Vu le recours du ministre du budget, enregistré au greffe de la cour le 1er juin 1992 ;
Le ministre demande à la cour :
- de réformer le jugement du 14 janvier 1992 en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait droit partiellement à la demande de la SA Volvic tendant à la réduction des compléments d'impôt sur les sociétés mis à la charge de cette dernière au titre des exercices 1983, 1984 et 1985 ;
- de remettre intégralement les impositions contestées à la charge de la SA Volvic ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 juin 1994 :
- le rapport de Mme Lafond, conseiller ;
- et les conclusions de M. Bonnaud, commissaire du gouvernement ;
Sur l'appel de ministre du budget :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
Considérant qu'aux termes de l'article L.192 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de l'article 10.I de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 et applicable, en vertu du paragraphe II de ce dernier article, aux contentieux relatifs à des impositions établies sur le fondement de redressements sur lesquels la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a fourni un avis postérieurement à la publication de ladite loi : "Lorsque l'une des commissions visées à l'article L.59 est saisie d'un ... redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge. Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu ..." ;
Considérant que, si la détermination du fardeau de la preuve est, pour l'ensemble des contribuables soumis à l'impôt, tributaires de la procédure d'imposition suivie à leur égard, elle n'en découle pas moins, à titre principal, dans le cas des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés, de la nature des opérations comptables auxquelles ont donné lieu les actes contestés par l'administration ;
Considérant, en particulier, que si l'acte contesté s'est traduit en comptabilité par une écriture portant soit sur des créances de tiers, des amortissements ou des provisions lesquels doivent, en vertu de l'article 38 du code général des impôts, être retranchés des valeurs d'actif pour obtenir le bénéfice net, soit sur les charges de la nature de celles qui sont visées à l'article 39 du même code et qui viennent en déduction du bénéfice net défini à l'article 38 du code, il appartient dans tous les cas au contribuable de justifier dans son principe et dans son montant de l'exactitude de l'écriture dont il s'agit quand bien même, en raison de la procédure mise en oeuvre, il n'eût pas été, à ce titre, tenu d'apporter pareille justification ;
Considérant qu'en l'espèce les écritures litigieuses ayant eu pour effet de diminuer l'actif net par une diminution de la valeur des stocks d'entrée et par l'inscription en charges de dépenses de réalisation de films publicitaires, la charge de prouver leur bien-fondé appartient dans tous les cas à l'entreprise, nonobstant les dispositions de la loi susvisée du 8 juillet 1987 relatives aux conséquences de l'intervention de la commission départementale qui n'ont pas eu pour objet ni pour effet de modifier les principes qui gouvernent la charge de la preuve indépendamment de la procédure suivie ;
En ce qui concerne la dépréciation du stock au 31 décembre 1985 :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur et applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment ... 5° les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables" et qu'aux termes de l'article 38 du même code : "3 ... Les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient." ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu'une entreprise constate que l'ensemble des matières ou produits qu'elle possède en stock ou une catégorie déterminée d'entre eux a, à la clôture de l'exercice, un cours inférieur au prix de revient, elle est en droit, à concurrence de l'écart constaté, de constituer une provision pour dépréciation ou éventuellement, à cette même fin, d'appliquer au prix de revient un abattement ; que, toutefois, cette provision ou cet abattement ne peuvent être admis que si l'entreprise est en mesure de justifier de la réalité de cet écart et d'en déterminer le montant avec une approximation suffisante ; que, s'agissant des produits intermédiaires destinés à être incorporés dans des produits finis, le cours du jour, au sens des dispositions de l'article 38, ne peut être évalué que par référence au prix de vente des produits finis diminué des coûts d'achèvement et des frais de distribution ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SA Volvic avait évalué son stock de produits concentrés de fruits en appliquant au prix de revient de ceux-ci une décote tenant compte de la baisse du dollar et, pour certains produits, une deuxième décote tenant compte de la baisse des cours du marché ; que l'administration, estimant que le cours du jour de ces produits n'était pas inférieur à leur prix de revient, a rectifié l'évaluation des stocks nonobstant l'avis contraire de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
Considérant que la SA Volvic ne conteste pas que les produits litigieux étaient destinés à être incorporés dans des boissons ni que le prix de vente de celles-ci, diminué des coûts d'achèvement et des frais de distribution, excédait le prix de revient des produits litigieux à la date de l'inventaire ; que, par suite, la SA Volvic ne justifie pas que, dans les conditions de son exploitation au 31 décembre 1985, le cours du jour des produits concentrés de fruits était devenu inférieur au prix de revient de ceux-ci ;
En ce qui concerne la déductibilité des dépenses de réalisation de films publicitaires engagées au cours des exercices 1983, 1984 et 1985 :
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code alors en vigueur, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 : "2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt ... L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements, les provisions justifiés ..." ; qu'aux termes de l'article 39 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : 1° Les frais généraux de toute nature ..." ;
Considérant que la SA Volvic a inclus dans ses charges des exercices 1983, 1984 et 1985 les frais de réalisation de films publicitaires destinés à promouvoir les produits qu'elle commercialise ; que l'administration conteste la qualification au regard de la loi fiscale des films publicitaires ;
Considérant que les films publicitaires ne sont pas normalement destinés à être utilisés pendant plus d'une année ; que, d'ailleurs, les films qu'a fait réaliser la SA Volvic ont été effectivement diffusés sur une durée inférieure à un an, ou même non diffusés ; que, par suite, les dépenses engagées à ce titre ont le caractère de charges d'exploitation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre du budget est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a accordé à la société Volvic la décharge du complément d'impôt sur les sociétés correspondant à la réintégration dans les bases imposables de l'exercice 1985, de l'insuffisance d'évaluation du stock ; qu'il y a donc lieu de rétablir la société à l'impôt sur les sociétés à hauteur des sommes dont elle a été déchargée par les premiers juges, soit pour l'exercice 1985, 2 514 435 francs en droits et 264 015 francs en pénalités ;
Sur le recours incident de la SA Volvic :
Considérant, d'une part, qu'au 31 décembre 1985, la SA Volvic était titulaire d'une créance d'un montant de 501 470 francs sur la société suisse SIDEM dont elle détenait 76 % du capital ; que, si elle soutient que cette créance, qui avait donné lieu précédemment à la constitution d'une provision pour créance douteuse, présentait toujours un risque d'irrécouvrabilité justifiant le maintien de la provision au 31 décembre 1985, elle ne l'établit pas en se bornant à alléguer qu'elle n'avait à cette date que des indications faisant état d'une perte supplémentaire ; que, dès lors, c'est à bon droit que ladite provision a été réintégrée dans les résultats de l'exercice 1985 ;
Considérant, d'autre part, que si la SA Volvic, suite à l'expertise ordonnée en référé par le tribunal de commerce de Paris sur demande de l'Arabie Saoudite et au rapport d'expertise, établi en janvier 1983, et mettant en cause sa responsabilité, et eu égard à la menace de litige qui pesait sur elle, a pu constituer en 1983 une provision destinée à faire face au versement de dommages et intérêts qui lui seraient réclamés, elle ne justifie pas, dès lors qu'aucun procès n'a en définitive été engagé par son client, qu'un accord amiable est intervenu en vertu duquel elle lui a versé 786 308 francs en 1985, et qu'elle ne fournit aucun élément permettant d'apprécier qu'elle risquait de devoir verser d'autres sommes, que la provision dont il s'agit correspondait à des charges probables et nettement précisées à la clôture de l'exercice 1985 justifiant le maintien de celle-ci dans ses écritures ; que c'est dès lors à bon droit que ladite provision, devenue sans objet, a été également réintégrée dans les résultats de l'exercice 1985 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SA Volvic n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a fait droit que partiellement à sa demande ;
Article 1 : L'impôt sur les sociétés auquel la SA Volvic a été assujettie au titre de l'exercice 1985 est remis à sa charge à concurrence de deux millions cinq cent quatorze mille quatre cent trente cinq francs (2 514 435 F) en droits et deux cent soixante quatre mille quinze francs (264 015 F) au titre des pénalités.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 14 janvier 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre du budget est rejeté.
Article 4 : Le recours incident de la SA Volvic est rejeté.