Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Radinghem-en-Weppes a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, d'une part, l'arrêté du 18 septembre 2018 du ministre de l'intérieur, du ministre de l'économie et des finances, et du ministre de l'action et des comptes publics, en tant qu'il refuse de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire du 1er avril au 30 septembre 2017 à raison de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et, d'autre part, la décision du 7 février 2019 du ministre de l'intérieur ayant rejeté son recours gracieux.
Par un jugement n°1903014 du 23 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 février 2022 et un mémoire enregistré le 9 novembre 2022, la commune de Radinghem-en-Weppes, représentée par Me Héloïse Hicter, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 décembre 2021 ;
2°) d'annuler cet arrêté interministériel du 18 septembre 2018 en tant qu'il refuse de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire du 1er avril au 30 septembre 2017 à raison de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse, ainsi que la décision du 7 février 2019 du ministre de l'intérieur ayant rejeté son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de réexaminer sa demande de reconnaissance d'état de catastrophe naturelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté interministériel est entaché d'un défaut de motivation ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que la commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur le caractère de catastrophe naturelle était irrégulièrement composée ;
- il méconnaît l'article L. 125-1 du code des assurances dès lors que les critères utilisés pour déterminer l'état de catastrophe naturelle n'étaient pas appropriés ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 août 2022, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Cyril Fergon, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la commune de Radinghem-en-Weppes de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 avril 2023, l'instruction a été close à effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Par un courrier du 5 juin 2023, des pièces complémentaires ont été communiquées aux parties qui ont été informées de ce que cette communication n'avait pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui concerne ces pièces, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- la circulaire n°84-90 du 27 mars 1984 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Héloïse Hicter, représentant la commune de Radinghem-en-Weppes.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 18 septembre 2018, les ministres de l'intérieur, de l'économie et des finances, et de l'action et des comptes publics ont établi la liste des communes sur le territoire desquelles a été reconnu en 2017 l'état de catastrophe naturelle à raison de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. La commune de Radinghem-en-Weppes a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de cet arrêté interministériel en tant qu'il refuse de la reconnaître en état de catastrophe naturelle à raison de ces risques pour la période du 1er avril au 30 septembre 2017, ainsi que de la décision du 7 février 2019 du ministre de l'intérieur ayant rejeté son recours gracieux contre cet arrêté. Le tribunal administratif a rejeté cette demande par un jugement du 23 décembre 2021, dont la commune interjette appel.
Sur la légalité des décisions attaquées :
En ce qui concerne le moyen tiré d'un défaut de motivation :
2. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances dans sa rédaction applicable au litige : " (...) L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation (...) ".
3. Si ces dispositions exigent que la décision des ministres, assortie de sa motivation, soit, postérieurement à la publication de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, notifiée par le représentant de l'État dans le département à chaque commune concernée, elles ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de cet arrêté qui serait une condition de légalité de ce dernier. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne le moyen tiré d'un vice de procédure :
4. Aux termes du titre 4 de la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 visée ci-dessus, " Le ministre de l'intérieur et de la décentralisation saisit la commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur le caractère de catastrophe naturelle. / Cette commission est composée : / - d'un représentant du ministère de l'intérieur et de la décentralisation, appartenant à la direction de la sécurité civile ; / - d'un représentant du ministère de l'économie, des finances et du budget, appartenant à la direction des assurances ; / - d'un représentant du secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget, appartenant à la direction du budget (...) ".
5. La commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 a pour mission d'éclairer les ministres compétents sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus des travaux de Météo France. Les avis qu'elle émet ne lient pas les autorités dont relève la décision.
6. Si l'appelante soutient que l'avis émis le 11 septembre 2018 par la commission interministérielle mentionnée ci-dessus est irrégulier en raison de l'absence de certains de ses membres à la séance au cours de laquelle cet avis a été émis, elle ne produit aucun élément précis et circonstancié à l'appui de ses allégations, alors que le ministre de l'intérieur produit un bordereau d'émargement revêtu de la signature manuscrite des représentants de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise du ministère de l'intérieur, de la direction générale du trésor et de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances. Par suite, le moyen ainsi invoqué doit être écarté.
En ce qui concerne les moyens tirés d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation :
7. Pour refuser de faire droit à la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Radinghem-en-Weppes, les ministres, après avoir relevé la présence de sols sensibles à " l'aléa sécheresse et réhydratation des argiles " sur l'ensemble du territoire de cette commune en se référant aux données recueillies par le bureau de recherche géologique et minière (BRGM), ont estimé que le caractère anormal des sécheresses n'était pas établi pour la période du 1er avril au 30 septembre 2017 au vu des données fournies par l'établissement public Météo France.
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la fiche de notification et de la notice explicative annexées au courrier de notification du 23 octobre 2018 que Météo France a pris en considération les indices d'humidité des sols superficiels sur les " mailles géographiques " n°92 et 93 du 1er avril au 30 septembre 2017 ainsi que, pour la seule période estivale du 1er juillet au 30 septembre 2017, le niveau des réserves hydriques. Pour estimer que les sécheresses observées sur ces deux mailles géographiques ne présentaient pas un caractère anormal, Météo France a relevé qu'elles présentaient une " durée de retour " respectivement de 7 et 6 ans du 1er avril au 30 juin 2017 et, chacune, de 2 ans du 1er juillet au 30 septembre 2017, alors que le seuil d'anormalité est atteint lorsque la " durée de retour " est supérieure à 25 ans. Météo France a également relevé que le niveau des réserves hydriques présentait un " rang 29 " du 1er juillet au 30 septembre 2017 sur ces deux mailles géographiques, alors que seuls les rangs 1 à 3 caractérisent une sécheresse estivale anormale.
9. En premier lieu, si l'appelante conteste cette méthode d'évaluation, en relevant que les mailles géographiques utilisées présentent une superficie supérieure à celle du territoire communal, il ressort de la fiche annexée au courrier de notification du 23 octobre 2018 que chaque commune est rattachée " à une ou plusieurs mailles en fonction de sa superficie " et que " dès lors que les critères relatifs à une période de sécheresse sont réunis pour une maille de rattachement d'une commune, ils sont considérés comme réunis pour l'ensemble du territoire communal pour la période concernée ". Dans ces conditions et alors que l'appelante n'a produit aucun relevé de terrain plus précis de nature à remettre en cause les données de Météo France, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maillage géographique utilisé aurait été susceptible de minimiser l'intensité des sécheresses survenues à Radinghem-en-Weppes durant la période litigieuse.
10. En deuxième lieu, si les critères utilisés par l'autorité administrative pour apprécier " l'intensité des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols à l'origine des mouvements de terrain différentiels " ont été révisés par une circulaire du 10 mai 2019 du ministre de l'intérieur, cette révision a eu pour objet, d'une part, " de prendre en compte dans l'analyse des demandes communales les informations techniques les plus pertinentes scientifiquement en intégrant les progrès de la modélisation hydrométéorologique réalisés par Météo France ces derniers mois " et, d'autre part, d'adopter des " critères plus lisibles pour caractériser l'intensité d'un épisode de sécheresse-réhydratation des sols (...) ", en prenant en compte deux critères cumulatifs, l'un " géotechnique " et l'autre " météorologique ". Ce dernier critère porte, selon cette même circulaire, sur " le niveau d'humidité des sols superficiels ", apprécié avec une " durée de retour supérieure ou égale à 25 ans ".
11. Or les ministres ont mis en œuvre en l'espèce ces deux critères, géotechnique et météorologique, pour apprécier l'intensité des sécheresses observées à Radinghem-en-Weppes pendant la période printanière. Si, au titre de la période estivale, le critère météorologique a été apprécié en tenant compte non seulement de l'indice d'humidité des sols superficiels mais aussi du niveau des réserves hydriques, il ressort de la notice explicative annexée au courrier de notification du 23 octobre 2018 que ces deux sous-critères étaient " alternatifs " et que le premier des deux, prévu par la circulaire du 10 mai 2019 mentionnée ci-dessus, n'était pas satisfait. Dans ces conditions et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres n'auraient pas utilisé les outils de modélisation les plus performants à leur disposition à la date de l'arrêté attaqué, l'appelante n'est pas fondée à contester la méthode d'évaluation qui a été mise en œuvre.
12. En troisième lieu, si l'appelante fait valoir que neuf immeubles ont été sinistrés en 2017 sur son territoire, elle ne produit aucun élément précis et circonstancié sur la nature et l'origine de ces sinistres. En outre, si elle produit un rapport établi le 3 décembre 2020 par le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL), comportant en annexe une carte des sinistres observés à Radinghem-en-Weppes, ce document ne précise ni la nature, ni l'origine, ni les dates de survenance de ces sinistres et ne permet dès lors pas de conclure que, durant la période du 1er avril au 30 septembre 2017, un aléa météorologique anormal susceptible de caractériser un état de catastrophe naturelle serait survenu sur le territoire de cette commune.
13. En dernier lieu, si l'appelante se réfère à des cartes représentant les excès de précipitations durant l'hiver 2017 et le mois de juillet 2017 par rapport à la moyenne mensuelle calculée sur la période 1981-2010, ces cartes, établies à l'échelle nationale, ne permettent pas d'apprécier avec une précision suffisante le niveau d'humidité des sols superficiels à Radinghem-en-Weppes du 1er avril au 30 septembre 2017. Il en va de même pour la carte représentant l'état du sol superficiel au 23 août 2017, qui est également établie, pour ce seul jour, à l'échelle nationale. De plus, si l'appelante se réfère à l'arrêté du 27 juin 2018 déclarant l'état de calamité agricole sur les prairies communales de mars à août 2017, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet état serait déclaré en application d'un critère météorologique mesurant l'intensité de la sécheresse sur une période de référence pertinente pour déclarer l'état de catastrophe naturelle.
14. Dans ces conditions, les moyens tirés d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Radinghem-en-Weppes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 18 septembre 2018 et de la décision du ministre de l'intérieur ayant rejeté son recours gracieux contre cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par la commune de Radinghem-en-Weppes sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative et tendant à ce que sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle soit réexaminée.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la commune de Radinghem-en-Weppes et non compris dans les dépens.
18. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Radinghem-en-Weppes le versement d'une somme de 2 000 euros à l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Radinghem-en-Weppes est rejetée.
Article 2 : La commune de Radinghem-en-Weppes versera une somme de 2 000 euros à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Radinghem-en-Weppes et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience publique du 22 juin 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
Le rapporteur,
Signé : S. Eustache
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 22DA00390 2