Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 17 février 1995, présentée pour Mlle Valérie X..., demeurant ..., Mlle Patricia X..., demeurant ... et Me Z..., syndic, demeurant ..., es qualité de représentant des créanciers de Mlle Valérie FABRE, par Me GASSIER et SERIES, avocats ;
Les demoiselles FABRE et Me Z... demandent à la cour :
- d'annuler le jugement n 92-4289 en date du 29 novembre 1994 par lequel le tribunal administratif de NICE a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice causé par le retard de l'administration à leur accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une décision de justice ; - de condamner l' Etat à leur verser la somme principale de 900 000 francs, avec intérêts de droit à compter du 9 septembre 1992, et une somme de 20 000 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 30 janvier 1997 :
- le rapport de M. BERTHOUD, conseiller ;
- les observations de Me GASSIER, avocat de Mlle Valérie X..., Mlle Patricia FABRE et de Me Z... ;
- et les conclusions de Mme ERSTEIN, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que Mlles Patricia et Valérie X..., titulaires d'un bail commercial conclu en 1987 pour un local situé au Lavandou, quai Baptistin Pin, ont saisi le tribunal de grande instance de Toulon afin d'obtenir l'expulsion de M. Y..., qui exploitait sans titre un restaurant dans ledit local ; que le juge des référés de ce tribunal a prononcé, par ordonnance du 27 mars 1992, l'expulsion de l'intéressé ; que pour assurer l'exécution de cette décision de justice, les demoiselles FABRE ont requis le 26 juin 1992 le concours de la force publique, lequel ne leur a été accordé que le 2 octobre 1992 ;
Considérant que tout justiciable nanti d'une décision de justice revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le préfet du Var ait pu différer, pour un motif valablement tiré des nécessités de l'ordre public, l'assistance des forces de police pour assurer l'exécution de la décision de justice susmentionnée ; qu'ainsi, en tout état de cause, la responsabilité de l'Etat est engagée de ce fait ;
Considérant que la circonstance que les demoiselles FABRE auraient consenti à M. Y..., le 16 mai 1990, un bail précaire de vingt-trois mois sans l'accord des propriétaires dudit local, méconnaissant ainsi l'une des clauses de leur propre bail, n'est pas de nature à exonérer l'Etat de tout ou partie de la responsabilité encourue à raison du retard fautif de l'administration, alors que le préjudice subi du fait de cette carence n'est pas la conséquence directe de cette irrégularité ; que dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, les demoiselles FABRE sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande ;
Sur le préjudice :
Considérant que les demoiselles FABRE sont fondées à demander réparation à l'Etat du préjudice que leur a causé le maintien dans les lieux de M. Y... à compter de l'expiration du délai raisonnable dont disposait l'administration pour exercer son action ; que ce délai, qui courait à compter de la saisine du préfet et qui était, au cas d'espèce, de deux mois, expirait le 26 août 1992 ; qu'il résulte de l'instruction que l'intervention de la force publique en vue d'assurer l'exécution matérielle de l'ordonnance d'expulsion a eu lieu le 2 octobre 1992 ; que si les requérantes allèguent que M. Y... n'aurait définitivement quitté les lieux qu'à la fin du mois de décembre, cette affirmation n'est pas confirmée par les pièces produites au dossier ; qu'ainsi, les demoiselles FABRE ne sauraient prétendre à être indemnisées que des conséquences dommageables de l'occupation du local dont s'agit durant la période du 26 août au 2 octobre 1992 ;
Considérant d'une part que sur la base du loyer mensuel auquel avait été fixé le taux d'indemnité d'occupation mise à la charge de M. Y... par le juge des référés, l'indemnité de privation de jouissance à laquelle ont droit les demoiselles FABRE doit être fixée à la somme de 12 000 francs ;
Considérant d'autre part que, alors que les demoiselles FABRE ont cessé l'exploitation directe de leur fonds de commerce depuis 1990, le préjudice tiré de la perte des bénéfices qu'elles auraient pu tirer de cette exploitation durant la période de responsabilité de l'administration et de l'impossibilité de vendre ledit fonds en temps utile ne présente pas, dans les circonstances de l'espèce, un caractère certain, et n'est d'ailleurs assorti d'aucune justification ; que le préjudice qui résulte de la perte du fonds de commerce et du droit au bail ne saurait ouvrir droit à indemnisation, la preuve d'un lien direct entre la carence de l'administration et la résolution du bail consenti aux demoiselles FABRE n'étant pas apportée ;
Sur les intérêts:
Considérant que les demoiselles FABRE ont droit aux intérêts au taux légal de la somme de 12 000 francs, à compter du jour de la réception par le préfet du Var de leur demande préalable d'indemnisation en date du 9 septembre 1992 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 17 février 1995 et 4 mars 1996 ; qu'à ces dates il était dû au moins une année d'intérêts; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation." ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser aux consorts X... la somme de 5 000 francs en application des dispositions précitées ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 29 novembre 1994 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser aux demoiselles FABRE la somme de 12 000 francs, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par l'administration de leur demande préalable d'indemnisation en date du 9 septembre 1992 ; les intérêts échus les 17 février 1995 et 4 mars 1996 seront capitalisés à chacune de ces deux dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser aux demoiselles FABRE et à Me Z... la somme totale de 5 000 francs en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mlles Patricia et Valérie FABRE et de Me Z... et de leur demande de première instance est rejeté.