Vu, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel le 10 décembre 1993, la requête présentée pour le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, représenté par le président de son conseil général dûment habilité par délibération de la commission permanente en date du 13 janvier 1994, ayant pour avocat Me MOUISSET ;
Le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 5 octobre 1993, par lequel le tribunal administratif de Nice l'a déclaré responsable, à proportion de 50 %, des conséquences dommageables de l'accident de la circulation dont ont été victimes, le 27 décembre 1986, M. A... RENVOYER, Mlle Nathalie Y..., Mlle Charlotte Y... et M. Marc Z..., et l'a condamné à payer à la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE (MAAF) subrogée dans les droits des victimes, la somme totale de 130.265 francs ;
2°) de le décharger de toute condamnation et de condamner la MAAF aux dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 octobre 1996 :
- le rapport de M. BERTHOUD, conseiller ;
- les observations de Me BONNET substituant Me MOUISSET, avocat du département des Alpes-Maritimes, et de Me X... substituant la SCP de la SERVETTE COCHET RODET BESSY VITAL-DURAND, avocat de la Mutuelle assurance artisanale de France ;
- et les conclusions de M. RIQUIN, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi par la gendarmerie, que le 27 décembre 1986 à 11,30 heures, alors qu'au volant d'une voiture où avaient pris place trois passagers, il circulait dans le sens Auron-Nice, M. A... RENVOYER fut surpris, au sortir d'une courbe, par une épaisse couche de gravillons épandus d'une manière non uniforme sur plusieurs dizaines de mètres du nouveau tronçon du CD 2205 récemment ouvert à la circulation ; que son véhicule dérapa sur 19 mètres avant de dévier de sa trajectoire en traversant la chaussée sur sa gauche puis le terre-plein lui faisant suite pour finalement s'abîmer dans le ravin situé à une vingtaine de mètres en contrebas ; que Mlle Nathalie Y... trouva la mort dans cet accident tandis que le conducteur et les deux autres passagers Mlle Charlotte Y... et M. Marc Z..., furent grièvement blessés ; que M. C... devait décéder des suites de ses blessures le 3 janvier 1993 ;
Considérant qu'il résulte aussi de l'instruction qu'aucun panneau ne signalait aux usagers la présence de gravillons ; qu'en se bornant à produire une simple déclaration de l'ingénieur chargé des travaux affirmant qu'une signalisation était en place à chacune des extrémités dudit tronçon de route long de 2,300 km, le département n'établit pas qu'une telle signalisation, à la supposer même effective -ce que dément le constat de gendarmerie- eût été de nature à prévenir utilement les usagers du danger que présentait le gravillonnage particulier de cette voie en déclivité dans le sens emprunté par M. C... et alors qu'au surplus, aucune limitation de vitesse n'avait été provisoirement imposée sur cette section du CD 2205 ; que, par ailleurs, la présence de panneaux signalant d'éventuelles chutes de pierres ne pouvait en tout état de cause suppléer à l'absence d'une signalisation appropriée à l'état de la voie ; qu'il résulte de ce qui précède que le DEPARTEMENT DES ALPES MARITIMES ne saurait être regardé comme apportant la preuve qui lui incombe d'un entretien normal de l'ouvrage public en cause ;
Considérant toutefois que si l'excès de vitesse invoqué à l'encontre de M. A... RENVOYER ne ressort pas des pièces du dossier, en revanche, le fait pour le conducteur d'avoir tenté de freiner, alors qu'une telle manoeuvre présentait un risque certain de dérapage compte tenu de la présence de gravillons, établit qu'en la circonstance il a fait preuve d'une imprudence et d'un manque de maîtrise dans la conduite de son véhicule de nature à atténuer la responsabilité du département ; qu'ainsi, les premiers juges ont fait une juste appréciation des circonstances de l'accident en prononçant un partage par moitié des responsabilités en présence ; qu'il s'ensuit que ni le département par son appel principal, ni la MAAF et la CPAM des Alpes-Maritimes par leurs conclusions incidentes, ne sont fondés à demander la réformation sur ce point du jugement attaqué ;
Sur les préjudices et leur réparation :
Considérant que les premiers juges ont omis de statuer sur les conclusions présentées par la MAAF en tant qu'elles se rapportaient à l'action subrogatoire qu'elle tenait des paiements effectués à la CPAM de Nice pour Mlle Charlotte Y... et à la Mutuelle médicale et chirurgicale de Paris pour M. Marc Z... ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces points ;
Considérant que si la MAAF est fondée à exercer l'action subrogatoire prévue par l'article L.121-12 du code des assurances, à raison des sommes qu'elle a versées aux victimes ainsi qu'à leurs ayants-droit et aux organismes de sécurité sociale, cette action n'est toutefois recevable que dans la double limite des quittances subrogatoires produites et des indemnités effectivement accordées par le juge de contentieux, lequel n'est pas tenu par le montant des débours de l'assureur ;
En ce qui concerne le préjudice de M. A... RENVOYER :
Considérant que si la MAAF établit, par la production de quittances subrogatoires, avoir payé à Mme Colette B..., en sa qualité de tutrice légale de son fils A... RENVOYER, la somme totale de 300 000 francs à titre d'avance sur recours, il est constant qu'elle n'a pas contesté le non-lieu en l'état prononcé par le jugement attaqué à la suite du décès de l'intéressé survenu le 3 janvier 1993 ; qu'il s'ensuit que ses conclusions à fins de remboursement doivent être regardées comme présentées pour la première fois en appel et sont , par suite, irrecevables ;
En ce qui concerne le préjudice des ayants-droit de Mlle Nathalie Y... :
Considérant que la MAAF demande la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a accordé des sommes inférieures à celles qu'elle-même a payées aux ayants-droit au titre de la douleur morale ; que, toutefois, il n'apparaît pas que les premiers juges aient fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 50 000 francs pour chacun des parents de Nathalie, à 10 000 francs pour chacun de ses deux frères Edouard et Jeoffroy et à 10 000 francs pour sa soeur Charlotte ; qu'il s'ensuit que les conclusions de la MAAF tendant à une révision de la somme prise en compte, ne peuvent qu'être rejetées ;
En ce qui concerne le préjudice de Mlle Charlotte Y... :
Considérant qu'il résulte d'une expertise médicale produite à l'instance que Mlle Charlotte Y... a subi une incapacité temporaire totale de 15 jours, et qu'elle a conservé une incapacité permanente partielle de 3 %, que sa douleur physique est qualifiée de modérée, et son préjudice esthétique de léger ; qu'il n'apparaît pas que les premiers juges aient fait une inexacte appréciation des différents chefs de préjudice susénumérés en les fixant respectivement à 1 000 francs, 5 000 francs, 8 000 francs, 4 000 francs ainsi que 6 500 francs au titre d'une facture de frais dentaires, soit une somme totale de 24 500 francs ; qu'en revanche, il y a lieu de retenir la somme de 5 604,34 francs déjà réclamée en première instance et dont la MAAF justifie le paiement à la CPAM de Paris au titre des frais médicaux et d'hospitalisation du 28 au 31 décembre 1988 ; qu'ainsi, il y a lieu de porter le montant du préjudice de Mlle Charlotte Y... à 30 104,34 francs ;
En ce qui concerne le préjudice de M. Marc Z... :
Considérant que les premiers juges ont pris en compte sans la modifier la somme de 90 500 francs réclamée par la MAAF au titre des sommes qu'elle a payées à M. Marc Z... ; que, par ailleurs, la MAAF ayant justifié en appel la somme de 162 389,53 francs qu'elle a payée à la CPAM de Paris et celle de 2 733,95 francs payée à la Mutuelle médicale et chirurgicale de Paris, il y a lieu de retenir ces sommes, portant ainsi les débours exposés par la MAAF pour M. Z... à la somme totale de 255 623,48 francs ;
Sur les droits de la MAAF :
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préjudice global indemnisable s'élève à la somme de 431 257,82 francs ; que, compte tenu du partage de responsabilité décidé plus haut, le DEPARTEMENT DES ALPES MARITIMES doit être condamné à payer à la MAAF la somme de 215 628,91 francs ; qu'il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué ;
Considérant par ailleurs que, par un mémoire en intervention enregistré au greffe le 17 octobre 1989, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES-MARITIMES a informé le tribunal administratif qu'à la date susindiquée elle n'était pas en mesure de chiffrer le montant de sa créance à raison de l'accident dont s'agit ; que, si en appel, la caisse produit le décompte des prestations dont a bénéficié M. C... pour un montant total de 125 083,52 francs, ses conclusions sont nouvelles et par suite irrecevables ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts : Considérant que la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE a droit aux intérêts de la somme de 215.628,91 francs à compter du jour de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif, soit le 6 mars 1989 ;
Considérant par ailleurs que la capitalisation des intérêts a été demandée le 11 juillet 1994 ; qu'à cette date et dans la mesure où le jugement n'aurait pas été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ; que dans l'hypothèse où le jugement aurait été exécuté, il y aurait lieu de calculer la capitalisation des intérêts sur le surplus des sommes accordées en appel, soit 85 363,91 francs ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES-MARITIMES et le DEPARTEMENT DES ALPES MARITIMES sont les parties perdantes dans la présente instance ; que cette circonstance fait obstacle à ce que leur soit allouée une somme quelconque au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Considérant par ailleurs qu'il y a lieu de condamner le département des Alpes-Maritimes à verser à la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE la somme de 5.000 francs au titre des mêmes dispositions ;
Article 1er : La requête du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES est rejetée.
Article 2 : La somme que par l'article 2 de son jugement en date du 5 octobre 1993 le tribunal administratif de Nice a condamné le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES à payer à la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE (MAAF) est portée à 215 628,91 francs. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 6 mars 1989. Les intérêts échus le 11 juillet 1994 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts dans les conditions susrappelées.
Article 3 : Le jugement en date du 5 octobre 1993 du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES est condamné à payer à la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE (MAAF) la somme de 5.000 francs au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Les conclusions de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES-MARITIMES sont rejetées.
Article 6 : Le surplus des conclusions incidentes de la MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE est rejeté.