Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande du 5 février 2021 visant à obtenir la protection fonctionnelle, et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 80 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime dans ses fonctions au parquet national financier.
Par un jugement n° 2105211, 2105212 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 juillet 2023, et un mémoire en réplique enregistré le 10 mai 2024, qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Morant, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 mai 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui accorder le bénéfice de cette protection ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation de ses préjudices ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal administratif a omis de joindre à l'instance sa demande tendant à l'annulation de la décision la déchargeant de ses fonctions au parquet national financier, dont l'illégalité est de nature à démontrer le harcèlement dont elle est victime et l'illégalité du refus de lui accorder la protection fonctionnelle ;
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que le procureur de la République financier a exprimé la volonté, sans y être obligé par la chancellerie, de nommer un magistrat sur le poste qu'elle occupait et a pris pour ce faire une décision illégale la déchargeant de ses fonctions ;
- ils ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que, dans l'impossibilité d'obtenir son départ volontaire, le procureur de la République financier l'a déchargée de ses fonctions et lui a confié des missions fictives afin de la contraindre à accepter un autre poste ;
- ils ne se sont pas prononcés sur le moyen tiré de ce que le procureur de la République financier lui a sciemment menti en affirmant que la nomination d'un magistrat au poste qu'elle occupait résultait d'une instruction de la chancellerie ;
- les premiers juges ont encore omis de tenir compte de la concordance entre la décision de maintenir à son poste le magistrat mis en cause pour des faits de harcèlement et la décision de l'évincer de son poste, qui aurait dû conduire l'administration à lui assurer la protection fonctionnelle ;
- le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier, insuffisamment motivé son jugement et méconnu son office en refusant de reconnaître le harcèlement moral dont elle est victime, alors que ce harcèlement doit être présumé en l'absence de défense de l'administration justifiant les faits qu'elle dénonce ;
- elle a subi entre décembre 2019 et octobre 2020 un harcèlement moral de la part du procureur de la République financier dès lors que celui-ci l'a confirmée dans ses fonctions après qu'elle a dénoncé des faits constitutifs de harcèlement sexuel et moral, tout en prenant des contacts à la chancellerie afin d'obtenir son remplacement par un magistrat ; il l'a trompée en lui indiquant que la volonté de nommer un magistrat à son poste émanait de la chancellerie ; il lui a reproché de façon injustifiée sa participation à une réunion du 22 janvier 2020, après qu'elle a dénoncé des faits constitutifs de harcèlement ; il a publiquement annoncé qu'elle souhaitait quitter le service, lors d'une réunion le 27 janvier 2020, sans la prévenir préalablement de cette annonce et alors qu'elle avait confirmé la veille qu'elle souhaitait rester dans le service, puis il a refusé de rectifier le compte-rendu de cette réunion ; il l'a mise en cause dans un courriel du 12 avril 2020 destiné aux magistrats, ironisant sur son initiative de dénoncer les faits de harcèlement et lui reprochant cette dénonciation ; il a procédé à la publication de sa fiche de poste le 13 mai 2020, en vue de le pourvoir par un magistrat, avant même qu'elle soit en mesure de trouver un autre poste ; il a pris une décision le 24 juillet 2020 mettant fin à ses fonctions, sans être compétent pour le faire ; il a pris cette décision alors qu'elle était absente du service, l'informant par courriel de son remplacement le jour de son retour de congés, et la mettant dans l'impossibilité de ranger son bureau, de récupérer ses affaires et de saluer ses collègues ; cette décision revêt le caractère d'une sanction déguisée ; le procureur de la République financier a modifié sa fiche de poste, lui confiant des missions inexistantes, sans rapport avec son grade et ses responsabilités antérieures ;
- ces agissements ont entrainé la dégradation de son état de santé justifiant des arrêts de travail du 25 mai au 21 juin 2020, pour une asthénie, et du 7 septembre au 1er octobre 2020 en raison de stress, d'une anxiété et d'insomnies, ainsi qu'une perte de poids et une chute de thyréostimuline (TSH), et des séances de kinésithérapie pour le traitement d'une capsulite ;
- ils sont à l'origine d'un préjudice matériel dès lors qu'elle a été mutée à la cour d'appel de Douai à compter du 7 octobre 2020, lui occasionnant des frais de trajet d'un montant de 300 euros par mois ;
- ils ont eu pour effet de porter atteinte à sa réputation et à ses perspectives de carrière ;
- elle est fondée à demander la réparation des préjudices subis évalués à la somme de 80 000 euros ;
- la décision refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle est entachée d'un défaut de motivation en l'absence de réponse de l'administration à sa demande de communication de motifs dans le délai prévu par l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est illégale dès lors qu'elle est victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, à la date du 13 mai 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Morant, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée d'administration de l'Etat, a été affectée dans les fonctions de responsable de la communication auprès du parquet national financier (PNF) du 1er janvier 2017 au 1er septembre 2020. Informée d'agissements inappropriés de la part d'un magistrat du PNF à l'égard d'une collègue magistrate et d'une agente du greffe, elle a pris l'initiative d'en informer le procureur de la République financier le 7 novembre 2019. Mme B... a été informée, lors d'une réunion du 23 janvier 2020 qu'il était préférable que la communication du PNF soit assurée par un magistrat, de telle sorte qu'elle devait envisager une mutation. Son départ a été publiquement annoncé lors de réunions de service en janvier et février 2020, et une fiche de poste a été diffusée le 13 mai 2020 en vue du recrutement d'un magistrat comme responsable de la communication. Par un courriel du 24 juillet 2020, reçu en copie par Mme B..., le procureur de la République financier a informé le directeur du greffe autonome des parquets du tribunal judiciaire de Paris, responsable hiérarchique de l'intéressée, de sa décision de confier la communication à un magistrat du PNF à compter du 1er septembre suivant. Le 31 août 2020, le procureur de la République financier a indiqué à Mme B..., déchargée de ses fonctions de responsable de la communication, qu'une mission d'analyse du traitement médiatique du PNF lui était confiée à son retour de congé, le 1er septembre 2020, dans l'attente d'une nouvelle affectation. Placée en congé de maladie à compter du 7 septembre 2020, Mme B... a accepté, le 28 septembre 2020, le poste de chargée de communication à la cour d'appel de Douai, dans lequel elle a été affectée à compter du 1er octobre 2020. Par un même courrier du 5 février 2021, elle a demandé au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime au PNF et de l'indemniser du préjudice causé par ce harcèlement moral pour un montant de 80 000 euros. En l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Lille de deux demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision refusant de lui accorder une protection, et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser. Par un même jugement du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté les deux demandes de Mme B..., qui en relève appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a joint les deux demandes de Mme B... portant sur le refus de lui accorder une protection fonctionnelle et sur le harcèlement moral dont elle se dit victime. S'il a omis de joindre une troisième demande contestant la légalité de la décision la déchargeant de ses fonctions au parquet national financier, la jonction de requêtes pendantes devant la même juridiction, qui ne peut avoir d'influence sur le sens des décisions à prendre sur chacune d'entre elles, ne constitue jamais une obligation pour le juge. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité sur ce point.
3. En deuxième lieu, pour justifier d'éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard, Mme B... a invoqué devant le tribunal administratif une concordance suspecte entre la décision de maintenir au sein du service le magistrat mis en cause pour des faits de harcèlement et la décision de la remplacer dans son poste de chargée de la communication, ainsi que le caractère fictif des missions qui lui ont été confiées afin de la contraindre à accepter un autre poste. Les premiers juges ont tenu compte de ces éléments aux points 6 et 12 de leur jugement, qui n'est entaché d'aucune insuffisance de motivation à cet égard. Si Mme B... a également fait état d'une déloyauté du procureur de la République financier qui aurait menti en lui laissant croire que la décision de la remplacer avait été prise en haut lieu, et du caractère irrégulier de l'éviction dont elle a fait l'objet, faute pour le procureur d'obtenir son départ volontaire, ces éléments étaient développés à l'appui de sa contestation des conditions dans lesquelles la décision de remplacement a été prise, annoncée puis mise en œuvre. Le tribunal administratif, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments développés à l'appui des moyens soulevés, a répondu de façon suffisante à cette contestation aux points 6 à 12 de son jugement.
4. En dernier lieu, Mme B... soutient que les premiers juges ont méconnu leur office et dénaturé les pièces du dossier dès lors que le harcèlement moral dont elle s'estime victime doit être présumé en l'absence de défense de l'administration justifiant les faits qu'elle dénonce. Toutefois, le fait pour le juge de première instance de considérer à tort que les agissements dénoncés ne sont pas constitutifs de harcèlement moral ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement par le juge d'appel saisi d'un moyen en ce sens. Il appartient seulement à ce dernier, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel qui est résulté de l'introduction de la requête, d'apprécier à son tour si les faits allégués sont susceptibles de faire présumer un harcèlement moral, de se prononcer ensuite sur les arguments avancés par l'administration pour démontrer que ces faits sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement et, enfin, de se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral au vu des échanges contradictoires. Dans ces conditions, les manquements précités, reprochés par MmeClément-Petremann au tribunal administratif, sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires tendant à l'indemnisation d'un harcèlement moral :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, repris depuis à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". En application du second alinéa de l'article 6 quinquies, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 135-6 A du code général de la fonction publique, aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération le fait qu'il ait témoigné d'agissements constitutifs de harcèlement moral ou qu'il les ait relatés.
6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
7. En premier lieu, Mme B... soutient qu'après avoir dénoncé, en novembre 2019, les agissements inappropriés d'un magistrat du PNF, le procureur de la République financier l'a confirmée dans son poste de responsable de la communication, tout en se rapprochant de la direction des services judiciaires dès le mois de décembre 2019 afin d'obtenir son remplacement par un magistrat. Le procureur de la République financier aurait alors prétexté d'instructions venues de la chancellerie et de la participation de la requérante à une réunion du 22 janvier 2020, réservée aux seuls magistrats, pour justifier sa décision de nommer un magistrat dans les fonctions de responsable de la communication, annoncée lors d'une réunion le 23 janvier 2020. Mme B... déduit de ces manœuvres qualifiées de déloyales l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral ainsi que la volonté de son supérieur hiérarchique de l'évincer du service pour avoir dénoncé les faits répréhensibles commis par l'un des magistrats du PNF. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des attestations établies par des magistrats du PNF en faveur de l'appelante les 23 décembre 2020 et 8 janvier 2021, du courrier du syndicat de la magistrature du 28 juillet 2020 et du courrier du procureur de la République financier du 30 juillet 2020, que, si les qualités et compétences
de Mme B... étaient reconnues, sa participation aux missions du PNF était contestée par certains des magistrats et se trouvait à l'origine de difficultés de fonctionnement tenant à l'impossibilité pour elle d'assister aux revues hebdomadaires de portefeuilles eu égard à la confidentialité et à la sensibilité des affaires évoquées et au refus de magistrats du PNF d'évoquer leurs dossiers en sa présence. Dans ces conditions, alors que l'article 11 du code de procédure pénale confie au procureur de la République la mission de communication sur les procédures en cours et eu égard aux difficultés alors rencontrées par le PNF, mis en cause par voie de presse dans certaines de ces procédures, la décision de réorganiser la communication du PNF et d'en confier la responsabilité à un magistrat n'excède pas l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, Mme B... déclare que, se sentant compromise pour avoir dénoncé les agissements imputés au magistrat du PNF, elle a d'elle-même proposé à la fin de l'année 2019 de se porter candidate sur le poste alors vacant de chargé de communication au parquet de Paris, ce dont le procureur de la République financier l'a dissuadée. Alors que le procureur s'est ainsi opposé au départ de l'intéressée après qu'elle a dénoncé les agissements précités, il n'est pas démontré qu'il aurait ensuite cherché à l'évincer du service pour avoir procédé à cette dénonciation. Par suite, les agissements imputés au procureur de la République financier qui ont conduit celui-ci à décider le remplacement de Mme B... par un magistrat dans ses fonctions de responsable de la communication ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Pour les mêmes raisons, il n'est pas établi que cette décision de remplacement a été prise à l'égard de la requérante en prenant en considération le fait qu'elle a témoigné des agissements reprochés au magistrat du PNF. Enfin, si la requérante reproche au procureur d'avoir prétexté d'instructions du ministère pour justifier une décision prise par lui seul, cette circonstance, qui révèle seulement un manque de franchise à son égard, n'est pas non plus susceptible de faire présumer un harcèlement.
8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'issue d'une réunion du 22 janvier 2020 portant sur la nouvelle organisation des services fiscaux en matière d'action pénale, la magistrate organisant cette réunion a reproché à Mme B... d'y avoir participé. Si celle-ci indique y avoir été conviée par un autre magistrat du PNF, il n'est pas contesté que seuls des magistrats étaient invités, ainsi qu'il ressort du message du 7 janvier 2020. La circonstance que le procureur de la République financier a signalé à Mme B... les griefs formulés à son encontre par la magistrate organisatrice de la réunion et un autre magistrat du PNF, en lui précisant que sa participation à cette réunion posait question, ne constitue pas un élément susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'issue d'un entretien réunissant, le 23 janvier 2020, le procureur de la République financier, son adjoint et la secrétaire générale du PNF, Mme B... a été informée de ce que sa qualité de fonctionnaire faisait obstacle à la poursuite de ses fonctions comme responsable de la communication du PNF. Si la requérante a fait part, au cours de cet entretien, de son souhait de continuer à travailler au PNF, à l'occasion d'un changement de mission, il ressort de ses propres déclarations qu'elle s'est également proposée, à la fin de l'année 2019, pour un départ en mobilité hors du PNF. Dans ces conditions, l'annonce par le procureur de la République financier, lors d'une réunion de service le 27 janvier 2020, du départ prochain du PNF de Mme B..., présenté comme le fruit d'une volonté commune, ne constitue pas en soi un évènement soudain et brutal visant à humilier la requérante. S'il est vrai que le procureur a décidé de procéder à cette annonce sans l'en avertir préalablement et l'a ainsi mise en difficulté devant l'ensemble du service, cette indélicatesse ne constitue pas un agissement susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
10. En quatrième lieu, le procureur de la République financier a transmis un courriel le 12 avril 2020 proposant à l'ensemble des magistrats du PNF quatre " leçons de management pour une vie professionnelle réussie " et les appelant à en méditer la morale sur la nécessité du partage des informations dans le travail en équipe, l'exigence d'une bonne connaissance des procédures pour atteindre les objectifs, le souci de laisser le chef de service s'exprimer en premier et la nécessité de s'occuper de ses affaires et de " fermer sa gueule ". Il ne ressort pas des termes du courriel, adressé aux seuls magistrats, que la quatrième " leçon " ferait référence à Mme B..., lui reprochant d'avoir témoigné des faits de harcèlement commis par un magistrat du PNF à la fin de l'année 2019. Ce courriel ne saurait donc constituer un élément susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. En cinquième lieu, Mme B... soutient que le procureur de la République financier a procédé à la publication inopinée, le 13 mai 2020, de sa fiche de poste afin de recruter un vice-procureur à compter du 1er septembre 2020. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, la requérante a été avertie dès le 23 janvier 2020 de la volonté du procureur de nommer un magistrat dans les fonctions de responsable de la communication du PNF. Cette décision de nommer un magistrat a été réitérée lors de la réunion de service du 27 janvier 2020 et dans un courriel adressé le 18 février 2020 à la requérante. Dans ces conditions, une telle publication, d'ailleurs effectuée par la direction des services judiciaires, ne constitue pas un élément permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
12. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que, par un courriel du 24 juillet 2020 reçu en copie par Mme B..., le procureur de la République financier a informé le directeur du greffe des parquets de Paris, qui assure la gestion de la situation de l'intéressée, de sa volonté de la décharger de ses fonctions de responsable de la communication à compter du 1er septembre 2020 et d'en confier les missions à la secrétaire générale du PNF, dans l'attente de la nomination d'un magistrat. Le 31 août 2020, le procureur de la République financier a confirmé ces éléments à Mme B..., et lui a confié une mission de recensement du traitement médiatique auquel le PNF a été exposé depuis le 10 juin 2020, date de l'audition de la précédente procureure de la République financière par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Si la requérante soutient que ces mesures, prenant effet à son retour de congés, présentent un caractère brutal et malveillant, elle a été avertie dès le 23 janvier 2020, ainsi qu'il a déjà été dit, de la volonté du procureur de la République financier de la remplacer par un magistrat dans les fonctions de responsable de la communication. La décision du procureur a été confirmée lors de la réunion de service du 27 janvier 2020, dans le courriel déjà cité du 18 février 2020 et s'est matérialisée par la publication d'une fiche de poste le 13 mai 2020, en vue d'une nomination d'un vice-procureur à compter du 1er septembre suivant. Contrairement à ce que soutient Mme B..., le procureur de la République financier pouvait, en qualité de chef de service, prendre à son égard les mesures précitées visant à redéfinir ses missions au sein du PNF. Ces mesures, qui ne mettaient pas en cause l'appartenance de la requérante au PNF à compter du 1er septembre 2020, ne faisaient pas obstacle à ce qu'elle range ou prenne des affaires dans son bureau ou à ce qu'elle puisse saluer ses collègues. Il n'est pas établi que l'envoi d'un courriel à la date du 24 juillet 2020 procèderait d'une intention malveillante au motif que la requérante avait été convoquée ce même jour pour être entendue dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre le magistrat du PNF mis en cause à la fin de l'année 2019. Il ne résulte pas plus de l'instruction que la mission confiée à Mme B... par le courriel du 31 août 2020 présentait un caractère fictif, en l'absence de tout élément produit sur ce point au dossier. Si plusieurs membres du PNF ont témoigné du caractère brutal du départ de la requérante, placée en congé de maladie à l'issue d'une opération bénigne le 7 septembre 2020 et mutée à sa demande dans un nouveau poste le 1er octobre suivant, à l'issue de ce congé, les mesures prises par le procureur de la République financier, qui traduisent sa volonté, constante depuis le mois de janvier 2020, de nommer un magistrat dans les fonctions de responsable de la communication, et qui n'excèdent pas l'exercice normal du pouvoir hiérarchique d'un chef de service, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments avancés par Mme B..., qui se rapportent tous, à l'exception du courriel du 12 avril 2020, à la décision du procureur de la République financier de nommer un magistrat dans les fonctions de responsable de la communication, ne permettent pas, pris isolément ou dans leur ensemble, de laisser présumer l'existence d'agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral.
En ce qui concerne la demande d'annulation de la décision refusant la protection fonctionnelle :
14. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 231-4 du même code : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) / 5° Dans les relations entre l'administration et ses agents ". Aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
15. La requérante produit à l'instance un courrier daté du 4 juin 2021 par lequel elle demande à l'administration la communication des motifs de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande, présentée le 5 février 2021, tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle. Elle ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, de la réception de ce courrier du 4 juin 2021 par l'administration, et ne peut dès lors être regardée comme ayant sollicité, dans les conditions prévues par l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite du garde des sceaux, ministre de la justice rejetant sa demande de protection fonctionnelle. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ne peut qu'être écarté.
16. En second lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions ont été reprises depuis à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " I. - A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...) / IV. - La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
17. Il résulte de ce qui est dit aux points 7 à 12 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision de rejet de sa demande de protection fonctionnelle est entachée d'illégalité au regard des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction, ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 23DA01327