Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202356 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté du 30 mars 2022 et a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... un titre de séjour l'autorisant à travailler sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A....
Il soutient que :
- le refus de titre opposé à M. A... n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu notamment de l'avis défavorable du service de la main d'œuvre étrangère ;
- il renvoie pour le restant à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2023, M. A..., représenté par Me Marie Vérilhac, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant du refus de titre de séjour :
- l'avis défavorable du service de la main d'œuvre étrangère est sans incidence sur la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant refus d'un titre de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise sur le fondement d'une décision illégale portant refus d'un titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision fixant le pays d'éloignement est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise sur le fondement d'une décision illégale portant obligation de quitter le territoire français.
Par ordonnance du 21 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- l'arrêté du 30 avril 2021 fixant la liste des pièces justificatives exigées pour la délivrance des titres de séjour prévus par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. A..., ressortissant sénégalais, a demandé, le 17 janvier 2022, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 ou de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 30 mars 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la fixation du pays d'éloignement. Par un jugement du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Rouen, saisi par M. A..., a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de délivrer à l'intéressé un titre de séjour l'autorisant à travailler sur le fondement de cet article L. 435-2, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime interjette appel de ce jugement.
Sur le moyen accueilli par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
3. En application de l'arrêté du 30 avril 2021 fixant la liste des pièces justificatives exigées pour la délivrance des titres de séjour prévus par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et constituant, en vertu de son article 2, l'annexe 10 de ce code, une demande sur le fondement des dispositions précitées doit notamment comprendre un " rapport établi par le responsable de l'organisme d'accueil (à la date de la demande) mentionnant l'agrément et précisant : la nature des missions effectuées, leur volume horaire, la durée d'activité, le caractère réel et sérieux de l'activité, les perspectives d'intégration au regard notamment du niveau de langue, les compétences acquises, le projet professionnel, des éléments relatifs à la vie privée et familiale ".
4. Aux termes de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles : " Les organismes assurant l'accueil ainsi que l'hébergement ou le logement de personnes en difficultés et qui ne relèvent pas de l'article L. 312-1 peuvent faire participer ces personnes à des activités d'économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. / Si elles se soumettent aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à leur insertion sociale, elles ont un statut qui est exclusif de tout lien de subordination. / Les organismes visés au premier alinéa garantissent aux personnes accueillies : / - un hébergement ou un logement décent ; / - un soutien personnel et un accompagnement social adapté à leurs besoins ; / -un soutien financier leur assurant des conditions de vie dignes. / Les organismes visés au premier alinéa sont agréés par l'Etat dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. L'agrément accordé au niveau national à un groupement auquel sont affiliés plusieurs organismes locaux vaut agrément de ces organismes. Une convention est conclue entre l'Etat et l'organisme national qui précise les modalités selon lesquelles le respect des droits des personnes accueillies est garanti au sein de ses organismes affiliés. ".
5. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger justifie de trois années d'activité ininterrompue dans un organisme de travail solidaire, qu'un rapport soit établi par le responsable de l'organisme d'accueil, qu'il ne vive pas en état de polygamie et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
S'agissant de l'activité dans un organisme de travail solidaire :
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France le 10 décembre 2017 avec un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises à Dakar, est hébergé depuis le 1er mars 2018 par la communauté Emmaüs de Saint Pierre-lès-Elbeuf et participe à ses activités.
7. D'une part, Emmaüs France est agréé comme organisme d'accueil communautaire et d'activité solidaire relevant de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles. M. A... exerçait donc depuis plus de trois ans, à la date de l'arrêté, des activités ininterrompues dans un organisme de travail solidaire.
8. D'autre part, le responsable de cette communauté Emmaüs a attesté que M. A... est sérieux et fait preuve de capacité d'adaptation, ayant occupé plusieurs postes de travail au sein de la communauté comme ripeur, comme vendeur ou en cuisine, à la propreté ou à l'accueil des dons. Il a indiqué également que l'intéressé suivait des cours de français depuis plusieurs années et qu'il avait effectué des stages en entreprise.
S'agissant des perspectives d'intégration :
9. M. A... est membre d'un club de basket-ball et le président de ce club témoigne de son intégration. Des attestations de proches de l'intéressé font aussi état de sa serviabilité et de sa volonté d'insertion. Enfin, M. A... a produit une promesse d'embauche du 4 janvier 2022 en contrat à durée indéterminée à plein temps comme agent de propreté pour une rémunération mensuelle brute de 1601,63 euros. La même entreprise a renouvelé cette proposition le 9 juin 2022 pour une rémunération mensuelle brute de 1645,61 euros.
10. Pour refuser le titre de séjour sollicité, le préfet s'est fondé sur l'avis défavorable émis le 28 mars 2022 par le service de la main d'œuvre étrangère lequel a lui-même été motivé par la circonstance que la rémunération mentionnée dans la première promesse d'embauche " est inférieure au SMIC en vigueur ou à la rémunération conventionnelle minimale applicable à l'entreprise ".
11. Toutefois, d'une part, si le dispositif institué à l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être regardé comme dispensant d'obtenir l'autorisation de travail, exigée par le 2° de l'article L. 5221-2 du code du travail, avant que ne soit exercée une activité professionnelle, la procédure permettant d'obtenir une carte de séjour est distincte de celle de l'article L. 5221-2 de sorte qu'il n'est pas nécessaire que l'autorisation de travail soit délivrée préalablement à ce qu'il soit statué sur la délivrance de la carte de séjour temporaire, la demande d'autorisation de travail pouvant être présentée auprès de l'administration compétente lorsque l'étranger dispose d'un récépissé de demande de titre de séjour ou même de la carte sollicitée. La rémunération proposée à M. A... sera alors nécessairement réexaminée.
12. D'autre part, alors que l'article R. 5221-20 du code du travail subordonnait la délivrance de l'autorisation de travail à la condition que le salaire proposé à l'étranger soit " même en cas d'emploi à temps partiel " au moins équivalent " à la rémunération minimale mensuelle ", la rédaction de cet article issue du décret n°2021-360 du 31 mars 2021 exige désormais que la rémunération proposée soit " conforme aux dispositions du présent code sur le salaire minimum de croissance ou à la rémunération minimale prévue par la convention collective applicable à l'employeur ou l'entreprise d'accueil ". Cette nouvelle rédaction implique seulement, comme l'a d'ailleurs rappelé le point 2.6 de la note du ministère de l'intérieur et du ministère du travail du 12 juillet 2021 adressée aux responsables de plateformes interrégionales de main d'œuvre étrangère, le respect du taux horaire minimum de rémunération et de la durée minimale de travail fixée par la convention collective. Or l'avis émis par le service de la main d'œuvre étrangère le 28 mars 2022 ne comporte aucune motivation sur ces points.
13. Dans ces conditions, compte tenu des activités solidaires exercées par M. A..., du caractère réel et sérieux de ces activités et des perspectives d'intégration de l'intéressé tant sociales que professionnelles, le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 30 mars 2022.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Marie Vérilhac, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Vérilhac de la somme de 900 euros hors taxes en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Marie Vérilhac, avocate de M. A..., une somme de 900 euros hors taxes en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Marie Vérilhac.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 22 juin 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°22DA02608 2