Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, d'ordonner une expertise afin de déterminer la date de consolidation de son état de santé, les préjudices qu'elle a subis et leur imputabilité aux agissements reprochés au département du Nord, et, à titre subsidiaire, de condamner le département du Nord à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2019 et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 2003038 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a condamné le département du Nord à verser la somme de 2 000 euros à Mme B..., cette somme étant assortie des intérêts et de leur capitalisation.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 juillet 2023, le 1er septembre 2024 et le 18 octobre 2024, Mme B..., représentée par Me Stienne-Duwez, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2023 ;
2°) à titre principal, d'ordonner une expertise afin de déterminer l'étendue de ses préjudices ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le département du Nord à lui verser la somme de 152 800 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2019 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 26 décembre 2020 ;
4°) de mettre à la charge du département du Nord une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la responsabilité sans faute du département du Nord est engagée en raison du syndrome anxio-dépressif et de la fibromyalgie dont l'imputabilité au service a été reconnue ;
- le département du Nord a également engagé sa responsabilité pour faute dès lors qu'il a manqué à son obligation de veiller à la sécurité et à la santé au travail de ses agents entre 2012 et 2014 ;
- la responsabilité pour faute de l'administration est encore engagée en raison d'agissements constitutifs de harcèlement moral à compter de 2011 se rapportant au refus de reconnaître son statut de directrice adjointe, à sa surcharge de travail, à l'absence d'affectation en dépit d'un avis favorable de la commission de réforme, à son affectation comme conseiller de territoire qui ne tient compte ni de ses candidatures, ni de son état de santé, ni encore de son statut, et à la dégradation de ses conditions de travail ;
- ces agissements ont porté atteinte à sa santé physique et mentale et ont compromis son avenir professionnel ;
- il est nécessaire de diligenter une expertise afin d'évaluer la part de son déficit fonctionnel permanent imputable aux agissements de l'administration, ainsi que le montant de ses préjudices ;
- les souffrances endurées doivent être évaluées à la somme de 70 000 euros ;
- elle subit un préjudice d'agrément évalué à 10 000 euros ;
- elle subit un préjudice de carrière, résultant notamment d'une absence de promotion au grade supérieur, évalué à 25 000 euros ;
- elle justifie d'un déficit fonctionnel permanent de 30 % qui doit être réparé par l'octroi d'une somme de 52 800 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 juillet 2024 et le 24 septembre 2024, le département du Nord, représenté par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande d'indemnisation du déficit fonctionnel permanent est nouvelle en appel et par suite irrecevable ;
- la requérante ne peut obtenir que l'indemnisation de ses préjudices temporaires sur le fondement de la responsabilité sans faute dès lors que son état n'est pas consolidé ;
- les manquements reprochés à l'administration dans l'obligation de veiller à la sécurité et à la santé au travail de ses agents ne sont pas établis ;
- les agissements dénoncés par la requérante ne sont pas de nature à révéler une situation de harcèlement moral ;
- la mesure d'expertise demandée ne revêt aucun caractère d'utilité dès lors que la requérante n'apporte aucun élément permettant d'en justifier l'existence, hormis les préjudices pour lesquels elle propose un chiffrage ;
- les souffrances endurées ne sauraient être évaluées à un montant supérieur à 2 000 euros ;
- le préjudice d'agrément et le préjudice de carrière ne sont pas établis ;
- le déficit fonctionnel permanent évalué à 30 % par le médecin agréé n'est pas imputable en totalité à la maladie professionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraites ;
- le code civil ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Dantec, représentant le département du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ingénieure territoriale principale du département du Nord, a été nommée le 21 mars 2007 en qualité de directrice adjointe à la direction de l'administration générale, puis, en mars 2011, comme chargée de mission à la direction du développement des ressources humaines et, à compter du 1er février 2012, en qualité de chef de projet à la direction des services au personnel au sein de la direction générale des ressources. Elle a été victime d'une chute sur son lieu de travail en octobre 2012, nécessitant un arrêt de travail du 30 octobre 2012 au 31 janvier 2013. Mme B..., qui a présenté le 19 mai 2014 un malaise à l'annonce de la suppression de son poste par la directrice générale adjointe des ressources, a alors été placée en congé de maladie pour dépression. Sur avis favorable de la commission de réforme du 29 mai 2015, le département du Nord a pris un arrêté le 3 juillet 2015 reconnaissant l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif de Mme B..., permettant de la placer rétroactivement en congé de maladie imputable au service à compter du 20 mai 2014. Elle n'a pas retrouvé son poste alors que la commission de réforme avait rendu le 18 décembre 2015 un avis favorable à une reprise à temps partiel thérapeutique. Par un courrier du 26 décembre 2019, Mme B... a saisi le département du Nord d'une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'elle impute à sa maladie professionnelle, aux manquements reprochés à l'administration dans son obligation d'assurer la santé et la sécurité au travail de ses agents, et aux faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. En l'absence de réponse du département, elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en sollicitant, à titre principal, une mesure d'expertise appelée à se prononcer sur la date de sa consolidation et l'étendue de ses préjudices, et, à titre subsidiaire, la condamnation du département du Nord à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de ses souffrances endurées, de son préjudice d'agrément et de son préjudice de carrière. Par un jugement du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Lille, après avoir estimé qu'une expertise ne revêtait aucun caractère d'utilité, a condamné le département du Nord à verser la somme de 2 000 euros à Mme B... en réparation des souffrances endurées à titre temporaire et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Mme B... relève appel de ce jugement en réitérant devant la cour, à titre principal, une mesure d'expertise, et en demandant, à titre subsidiaire, la condamnation du département à lui verser la somme de 152 800 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la responsabilité du département du Nord :
En ce qui concerne l'action en responsabilité pour faute :
S'agissant de la méconnaissance par l'administration de son obligation de veiller à la sécurité et à la santé des agents :
2. Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985, relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ". Il résulte du premier alinéa de l'article 3 du même décret que : " les règles applicables en matière de santé et de sécurité sont, sous réserve des dispositions du présent décret, celles définies aux livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".
3. Mme B... soutient avoir informé le département du Nord à de nombreuses reprises de la surcharge de travail à laquelle elle devait faire face depuis 2011 et de l'impact de cette situation sur son état de santé. Toutefois, si elle s'est plainte dans des courriels des 6 septembre 2012 et 26 mars 2013 d'une charge de travail trop importante en raison selon elle d'une situation de sous-effectif, il résulte de l'instruction, notamment de son courriel du 28 mai 2013 et du courriel d'un collègue daté du 29 janvier 2013, que l'administration n'a été alertée des difficultés professionnelles éprouvées par la requérante qu'à l'issue de son congé de maladie du 30 octobre 2012 au 3 janvier 2013, rendu nécessaire par une fracture du coccyx. A cet égard, Mme B... a continué à travailler à distance au cours des mois d'octobre et novembre 2012, durant son congé de maladie, sans que cela lui soit demandé par sa hiérarchie. Le département du Nord soutient, sans être sérieusement contredit, que l'intéressée n'a pas présenté de demande de reprise dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique, comme l'y avait pourtant invité son employeur par un courriel du 23 janvier 2013, et qu'elle a repris ses fonctions contre l'avis de son médecin, après avoir refusé la prolongation de son arrêt de travail. Il résulte encore de l'instruction, notamment du courriel adressé par Mme B... à sa supérieure hiérarchique le 4 juin 2013 qu'étant en principe en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 7 juin suivant, elle a elle-même souhaité " reprendre la main sur le dossier PSC " et participer à une réunion, alors même que son supérieur hiérarchique avait demandé qu'elle en soit déchargée compte tenu de cet arrêt de travail et avait demandé à une collègue de la remplacer à la réunion. S'il lui a été demandé le 1er mai 2013, pendant un jour férié, de modifier un document afin de le transmettre en urgence à l'autorité destinataire, il ne ressort pas des courriels des 3 septembre 2012, 12 janvier 2013, 27 août 2013 et 25 janvier 2014 que ses supérieurs hiérarchiques auraient eu pour habitude d'exiger d'elle la réalisation de tâches professionnelles au cours de jours de repos ou de ses congés annuels. Il résulte au contraire de l'instruction que la requérante prenait l'initiative de répondre aux courriels pendant ses jours de repos sans y être sollicitée. Alors que, par un courriel du 9 septembre 2013, le directeur général chargé des ressources a donné pour instruction de ne pas confier le dossier relatif à l'ouverture d'un site de covoiturage à Mme B..., déjà mobilisée par le dossier sur la protection sociale complémentaire, l'intéressée a réagi en indiquant sa volonté de conserver la main sur l'ensemble de ses missions. Afin de tenir compte de la charge de travail de Mme B..., sa supérieure hiérarchique l'a déchargée le 25 mars 2014 du dossier se rapportant au " plan départemental d'administration ", à la suite de quoi, selon les termes de son courriel du même jour, elle a " craqué " et a été placée en congé de maladie du 25 mars au 3 avril 2014. Les craintes pour sa santé, dont Mme B... a fait état auprès de son employeur, sont ainsi contredites par le comportement qu'elle a adopté par ailleurs, se montrant disponible pendant ses jours de repos et ses périodes d'arrêt pour maladie et refusant d'être dessaisie de ses dossiers. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, elle n'est pas fondée à soutenir que le département du Nord aurait méconnu l'obligation de veiller à sa sécurité et à sa santé au travail.
S'agissant de l'existence d'un harcèlement moral :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, repris depuis à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". En application du second alinéa de l'article 6 quinquies, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 135-6 A du code général de la fonction publique, aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération le fait qu'il ait témoigné d'agissements constitutifs de harcèlement moral ou qu'il les ait relatés.
5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
6. En premier lieu, Mme B... soutient avoir accepté, en 2012, une nomination à la direction des services au personnel sous réserve de son maintien dans l'emploi de directrice adjointe qui était le sien dans ses précédentes fonctions. Si elle reproche à l'employeur d'avoir méconnu sa promesse, il résulte de l'instruction, notamment de son courriel du 12 juin 2012, que l'administration a maintenu l'ensemble des avantages dont elle bénéficiait dans l'emploi de directrice adjointe, notamment son niveau de rémunération. Par ailleurs, il ressort des courriels échangés sur ce point que le directeur général chargé des ressources a souhaité attendre qu'une décision soit prise sur l'évolution envisagée de la direction des services au personnel, dans le cadre de la réorganisation des services alors envisagée et qui conduira d'ailleurs à la suppression de cette direction en 2014. Si Mme B... soutient n'avoir jamais été officiellement nommée par voie d'arrêté, elle reconnaît elle-même dans son courriel du 17 septembre 2014 que les cadres du département du Nord sont désignés par notes de service. Mme B... soutient avoir appris la suppression de son poste de manière soudaine et brutale le 19 mai 2014. Toutefois, il ressort des éléments qu'elle produit sur ce point, corroborés par l'argumentation de l'administration, qu'elle a alors été informée de la suppression de la direction des services au personnel, laquelle n'a été mise en œuvre que six mois plus tard dans le cadre d'une réorganisation des services. La demande faite à Mme B... en octobre 2014 de restituer son véhicule de service est justifiée par son absence prolongée du service, consécutive à son congé de maladie depuis le mois de mai 2014, et par la nécessité de réaffecter ce véhicule à d'autres agents du département. Cette demande, qui vise à répondre aux besoins du service, est conforme aux instructions appliquées par le département du Nord à l'ensemble des utilisateurs. Dans ces conditions, les éléments avancés par Mme B... se rapportant au refus de reconnaître son statut, de l'affecter officiellement sur l'emploi de directrice adjointe et de la priver de son véhicule de service ne sont pas de nature à faire présumer un harcèlement moral.
7. En deuxième lieu, Mme B... soutient avoir dû faire face à une surcharge de travail à compter de l'année 2011 sans aucun soutien de sa hiérarchie qui la sollicitait pendant ses jours de repos et ses congés de maladie. Toutefois, les éléments qu'elle produit sur ce point ne font état de difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions qu'à partir de son affectation à la direction des services au personnel, au cours de l'année 2012. Ainsi qu'il a été dit plus haut, il ressort des courriels produits par la requérante qu'elle a continué à travailler durant son congé de maladie à la fin de l'année 2012 sans que cela lui soit demandé, qu'elle a refusé la prolongation de son arrêt de travail au début de l'année 2013 et a repris ses fonctions contre l'avis de son médecin sans y être obligée par l'employeur. Sa hiérarchie a désigné en juin 2013 un agent afin de remplacer Mme B... à une réunion de travail, ce à quoi elle s'est opposée en indiquant " reprendre la main sur le dossier PSC ". Tenant compte de la surcharge de travail de Mme B... et de son état de santé, le directeur général chargé des ressources a décidé en septembre 2013 de ne pas lui confier le dossier relatif à l'ouverture d'un site de covoiturage, tandis que la directrice générale adjointe lui a retiré en mars 2014 le dossier correspondant au " plan départemental d'administration ". Mme B..., qui s'est opposée à ces mesures, prenait l'initiative, sans que cela lui soit demandé, de répondre aux courriels professionnels adressés pendant ses congés de maladie, à titre d'information. Les circonstances que sa hiérarchie l'ait sollicitée le 1er mai 2013, qui est un jour férié, et n'a pas pu apporter de réponse à ses demandes de renfort en effectifs n'impliquent pas une volonté délibérée de l'administration de la mettre en difficulté. Par suite, eu égard en outre à ce qui a été dit au point 3, les arguments de Mme B... se rapportant à sa surcharge de travail ne font pas présumer une situation de harcèlement moral.
8. En troisième lieu, Mme B... soutient n'avoir reçu aucune affectation correspondant à son grade en dépit d'un avis de la commission de réforme du 18 décembre 2015 favorable à une reprise d'activité dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique. Toutefois, le département du Nord produit à l'instance un courrier du directeur adjoint des ressources humaines du 14 janvier 2016 qui, prenant acte de l'avis précité, invite Mme B... à contacter la direction d'appui ainsi que la médecine de prévention en vue de sa reprise. L'administration précise que, conformément à ce courrier, le médecin du travail a examiné la requérante le 23 février 2016 et a préconisé une reprise à temps partiel sur un poste correspondant à ses compétences et lui permettant de reprendre le travail en confiance. Mme B... a été reçue le lendemain à la direction des ressources humaines qui l'a accompagnée dans sa recherche de poste. Si la requérante indique avoir postulé à six reprises sur des postes de direction au cours de l'année 2016, sans être retenue à l'issue des entretiens de recrutement, l'administration précise, sans être contredite, qu'elle a été affectée sur un emploi de chargée de projet à la direction de l'organisation et du management du changement, dont il n'est pas allégué qu'il n'aurait pas correspondu aux qualifications de l'intéressée. Il ressort du courrier du 20 février 2019, produit en défense, que le poste de Mme B... a été reconfiguré dans le cadre d'une nouvelle réorganisation, et que l'administration lui a alors proposé un poste de conseiller de territoire au sein de la direction adjointe sports et culture pour une durée provisoire de six mois, afin de l'accompagner dans sa réorientation professionnelle. Si la requérante soutient que le département du Nord l'a laissée sans emploi, en dépit des démarches d'accompagnement précitées, et que le poste de conseiller de territoire est provisoire et ne correspond pas à ses précédentes fonctions de directrice adjointe, il ressort des conclusions de l'expertise médicale du 14 mai 2019 que les pathologies dont elle est atteinte ne lui permettaient pas de toute façon de reprendre son activité professionnelle, même partiellement, à la date du 23 février 2016 et qu'une reprise d'activité professionnelle n'est pas envisageable même à la date de l'expertise. Dans ces conditions, alors que le département du Nord a reconnu l'imputabilité au service du syndrome dépressif de Mme B..., permettant sa prise en charge jusqu'à son départ à la retraite pour invalidité, il ne résulte pas de l'instruction que les manquements reprochés dans une éventuelle reprise d'activité révèleraient un harcèlement moral.
9. En quatrième lieu, Mme B... soutient que ses conditions de travail difficiles sont à l'origine d'une dégradation de son état de santé. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à ce qui a été dit aux points 3 et 7, que ses difficultés professionnelles, consécutives à une situation de sous-effectif, résulteraient d'agissements constitutifs de harcèlement moral. La circonstance que le syndrome dépressif dont est atteinte la requérante a été reconnu imputable au service n'implique pas non plus l'existence d'une telle situation de harcèlement. Au demeurant, la dégradation de l'état de santé de Mme B... résulte pour partie de sa fibromyalgie, qui n'est pas liée à son activité professionnelle.
10. En dernier lieu, Mme B... ne produit aucun élément laissant présumer l'existence de mesures ou d'agissements mis en œuvre par l'administration pour compromettre son avenir professionnel.
11. Il résulte de ce qui précède que les éléments dont fait état Mme B..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne permettent ni de faire présumer l'existence d'agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral ni d'établir, compte tenu des éléments apportés en défense, une telle situation de harcèlement.
En ce qui concerne l'action en responsabilité sans faute :
12. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou atteints de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. L'allocation temporaire d'invalidité et la rente viagère d'invalidité doivent ainsi être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou un préjudice d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
13. Il résulte de l'instruction, notamment des conclusions de l'expertise du 18 mars 2015, que Mme B... a présenté à compter de mai 2014 un stress aigu avec décompensation anxio-dépressive réactionnelle à des difficultés professionnelles, que le médecin a regardé comme directement imputable à ces difficultés en l'absence notamment d'état antérieur. S'appuyant sur cette expertise, la commission de réforme a rendu un avis favorable le 29 mai 2015 à l'imputabilité au service de la maladie dépressive de Mme B.... Le département du Nord, qui a pourtant reconnu le caractère professionnel de la pathologie de la requérante par un arrêté du 3 juillet 2015, soutient en appel que cette maladie serait en rapport avec un trouble préexistant de la personnalité et du comportement, sans lien avec ses fonctions professionnelles. Il se réfère sur ce point à une expertise réalisée par un médecin généraliste le 26 janvier 2021 qui, si elle fait état d'un trouble de l'humeur récurrent et persistant " possiblement en rapport avec un trouble de la personnalité et du comportement ", précise que cette affection psychiatrique existe depuis 2014, sans remettre en cause les constatations faites par le médecin psychiatre lors de l'expertise précitée du 18 mars 2015, dont il résulte que la dépression de la requérante est imputable au service. En revanche, il ressort du certificat établi le 14 janvier 2015 par un praticien du centre hospitalier régional universitaire de Lille que le syndrome polyalgique dont souffre la requérante a fait son apparition en 2011, sous la forme de douleurs diffuses, pour s'aggraver au fil du temps. Si certains médecins consultés par Mme B..., s'en tenant aux propos de l'intéressée, ont indiqué que ce syndrome, diagnostiqué comme une fibromyalgie, présente un lien avec les conditions de travail, l'expert chargé de se prononcer le 11 septembre 2023 sur l'inaptitude définitive de l'intéressée et l'imputabilité au service de ses pathologies, n'a retenu à ce dernier titre que la névrose à composante dépressive réactionnelle, excluant explicitement la fibromyalgie. Dans son avis du 24 novembre 2023, le comité médical s'est d'ailleurs prononcé en faveur d'une inaptitude définitive en retenant la seule dépression comme imputable au service. Si Mme B... indique encore présenter un kyste pancréatique, il n'est pas établi que cette pathologie, diagnostiquée en 2018 comme un cystadénome mucineux, présenterait un lien avec le service, ce que l'expert consulté le 11 septembre 2023 a également exclu.
14. Par suite, Mme B... ne peut prétendre, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'administration de garantir ses agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions, qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de sa pathologie dépressive.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander la réparation de ses préjudices résultant de cette pathologie dépressive, seule reconnue comme maladie professionnelle.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la demande d'expertise :
16. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".
17. Pour solliciter une mesure d'expertise à titre principal, Mme B... soutient dans le dernier état de ses écritures que l'état de l'instruction ne permet pas de se prononcer sur ses préjudices et sur le taux de son incapacité permanente imputable au service.
18. Toutefois, si la requérante recommande de confier à l'expert désigné la mission d'évaluer différents chefs de préjudice, qu'elle énumère dans ses écritures, elle n'expose aucun élément de nature à laisser supposer l'existence de la plupart de ces préjudices, tels les frais de logement adapté, les frais de véhicule adapté, une assistance par une tierce personne, un préjudice scolaire ou universitaire, un préjudice esthétique, un préjudice sexuel ou encore un préjudice d'établissement. Si la liste proposée par Mme B... comporte également les dépenses de santé et les pertes de gains professionnels, elle n'allègue pas même avoir supporté des frais médicaux ou des pertes de revenus en dépit de la prise en charge de sa maladie professionnelle par le département du Nord. En outre, il appartient à l'intéressée d'apporter les éléments justifiant du préjudice d'agrément et du préjudice de carrière dont elle sollicite la réparation, sans qu'il soit besoin d'une expertise médicale sur ce point. Les éléments produits au dossier, notamment les nombreuses expertises médicales réalisées depuis 2015, sont suffisants pour se prononcer sur l'existence et l'évaluation des souffrances qu'elle a endurées. Enfin, la requérante produit en appel le procès-verbal du conseil médical du 24 novembre 2023 qui, reprenant les conclusions d'une expertise médicale du 11 septembre précédent, mentionne qu'elle reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 30 % en raison de son seul syndrome dépressif, reconnu imputable au service. Elle se prévaut également du rapport d'expertise du 12 mars 2024 qui, rappelant ce taux d'incapacité de 30 %, retient une consolidation de son état de santé à la date du 31 juillet 2024. Dans ces conditions, une mesure d'expertise judiciaire n'est pas utile avant que le juge se prononce sur l'étendue de cette incapacité et son imputabilité.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
19. En premier lieu, les premiers juges ont évalué, à la date de leur décision rendue avant consolidation, les souffrances endurées subies par Mme B... à la somme de 2 000 euros en retenant comme imputables au service sa pathologie dépressive et la fibromyalgie dont elle est également atteinte. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment de l'avis de la commission de réforme du 29 mai 2015 et de l'avis du comité médical du 24 novembre 2023 que seul le syndrome dépressif est imputable au service, à l'exclusion notamment de la fibromyalgie. Pour autant, les nombreuses expertises médicales produites à l'instance font état du sentiment d'inutilité, de dévalorisation et de solitude éprouvé par l'intéressée, de sa culpabilité pathologique, et de sa profonde souffrance morale en lien avec son incapacité à reprendre une activité professionnelle, qui ont perduré jusqu'au 31 juillet 2024, date de sa consolidation, pendant plus d'un an après l'évaluation faite par les premiers juges. Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation des souffrances endurées subies par Mme B... en raison de sa maladie professionnelle jusqu'au 31 juillet 2024, date de sa consolidation, en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.
20. En deuxième lieu, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
21. D'une part, si Mme B... n'avait demandé devant le tribunal administratif de Lille que l'indemnisation des souffrances qu'elle a endurées, de son préjudice d'agrément et de son préjudice de carrière, pour un montant total de 100 000 euros, elle n'était pas en mesure de chiffrer le préjudice résultant d'un déficit fonctionnel permanent en l'absence de consolidation de son état de santé à la date du jugement attaqué. La requérante, qui fait état des résultats d'une expertise médicale réalisée le 12 mars 2024 retenant le 31 juillet 2024 comme date de consolidation de son état de santé, est donc recevable à augmenter en appel le montant de ses prétentions au titre de son déficit fonctionnel permanent.
22. D'autre part, ainsi qu'il a déjà été dit, il résulte d'une expertise du 11 septembre 2023 dont les conclusions ont été reprises dans l'avis du comité médical du 24 novembre suivant, que Mme B... reste atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 30 % en raison de son seul syndrome dépressif, reconnu imputable au service. Contrairement à ce que soutient le département du Nord, il ne ressort pas de l'expertise réalisée par un médecin généraliste le 26 janvier 2021 que cette affection psychiatrique résulterait en partie d'un état antérieur impliquant une réduction de ce taux d'incapacité. Compte tenu de l'âge de l'intéressée, née le 7 août 1958, à la date de sa consolidation, et du déficit fonctionnel permanent de 30 % dont elle est atteinte, il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant pour elle de son incapacité définitive en lui allouant la somme de 50 000 euros.
23. En troisième lieu, Mme B... ne produit pas plus en appel qu'en première instance de pièce justifiant d'une activité culturelle, sportive, associative ou autre qu'elle aurait pratiquée avant le début de sa pathologie dépressive et dont elle aurait été privée en raison de cette maladie. La demande présentée sur ce point ne peut qu'être rejetée.
24. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 12 qu'une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite ou une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. En outre, la circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions pour l'obtention de cette rente ou de cette allocation fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. Dans ces conditions, les conclusions de Mme B... tendant à l'indemnisation du préjudice de carrière résultant selon elle de l'absence de promotion au grade supérieur, lequel relève de l'incidence professionnelle, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
25. Aux termes du premier alinéa de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ". Aux termes de l'article 1343-2 du même code : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ".
26. Ainsi qu'elle le demande, Mme B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 52 000 euros à compter du 27 décembre 2019, date de réception de sa demande indemnitaire par le département du Nord, et à la capitalisation de ces intérêts à compter du 27 décembre 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
27. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité le montant des réparations à la somme de 2 000 euros, qu'il y a lieu de porter à 52 000 euros, cette somme étant assortie des intérêts et de leur capitalisation dans les conditions précisées au point précédent.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
28. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Nord une somme de 2 000 euros, à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le département du Nord a été condamné à verser à Mme B... en réparation de ses préjudices par le jugement du tribunal administratif de Lille n° 2003038 du 11 mai 2023 est portée à 52 000 euros, cette somme étant assortie des intérêts à compter du 27 décembre 2019 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 27 décembre 2020, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 2003038 du 11 mai 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le département du Nord versera une somme de 2 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au département du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Geneviève Verley-Cheynel, présidente de la cour,
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de la cour,
Signé : G. Verley-CheynelLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 23DA01334