Vu la décision en date du 1er décembre 1988, enregistrée au greffe de la cour le 19 décembre 1988, par laquelle le président de la 3ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour M. Joseph Y... demeurant Bauerngasse 7 A, Thaur, 6065 Liechtenstein, par la société civile professionnelle A. LYON-CAEN, F. FABIANI, L. LIARD ;
Vu la requête sommaire, le mémoire complémentaire et le mémoire complémentaire rectificatif, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 avril 1986, 14 août 1986 et 11 septembre 1986 ; par lesquels M. Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 14 février 1986 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce que la société touristique du Mont-Blanc soit déclarée responsable de l'accident survenu le 21 juin 1980 et condamnée à lui verser les sommes de 1 014 493,31 francs, d'une part de 12 808 shillings autrichiens et de 20 000 francs au titre de remboursement de frais avec les intérêts de droit, d'autre part,
2°) de faire droit à sa requête ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, le décret n° 88-707 du 9 mai 1988, et le décret n° 88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 22 juin 1989 :
- le rapport de Mme HAELVOET, conseiller ;
- les observations de la S.C.P. O. COUTARD, M. MAYER, avocat de la société touristique du Mont-Blanc ;
- et les conclusions de M. ROUVIERE, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité de la société touristique du Mont-Blanc :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 21 juin 1980, tandis qu'il achevait, en compagnie d'une cliente, une course l'ayant conduit à entreprendre l'ascension de l'Aiguille du Midi, M. Y..., alors guide de haute montagne, fut gravement électrocuté en posant le pied dans une congère située à proximité d'un pylone électrique puis en se retenant à l'un des haubans de fixation dudit pylone ;
Considérant qu'en raison des dangers présentés à cet égard par le réseau électrique, la société touristique du Mont-Blanc concessionnaire de cet ouvrage, doit être déclarée responsable, en l'absence de toute circonstance constituant un cas de force majeure et de toute faute imputable à la victime, des dommages résultant de cet ouvrage en lui même dangereux, même si aucun défaut d'entretien ne peut lui être reproché ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... a pu légitimement ignorer le danger que présente un pylone électrique alors surtout que les panneaux de signalisation de ce danger étaient recouverts de neige ; que les faits invoqués par ailleurs par la société touristique du Mont-Blanc ne sont constitutifs d'aucune faute particulière dont se serait rendue coupable la victime ; que, notamment, elle n'établit pas que la durée de l'ascension ou le changement d'itinéraire lors du retour sur la station résulte d'une imprudence commise par le requérant ; que, dans ces conditions, M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que ses fautes exonèrent totalement la S.T.M.B. de sa responsabilité ;
Sur le montant du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise en date du 1er mars 1984, que l'état de M. Y..., âgé de 25 ans au jour de l'accident, a été consolidé le 27 février 1984 ; que l'intéressé souffre, d'une part, d'une gêne fonctionnelle très importante de la main gauche consécutive à l'amputation de l'index et du majeur, à l'ankylose de l'anulaire et de l'auriculaire et à la perte de sensibilité lui occasionnant une incapacité permanente partielle de 40 % et, d'autre part, d'une disgrâce esthétique résultant de multiples cicatrices sur la jambe et le pied gauches ainsi que de la perte de deux doigts à la main gauche ; que si la victime peut continuer à exercer ses fonctions de professeur d'anglais et de géographie, elle a dû abandonner son activité accessoire de guide de haute montagne ; qu'enfin, M. Y... n'est plus en mesure de s'adonner à la pratique d'un certain nombre de sports et d'activités de loisirs ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des troubles de toutes natures subis par la victime en lui allouant de ce chef une indemnité de 260 000 francs dont 180 000 francs réparent les troubles physiologiques, 20 000 francs le préjudice d'agrément, 50 000 francs le préjudice esthétique et 10 000 francs les souffrances physiques ; qu'il y a lieu d'ajouter à cette indemnité, compte tenu des justifications fournies, d'une part, la somme de 100 000 francs représentant les pertes de rémunérations auxquelles M. Y... a dû et devra renoncer en contrepartie de son ancienne activité de guide de haute montagne et, d'autre part, celle de 19 543,31 francs majorée de 12 808 shillings autrichiens soit 6 164,87 francs français au jour du présent arrêt et représentative des frais médicaux, des dépenses vestimentaires et des frais de déplacement dont le requérant établit avoir supporté la charge ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. Y... a droit aux intérêts des sommes ci-dessus énumérées à compter du jour de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 14 avril 1986 et 29 juin 1987 qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes parvenues avant la clôture de l'instruction ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande en réparation ;
Article 1er : La société touristique du Mont-Blanc est condamnée à verser à M. Y... la somme de 385 708,18 francs avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 1983. Les intérêts échus les 14 avril 1986 et 29 juin 1987 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts ;
Article 2 : Le jugement en date du 14 février 1986 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. Y... devant le tribunal administratif de Grenoble et des conclusions de sa requête est rejetée.