Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 1991, et présentée pour la S.A Société Chimique de la Route, représentée par son président directeur général en exercice et dont le siège social est situé ..., par Me FERLAY, avocat ;
La Société Chimique de la Route demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 septembre 1991 par lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à réparer les conséquences dommageables de l'accident dont M. Georges X... a été victime le 18 décembre 1984, sur le chemin départemental n° 8 entre Montbrison et Boën (Loire) ;
2°) de rejeter la demande présentée pour Mme Antoinette X..., Mme Chantal Y... et M. Jean-Michel X..., devant le tribunal administratif de Lyon ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le département de la Loire, le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant-Boudet et le maître de l'ouvrage à la garantir des condamnations qui seront éventuellement maintenues à son encontre, et de rejeter les appels en garantie formés par les autres défendeurs de première instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 1994 :
- le rapport de M. RIQUIN, conseiller ;
- les observations de Me BEAUTEMPS substituant Me FERLAY, avocat de la Société Chimique de la Route, de Me JAUBERT-VEDRINES substituant Me LEGAL avocat des consorts X..., de Me WISCHER substituant Me MOUISSET, avocat du département de la Loire, de Me ANTHOINE substituant Me VERNE, avocat du cabinet Bouchet-Vaillant-Boudet et de Me ROCHE substituant Me LAUGIER avocat de la société SCAEX Inter Rhône-Alpes ;
- et les conclusions de M. CHANEL, commissaire du gouvernement ;
Considérant que le permis délivré à la société SCAEX Inter Rhône-Alpes pour la construction d'un hypermarché sur un terrain situé en bordure du chemin départemental n° 8 entre Montbrison et Boën (Loire) lui a prescrit de réaliser un "tourne à gauche" nécessitant la création d'un îlot directionnel sur la chaussée et un élargissement de ladite voie ; que la société SCAEX, que le département de la Loire a autorisé à exécuter ces travaux sur son domaine public par une convention en date du 20 août 1984, en a confié la réalisation au cabinet d'architectes Bouchet- Vaillant-Boudet et à la Société Chimique de la Route ;
Considérant que le 18 décembre 1984 vers 7 h 45, M. X... a fait une chute qui a entraîné sa mort alors qu'il circulait à cyclomoteur dans la zone des travaux ; que par un jugement du 26 septembre 1991 le tribunal administratif de Lyon a condamné solidairement le département de la Loire, la Société Chimique de la Route et le cabinet Bouchet-Vaillant- Boudet à payer aux ayants droits de la victime une indemnité destinée à réparer la totalité des conséquences dommageables de l'accident ; que la Société Chimique de la Route fait appel de ce jugement ;
Sur l'appel de la Société Chimique de la Route :
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la chute dont M. X... a été victime s'est produite à l'endroit même où, dans le cadre de l'exécution des travaux de réalisation du tourne-à-gauche, l'élargissement récent de la chaussée prenait fin brutalement à hauteur du bout de l'îlot directionnel ci-dessus évoqué, provoquant une dénivellation de 8 centimètres particulièrement dangereuse pour les usagers des véhicules à deux roues ; que par suite le lien de causalité entre la chute mortelle dont M. X... a été victime et la présence de cette dénivellation doit être regardé comme établi ; que ce défaut d'entretien normal de la route départementale est imputable au département de la Loire, en sa qualité de maître d'ouvrage, au cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant-Boudet ainsi qu'à la Société Chimique de la Route qui assuraient l'exécution de ces travaux publics ; que la Société Chimique de la Route ne peut utilement soutenir, pour se soustraire à l'action en responsabilité engagée contre elle, que l'accident est survenu à une date postérieure à celle de la réception des travaux en question ; que si M. X... circulait sur la partie auparavant occupée par l'accotement, l'adjonction d'enrobé nécessaire à l'élargissement de la voie avait effacé le marquage permettant de distinguer l'accotement de la chaussée ; qu'il ne saurait donc lui être reproché d'avoir circulé sur celui-ci ; que si M. X... connaissait les lieux, il n'est pas établi qu'il était en mesure d'apprécier l'état d'avancement du chantier et ses incidences sur le tracé de la chaussée ; qu'enfin l'accident ayant eu lieu de nuit, dans un endroit dépourvu de tout éclairage public, et sous la pluie, il n'est pas non plus établi que la victime a commis une imprudence ou qu'elle n'a pas fait preuve d'une maîtrise suffisante de son engin ; qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'espèce que le tribunal administratif de Lyon a déclaré le département de la Loire, la Société Chimique de la Route et le cabinet Bouchet-Vaillant-Boudet entièrement responsables des conséquences dommageables de l'accident survenu à M. X... ;
En ce qui concerne la condamnation de la Société Chimique de la Route et du cabinet Bouchet-Vaillant-Boudet à garantir le département de la Loire :
Considérant que les travaux en question ont été réalisé non pour le compte du département de la Loire mais pour le compte de la SCAEX qui en a assuré seule le financement ; qu'en conséquence, alors même qu'en raison de leur objet, ils ont à l'égard des victimes des dommages qu'ils ont provoqué le caractère de travaux publics, le contrat passé pour leur exécution est une convention de droit privé qui n'a créé aucun lien de droit public entre le département et les constructeurs ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif de Lyon s'est reconnu compétent pour statuer sur les appels en garantie dirigés contre la Société Chimique de la Route et le cabinet Bouchet-Vaillant-Boudet, sur le fondement des fautes que ceux-ci aurait commises dans l'exécution de leurs obligations contractuelles ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant que le tribunal a statué sur les conclusions susanalysées ;
En ce qui concerne les appels en garantie présentés par la Société Chimique de la Route :
Considérant que les conclusions de la Société Chimique de la Route, tendant à ce que les "autres défendeurs" soient condamnés à la garantir des condamnations qui ont été prononcées contre elle, sont présentées pour la première fois en appel ; que dès lors elles doivent être rejetées comme irrecevables ;
Sur les conclusions d'appel du département de la Loire :
Considérant que ses conclusions, présentées après l'expiration du délai d'appel ont le caractère d'un appel provoqué ; que compte tenu de l'annulation de la condamnation de la Société Chimique de la Route et du cabinet d'architectes à la garantir, la situation du département de la Loire est aggravée ; que les dites conclusions sont dès lors recevables ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aucune des parties en présence n'a obtenu d'indemnité supérieure à celle qu'elle demandait ; que dès lors le département de la Loire n'est pas fondé à soutenir qu'en évaluant le préjudice économique de Mme veuve X..., le tribunal administratif de Lyon a statué au delà des conclusions dont il était saisi ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice subi par Mme veuve X... :
Considérant qu'à la date de son décès, M. X... âgé de 56 ans, percevait un salaire mensuel net de 3 880 francs ; que le montant annuel de ce salaire, actualisé à la date du jugement s'élève à 62 390 francs ; que compte tenu de ce que Mme X... doit percevoir, à partir de l'ouverture à l'âge de 60 ans des droits à la retraite de M. X..., une pension de réversion, le préjudice économique subi par Mme X..., dont la part des revenus capitalisés de son mari qui lui revient est de 50 %, doit être évalué à la somme de 208 944 francs divisée par 2, soit 104 447 francs ; qu'il convient d'ajouter à cette somme celle de 39 000, 40 francs représentative des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne ainsi qu'une somme de 5 356, 31 francs représentant le montant dûment justifié des frais d'obsèques occasionnés par le décès de la victime ; que les premiers juges ont fait une juste évaluation du préjudice moral que le décès de M. X... a causé à Mme X... en le fixant à la somme de 50 000 francs ; que le département de la Loire est par suite seulement fondé à demander la réformation du jugement en tant qu'il a évalué à une somme supérieure à 198 803, 71 francs le préjudice de Mme X... ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice subi par les enfants et petits-enfants de la victime :
Considérant qu'en fixant respectivement à la somme de 20 000 francs l'indemnité allouée à Mme Chantal Y... et à M. Jean-Michel X... enfants majeurs de M. X..., et à 5 000 francs l'indemnité due à Laurent Y... et à Julie X..., petits- enfants mineurs de celui-ci, les premiers juges ont fait une juste évaluation de la douleur morale subie par les intéressés du fait du décès de leur père et grand-père ;
En ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne ne peut prétendre au remboursement de ses débours que dans la limite de l'indemnité réparant le préjudice des ayants-droits de la victime, à l'exclusion de la part de l'indemnité réparant le préjudice moral ; que par suite, il y a lieu de ramener le montant de l'indemnité à laquelle le département de la Loire, la Société Chimique de la Route et le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant- Boudet ont été condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne la somme de 151 803,71 francs, soit le montant des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne, auquel s'ajoute une fraction d la rente d'accident du travail versée à Mme veuve X... ; que par conséquent, le département de la Loire est fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne une indemnité supérieure à la somme de 151 803,71 francs ;
En ce qui concerne l'appel en garantie dirigé par le département de la Loire contre la société SCAEX Inter Rhône-Alpes :
Considérant que l'accident qui a causé le décès de M. X... a été provoqué par l'exécution des travaux effectués par la société SCAEX Inter Rhône-Alpes, en vertu d'une permission de voirie délivrée par le département de la Loire ; que l'exécution dans des conditions dangereuses pour les usagers de la voie publique de ces travaux, engage la responsabilité de la SCAEX à l'égard du département ; que par suite, il y a lieu de condamner la société SCAEX Inter Rhône-Alpes à garantir le département de la Loire de la condamnation prononcée contre lui ;
Sur les conclusions des consorts X... :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions incidentes des consorts X..., tendant à ce que les diverses indemnités qui leur ont été allouées soient réévaluées, doivent être écartées ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne n'a droit, à l'égard du département de la Loire qu'au remboursement d'une somme de 151 803, 71 francs ; qu'elle a droit aux intérêts au taux légal de cette somme à compter de la date de chacune de ses demandes, soit le 29 septembre 1986 pour une fraction de la somme s'élevant à 35 128,40 francs, le 12 Juin 1990 pour une fraction de la somme s'élevant à 3 872 francs, et le 3 septembre 1990 pour une fraction de la somme s'élevant à 112 803, 31 francs ;
Considérant d'autre part qu'elle n'est pas fondée à demander la réévaluation du montant de la fraction des arrérages de la rente d'accident du travail que le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant- Boudet et la Société Chimique de la Route ont été condamnés à lui rembourser ;
Sur les conclusions de la société SCAEX Inter Rhône-Alpes :
Considérant que ces conclusions présentent le caractère d'appel provoqué ; que du fait de l'admission des conclusions à fin de garantie du département de la Loire contre la société SCAEX Inter Rhône-Alpes, la situation de celle-ci se trouve aggravée ;que les conclusions de la société SCAEX Inter Rhône-Alpes sont par conséquent recevables ;
Considérant qu'il résulte des termes de la convention conclue le 20 août 1984 entre le département de la Loire et la société SCAEX Inter Rhône-Alpes que le département de la Loire n'avait en charge la signalisation du carrefour qu'après l'achèvement des travaux ;que par suite, la société SCAEX Inter Rhône-Ales n'est pas fondée à demander à ce que le département de la Loire la garantisse de la condamnation prononcée contre elle ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les conclusions mettant en cause l'exécution par la Société Chimique de la Route et le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant-Boudet de leurs obligations contractuelles ressortissent à la juridiction judiciaire ; que dès lors les conclusions de la société SCAEX Inter Rhône-Alpes dirigées contre la Société Chimique de la Route et le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant-Boudet doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions tendant à l'application de ces dispositions ;
Article 1er : Les articles 7 et 8 du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 26 septembre 1991 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par le département de la Loire contre le cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant- Boudet et contre la Société Chimique de la Route sont rejetées.
Article 3 : Le département de la Loire est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne la somme de 151 803, 71 francs avec intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 1986 à hauteur de 35 128, 40 francs, du 12 juin 1990 à hauteur de 3 872 francs et du 3 septembre 1990 à hauteur de 112 803,31 francs ;
Article 4 : La société SCAEX Inter Rhône-Alpes est condamnée à garantir le département de la Loire de l'intégralité des sommes dues en exécution de la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la Société Chimique de la Route, du département de la Loire, et du cabinet d'architecture Bouchet-Vaillant- Boudet est rejeté.
Article 6 : Le jugement susvisé est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 7 : Les conclusions de la SCAEX Inter Rhône-Alpes sont rejetées.
Article 8 : Le surplus des conclusions incidentes des consorts X... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne est rejeté.