mis à sa charge les frais d'expertise ;
3 ) de rejeter la demande de la chambre de commerce et d'industrie devant le tribunal administratif ;
Le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme expose que la chambre de commerce et d'industrie est titulaire de la concession d'établissement et d'exploitation de l'outillage public du port de Nice ; que la chambre de commerce a demandé qu'il soit mis fin à l'utilisation par la société Comatrans de chariots élévateurs à l'intérieur du périmètre concédé estimant que cette situation qui mettait en cause l'équilibre financier de la concession, portait atteinte à ses droits de concessionnaire ; que les concessions d'outillage public n'ont pas pour effet de conférer un monopole au concessionnaire, l'usage des installations par le public étant facultatif ; que le droit communautaire s'opposerait à une réglementation nationale donnant des droits exclusifs pour organiser les opérations portuaires ; que l'utilisation d'engins mobiles tels les chariots élévateurs n'a pas à faire l'objet d'autorisation domaniale ; que l'article L.28 du Code du domaine de l'Etat n'est alors pas applicable ; que l'équilibre financier du service concédé n'est pas menacé ;
Vu les jugements attaqués ;
Vu, enregistré au greffe de la cour le 17 octobre 1994, le mémoire présenté pour la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur représentée par son président en exercice, par Me AIACHE-TIRAT, avocat au barreau de Nice ;
La chambre de commerce demande à la cour :
1 ) de rejeter le recours du ministre de l'équipement, des transports et du tourisme ;
2 ) par la voie de l'appel incident de condamner l'Etat à lui payer, outre intérêts, une indemnité de 4 784 642 francs ;
3 ) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 50 000 francs sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 1997 :
- le rapport de M. FONTBONNE, conseiller ;
- les observations de Me AIACHE-TIRAT, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur;
- et les conclusions de M. VESLIN, commissaire du gouvernement ;

Sur la responsabilité :
Considérant que l'Etat a concédé à la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur, l'établissement et l'exploitation des ouvrages et de l'outillage du port de Nice ; que les droits et obligations réciproques des parties sont définis par un cahier des charges annexé à un arrêté préfectoral du 28 janvier 1978 ; que le secrétaire d'Etat à la mer a confirmé le 20 novembre 1987 la décision du directeur départemental de l'équipement des Alpes-Maritimes du 15 mai 1987 rejetant la demande de la chambre de commerce tendant à ce que l'Etat autorité concédante prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à l'activité des sociétés privées d'acconage effectuant sans autorisation à l'intérieur du périmètre de la concession, des prestations de chargement et déchargement de navires et de manutention de marchandises à l'aide de chariots élévateurs mobiles ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du cahier des charges de la concession : "Le concessionnaire sera tenu d'établir, d'aménager et d'entretenir ... des appareils fixes ou mobiles pour le chargement ou le déchargement des navires et pour la manutention des marchandises ..." ; qu'aux termes de l'article 2 du même cahier des charges : " ...le concessionnaire ne sera fondé à élever aucune réclamation dans le cas où, après l'avoir entendu, l'autorité concédante autoriserait en faveur de tiers l'exploitation d'outillages qui s'avéreront utiles dans les ports. Mais si ces outillages sont installés dans l'emprise de la concession les titulaires des autorisations devront verser au concessionnaire les redevances pour l'occupation des terrains et locaux dépendant de la concession." ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que dès lors que l'activité de manutention des sociétés privées s'exerçait sur le domaine public concédé, et bien que, d'une part, l'utilisation de l'outillage public soit facultative pour les usagers du port et, d'autre part, que le concessionnaire ne bénéficie pas d'un droit exclusif d'exploitation, l'administration devait, en vue d'assurer la meilleure utilisation de son domaine soumettre à autorisation préalable d'exploitation toute activité de manutention concurrente de celle du concessionnaire susceptible de compromettre la bonne gestion et l'efficacité du service public concédé, et cela quels que soient les moyens techniques employés et sans qu'il y ait lieu en particulier d'établir une distinction entre engins fixes ou mobiles ; qu'en vertu de l'article 2 précité du cahier des charges de la concession, il appartenait à l'autorité concédante de n'accorder une autorisation d'exploitation en faveur d'un tiers par rapport au concessionnaire qu'après avoir consulté le concessionnaire et vérifié que les prestations proposées par ce tiers seraient utiles aux usagers du port ; que par suite le refus de mettre fin à des activités concurrentes s'exerçant sans titre a constitué une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l'Etat ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne les pertes d'exploitation alléguées :

Considérant que le préjudice d'exploitation allégué par la chambre de commerce ne peut être regardé comme procédant directement de cette faute que dans la mesure où un refus aurait dû nécessairement être opposé à des demandes d'autorisation présentées par les sociétés privées en cause ;
Considérant que l'administration qui disposait du pouvoir de modification unilatérale des conditions d'exploitation en tout état de cause toujours reconnu à l'autorité concédante, tenait en outre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, des dispositions de l'article 2 du cahier des charges de la concession, la possibilité d'autoriser des tiers à mettre en oeuvre dans le périmètre concédé de nouveaux engins de manutention présentant une utilité pour les usagers ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, bien que proposées à des tarifs supérieurs à ceux de l'utilisation de l'outillage public, les prestations de manutention des sociétés privées en cause étaient recherchées par les propriétaires de navires ; que, par suite, même si elle possède également des chariots élévateurs mobiles, la chambre de commerce n'établit pas que le service public concédé répondait en tous points, dans des conditions équivalentes, aux besoins des usagers du port ; que dès lors, l'autorité concédante n'était pas en situation de refuser nécessairement des demandes d'autorisation qui auraient été présentées par les sociétés privées en cause ; que dans ces conditions le seul fait d'avoir laissé une activité concurrente s'exercer sans titre ne peut être regardé comme directement à l'origine du préjudice d'exploitation allégué ; que c'est en conséquence à bon droit que le tribunal administratif a écarté ce chef de préjudice ;
En ce qui concerne les pertes de redevances :
Considérant que même si les chariots élévateurs mobiles ne stationnent au même emplacement que le temps nécessaire à la dépose et à la reprise de marchandises et que l'activité des sociétés privées d'acconage n'emporte pas ainsi l'établissement d'ouvrages fixes sur le domaine public concédé, lesdites sociétés utilisent néanmoins de manière permanente une partie des ouvrages de la concession ; que cette activité qui excède ainsi les limites de l'usage du domaine public reconnu à tout usager d'un port, doit être regardée comme une utilisation privative du périmètre concédé entrant dans les prévisions de l'article 2 précité du cahier des charges de la concession soumettant à redevances au profit du concessionnaire les tiers titulaires d'autorisation d'exploitation d'outillages utiles au service du port ; que la chambre de commerce est par suite fondée à soutenir que le fait de ne pas avoir soumis lesdites activités à autorisation d'exploitation, a eu directement pour effet de la priver des redevances auxquelles les dispositions du contrat de concession lui donnaient droit ; que dès lors, contrairement à ce que soutient le ministre, le tribunal administratif a, à bon droit, retenu ce chef de préjudice ;
Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Piovano a acquitté des redevances à partir de mars 1987 ; qu'il n'est pas davantage contesté que la société Plaisance Mer et Pêche n'a réalisé que des opérations de manutention ponctuelles ne pouvant être regardées comme une utilisation privative des ouvrages portuaires et a cessé son activité en 1989 ; que dans ces conditions le tribunal administratif a pu à bon droit sans commettre d'erreur d'appréciation, limiter la mission de l'expert en vue de déterminer le préjudice subi par la chambre de commerce à la seule recherche des éléments liés à l'activité de la société Comatrans ;
Considérant que pour déterminer le préjudice subi par la chambre de commerce le tribunal administratif s'est référé au barème existant pour le calcul du montant des redevances domaniales habituellement exigées des sous-traitants du concessionnaire ; que la société Comatrans n'étant toutefois pas en situation de sous-traitant, seule la partie fixe des redevances demandées aux sous-traitants et liée à l'importance des surfaces occupées a été prise en compte, la partie proportionnelle liée au chiffre d'affaires réalisé n'étant pas retenue ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif aurait ainsi fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce et notamment des conditions d'utilisation des installations portuaires par ladite société ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif a retenu les conclusions de l'expert limitant la période d'évaluation du préjudice aux seuls exercices 1988 à 1991 alors que l'Etat aurait dû, dès le 15 mai 1987, faire droit à la demande de la chambre de commerce tendant au respect du contrat de concession ; que dans ces conditions, il y a lieu de porter de 201 302 francs à 250 000 francs l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'Etat à payer à la chambre de commerce ; qu'il y a lieu dans cette mesure de faire droit aux conclusions de l'appel incident de la chambre de commerce ;
Considérant qu'en l'absence de dispositions contractuelles prévoyant l'octroi d'intérêts à un taux différent du taux légal, le tribunal administratif a, à bon droit, assorti le paiement de l'indemnité dûe par l'Etat, d'intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 1987, date d'enregistrement au greffe de la demande de la chambre de commerce ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de rejeter les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur ;
Article 1er : Le recours du ministre de l'équipement, des transports et du tourisme est rejeté.
Article 2 : L'indemnité de 201 302 francs que l'Etat a été condamné à verser à la chambre de commerce et d'industrie de Nice Côte d'Azur par le jugement du tribunal administratif de Nice du 15 mars 1994 est portée à 250 000 francs.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de la chambre de commerce de Nice-Côte d'Azur est rejeté.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 15 mars 1994 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 94LY01164
Date de la décision : 23/09/1997
Sens de l'arrêt : Rejet réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - REGIME - OCCUPATION - UTILISATIONS PRIVATIVES DU DOMAINE - CONTRATS ET CONCESSIONS - Concession d'établissement et d'exploitation de l'outillage public d'un port - Refus du concédant de mettre fin à l'activité de sociétés de manutention s'exerçant sans titre dans le périmètre concédé - a) Manquement à l'obligation contractuelle de protection du concessionnaire - b) Préjudice d'exploitation - Absence de lien de causalité.

24-01-02-01-01-02, 39-03-01-01, 50-02-02 En vertu du cahier des charges de la concession par laquelle l'Etat a confié à la chambre de commerce et d'industrie l'établissement et l'exploitation des ouvrages et de l'outillage du port, le concessionnaire n'est fondé à élever aucune réclamation dans le cas où, après l'avoir entendu, l'autorité concédante autoriserait des tiers à exploiter des outillages utiles aux usagers du port ; toutefois, si les outillages sont installés dans l'emprise de la concession, les titulaires des autorisations doivent verser des redevances au concessionnaire. Le refus de mettre fin à des activités concurrentes s'exerçant sans titre constitue une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l'Etat. Dès lors que l'Etat n'était pas en situation de refuser nécessairement des demandes d'autorisation qui auraient été présentées par les sociétés privées concurrentes, cette carence ne peut cependant pas être regardée comme directement à l'origine du préjudice d'exploitation allégué par le concessionnaire, qui peut seulement prétendre à obtenir réparation du préjudice né des pertes de redevances auxquelles il avait droit.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - EXECUTION TECHNIQUE DU CONTRAT - CONDITIONS D'EXECUTION DES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS EN L'ABSENCE D'ALEAS - CONCESSIONS - DROITS ET OBLIGATIONS DES CONCESSIONNAIRES - Concession d'établissement et d'exploitation de l'outillage public d'un port - Refus du concédant de mettre fin à l'activité de sociétés de manutention s'exerçant sans titre dans le périmètre concédé - a) Manquement à l'obligation contractuelle de protection du concessionnaire - b) Préjudice d'exploitation - Absence de lien de causalité.

50-02-03 L'activité de sociétés effectuant dans un port des prestations de manutention à l'aide de chariots élévateurs mobiles n'emporte pas établissement d'ouvrages fixes sur le domaine public. Dans la mesure où elles bénéficient de l'ensemble des ouvrages du port qu'elles utilisent de manière permanente, leur activité qui doit être soumise à autorisation d'exploitation, doit être regardée comme une utilisation privative excédant les limites de l'usage normal reconnu à tout usager et doit, lorsque le cahier des charges de la concession du port le prévoit, donner lieu à versement de redevances.

PORTS - UTILISATION DES PORTS - OUTILLAGE - Concession d'établissement et d'exploitation de l'outillage public d'un port - Refus du concédant de mettre fin à l'activité de sociétés de manutention s'exerçant sans titre dans le périmètre concédé - a) Manquement à l'obligation contractuelle de protection du concessionnaire - b) Préjudice d'exploitation - Absence de lien de causalité.

PORTS - UTILISATION DES PORTS - MANUTENTION - Notion d'utilisation privative d'un port par des sociétés de manutention.


Références :

Arrêté du 28 janvier 1978
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Président : M. Lavoignat
Rapporteur ?: M. Fontbonne
Rapporteur public ?: M. Veslin

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1997-09-23;94ly01164 ?
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