Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 4 octobre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2401588 du 26 septembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 4 octobre 2023 et enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " à M. B....
Procédure devant la cour :
I. Sous le n° 24DA02121, par une requête enregistrée le 17 octobre 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement du 26 septembre 2024 et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- la décision refusant de délivrer un titre de séjour n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2024, M. B..., représenté par Me Madeline, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de huit jours sous la même astreinte, et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'une somme de 1 320 euros au titre du seul article L. 761-1.
Il soutient que :
- le refus de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, ainsi que l'ont estimé les premiers juges ;
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ;
- cette décision n'a pas été précédée d'un examen individuel de sa situation ;
- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces deux articles ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- cette décision n'a pas été précédée d'un examen individuel de sa situation ;
- elle méconnaît d'article 8 de la convention précitée ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;
- cette décision est privée de base légale dès lors que la mesure d'éloignement est entachée d'illégalité.
Par une décision du 28 novembre 2024, le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) a été maintenu à M. B....
II. Sous le n° 24DA02122, par une requête enregistrée le 17 octobre 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du 26 septembre 2024, dans l'attente que la cour se prononce au fond.
Le préfet de la Seine-Maritime soutient que les moyens soulevés dans la requête précitée enregistrée sous le n° 24DA02121 présentent un caractère sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée en première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2024, M. B..., représenté par Me Madeline, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, à défaut, au titre du seul article L. 761-1.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Maritime ne présentent pas de caractère sérieux et ne comportent pas de conséquences difficilement réparables.
Par une décision du 28 novembre 2024, le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) a été accordé à M. B....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie, et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 4 avril 2001, indique être entré régulièrement en France le 17 décembre 2017, alors qu'il était mineur. Faisant état de l'ancienneté de son séjour en France et de son insertion professionnelle, il a sollicité le 7 septembre 2023 un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 octobre 2023, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt, le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 26 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement dans l'attente qu'il soit statué au fond.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré sur le territoire français alors qu'il était mineur, et justifie par les pièces versées à l'instance qu'il s'y est maintenu habituellement depuis 2018. Il a conclu le 18 octobre 2021 avec la société Taillefer Gourmandises un contrat de travail à durée indéterminée en vue d'occuper un emploi à plein temps de pâtissier. Si le préfet de la Seine-Maritime fait valoir que le métier de pâtissier ne figure pas sur la liste annexée à l'arrêté du 1er avril 2021 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, M. B... se prévaut de données statistiques émanant de France Travail, qui a succédé à Pôle Emploi, indiquant que le métier de pâtissier présente des difficultés de recrutement en Normandie, ce que 73 % des employeurs consultés en Seine-Maritime ont confirmé. A cet égard, par deux attestations du 7 avril 2023 et du 29 novembre 2024 produites en appel, l'employeur de M. B... confirme également les difficultés qu'il a rencontrées pour recruter un employé spécialisé en pâtisserie orientale, en dépit d'une offre d'emploi diffusée notamment auprès de Pôle Emploi en octobre 2020. La société Taillefer Gourmandises, qui a signé le 14 avril 2023 une demande d'autorisation de travail en faveur de M. B..., fait état dans la première attestation des grandes qualités professionnelles de l'intéressé, de sa créativité, de sa disponibilité et de son esprit d'équipe, alors même qu'il n'a justifié de ses qualifications auprès du préfet qu'en produisant un certificat de fin d'apprentissage en confection de pâtisserie, délivré en juillet 2017 par l'agence tunisienne de formation professionnelle. M. B... établit qu'il réside avec son frère, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2030, et produit à l'instance des éléments dont il ressort qu'il suit des enseignements socio-linguistiques afin de perfectionner sa maîtrise du français. Dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé et, notamment, à une insertion professionnelle notable dans un emploi connaissant des difficultés de recrutement, le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour régulariser un étranger qui ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ne pouvaient retenir ce motif pour annuler la décision refusant un titre de séjour à M. B... et, par voie de conséquence, les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
3. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 4 octobre 2023. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 26 septembre 2024, les conclusions de la requête n° 24DA02122 tendant au sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet.
Sur les conclusions présentées par M. B... :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime a, en exécution du jugement attaqué, délivré un titre de séjour à M. B... en qualité de salarié pour la période du 10 octobre 2024 au 9 octobre 2025. Par suite, les conclusions d'injonction présentées en ce sens par l'intéressé devant la cour ne peuvent qu'être rejetées.
5. En second lieu, M. B... bénéficie du maintien de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % dans l'instance n° 24DA02121 et a obtenu cette aide également au taux de 25 % dans l'instance n° 24DA02122. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. Son avocate a demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 300 euros à verser à Me Madeline au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. En outre, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime enregistrée sous le n° 24DA02122.
Article 2 : La requête du préfet de la Seine-Maritime enregistrée sous le n° 24DA02121 est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me Madeline une somme de 300 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Madeline renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. L'Etat versera une somme de 900 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me Madeline.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Verley-Cheynel, présidente de la cour,
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de la cour,
Signé : G. Verley-Cheynel
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
2
N° 24DA02121, 24DA02122