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01/06/2023 | FRANCE | N°22DA01137

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 01 juin 2023, 22DA01137


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme B... A... ont, par deux demandes distinctes, demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, d'une part, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014, d'autre part, de la cotisation supplémentaire de prélèvements sociaux à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1910307, 2002201 du 1er avril 2022, le tribunal administratif

de Lille a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme B... A... ont, par deux demandes distinctes, demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, d'une part, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014, d'autre part, de la cotisation supplémentaire de prélèvements sociaux à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1910307, 2002201 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 31 mai 2022, sous le n° 22DA01137, et un mémoire, enregistré le 20 décembre 2022, qui n'a pas été communiqué, M. et Mme A..., représentés par Me de Foucher, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la proposition de rectification, qui mentionne des termes de comparaison présentés comme similaires alors qu'ils sont inappropriés, est entachée d'irrégularité ;

- le service, sur lequel repose la charge de la preuve, n'a pas établi l'insuffisance de valeur vénale du bien cédé ;

- ils peuvent se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par le tribunal judiciaire qui a relaxé M. A... et jugé que la comparaison opérée par l'administration fiscale ne saurait prouver que l'immeuble vendu par la SA Calitex l'a été à un prix minoré ;

- l'administration n'a pas justifié du bien-fondé de l'application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 décembre 2022.

II. Par une requête, enregistrée le 31 mai 2022, sous le n° 22DA01138, et un mémoire, enregistré le 20 décembre 2022, qui n'a pas été communiqué, M. et Mme A..., représentés par Me de Foucher, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire de prélèvements sociaux à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire de prélèvements sociaux à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la proposition de rectification, qui mentionne des termes de comparaison présentés comme similaires alors qu'ils sont inappropriés, est entachée d'irrégularité ;

- le service, sur lequel repose la charge de la preuve, n'a pas établi l'insuffisance de valeur vénale du bien cédé ;

- ils peuvent se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par le tribunal judiciaire qui a relaxé M. A... et jugé que la comparaison opérée par l'administration fiscale ne saurait prouver que l'immeuble vendu par la SA Calitex l'a été à un prix minoré ;

- l'administration n'a pas justifié du bien-fondé de l'application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 décembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me de Foucher, représentant M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes, présentées par M. E... A... et Mme B... A..., enregistrées sous les n° 22DA01137 et n° 22DA01138, sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger les mêmes questions. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

2. La société anonyme (SA) Calitex, dont M. A... est le président, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, portant sur les exercices clos couvrant la période du 1er juin 2012 au 31 mai 2016, à l'issue de laquelle le service vérificateur a considéré, notamment, que le prix de vente d'un bien immobilier situé au 70, rue de Douai à Cambrai, cédé par acte du 28 février 2014 à la société civile immobilière (SCI) Saint-Amand, dont M. et Mme A... sont les associés, pour un prix de 100 000 euros, avait été minoré de 190 000 euros par rapport à sa valeur vénale brute. L'administration a regardé cette renonciation à recettes comme un acte anormal de gestion et a réintégré la somme de 190 000 euros au résultat imposable de la SA Calitex au titre de l'exercice clos en 2014. En conséquence, l'administration a regardé cette insuffisance de prix comme un avantage occulte octroyé à la SCI Saint-Amand, sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, et a estimé qu'en application de l'article 8 du code général des impôts, en leur qualité d'associés de la SCI Saint-Amand, M. et Mme A... devaient être regardés comme les bénéficiaires de l'avantage occulté ainsi constitué, imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, à proportion de leurs droits dans la SCI Saint-Amand, au titre de l'année 2014. L'administration les a donc assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2014, assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en suivant la procédure de rectification contradictoire. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 1er avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes tendant à la décharge de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". L'article R. 57-1 de ce livre dispose : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. ".

4. Il résulte des dispositions des articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales qu'une proposition de rectification, pour être régulière, doit comporter la désignation de l'impôt et, le cas échéant, de la catégorie de revenus concernés, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs de fait et de droit sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. Elle doit également comporter le mode de calcul des rectifications qui reposent sur la reconstitution de données exogènes au contribuable. En revanche, la régularité de la proposition de rectification ne dépend pas du bien-fondé des motifs énoncés.

5. La proposition de rectification adressée le 9 mai 2017 à M. et Mme A... indique la nature de l'impôt concerné, l'année d'imposition en cause, le montant des rectifications envisagées ainsi que les textes applicables et les éléments de fait et de droit sur lesquels l'administration s'est fondée pour considérer qu'ils avaient bénéficié, en leur qualité d'associés de la SCI Saint-Amand, d'un avantage occulte constitué de la minoration du prix de cession de l'ensemble immobilier sis au 70, rue de Douai à Cambrai, cédé le 28 février 2014 par la SA Calitex à la SCI Saint-Amand. En particulier, la proposition de rectification comprend des extraits de la proposition de rectification, datée du même jour, adressée à la SA Calitex mentionnant, pour chacun des quatre termes de comparaison retenus par le service afin de déterminer la valeur vénale du bien en cause, la date et les références de l'acte de vente, le type de construction et la localisation exacte de l'immeuble, la surface utile, l'ancienneté de conception, les matériaux utilisés, et les usages des biens. Sont également mentionnés leurs date et numéro d'enregistrement au service de publicité foncière de Cambrai. Aussi, la circonstance que le service ait indiqué que ces biens étaient loués alors que pour trois d'entre eux, des mentions contraires apparaissent sur les actes de vente, et que le quatrième terme de comparaison mentionnait une superficie de 360 m² au lieu de 1 350 m², n'est pas de nature à caractériser une insuffisance de motivation en méconnaissance de l'article L. 57 du livre de procédure fiscale. Enfin, la circonstance que les termes de comparaison retenus par l'administration seraient inadéquats et insuffisamment probants est, en tout état de cause, sans incidence sur le caractère suffisant ou non de la motivation de la proposition de rectification. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification du 9 mai 2017 doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée :

6. M. A... se prévaut des constatations contenues dans un jugement du 9 février 2021 par lequel le tribunal judiciaire de Cambrai l'a relaxé des chefs d'abus de biens ou du crédit d'une société par actions par un dirigeant à des fins personnelles, qui, selon lui, s'imposent à la juridiction administrative dans le présent litige.

7. L'autorité de la chose jugée procédant des décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

8. Il résulte des mentions du jugement du 9 février 2021 du tribunal judiciaire de Cambrai prononçant la relaxe de M. A... que le juge pénal a considéré que " les immeubles de comparaison retenus par l'administration fiscale pour en déduire une sous-évaluation du prix de vente de l'immeuble concerné, (...) ne présentent pas des caractéristiques proches évidentes avec l'immeuble en question " pour en conclure que " il convient de considérer que la comparaison opérée par l'administration fiscale ne saurait, à elle seule, suffire à prouver que l'immeuble vendu par la société Calitex l'a été à un prix minoré par rapport à sa valeur réelle et qu'un abus de bien social, à travers la vente, a été commis par le prévenu " et que " il n'est pas prouvé que M. A... a commis les faits qui lui sont reprochés ". Cette décision qui relaxe M. A..., au bénéfice du doute, ne s'impose pas au juge de l'impôt car elle ne comporte pas de constatations de fait ayant autorité de chose jugée. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne l'existence d'un avantage occulte :

9. Aux termes de l'article 111 du même code dispose : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c) Les rémunérations et avantages occultes ; / (...) ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts, alors même que l'opération est inscrite en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.

10. Pour établir la preuve de la libéralité de l'avantage occulte octroyé à la SCI Saint-Amand, l'administration fait valoir que c'est à un prix de 100 000 euros très inférieur à la valeur vénale du bien en cause que la SA Calitex a cédé à la SCI Saint-Amand le 28 février 2014 un ensemble immobilier situé au 70, rue de Douai à Cambrai, comprenant une partie construite au cours des années 1920, d'une surface de 2 000 m² servant d'entrepôt, en briques, avec une charpente métallique, et une partie construite en 1994, également en matériaux durs sur rez-de-chaussée et étage d'environ 700 m² à usage de bureaux. Le vérificateur a considéré qu'aucune vente sur le secteur et la période retenue ne pouvait correspondre en tout point aux caractéristiques du bien cédé. Pour déterminer la valeur vénale du bien immobilier en cause, il a fait l'application de la méthode par comparaison en retenant des biens de construction ancienne en matériaux durs, disposant d'une charpente métallique et d'une surface comprise entre 1 000 et 3 000 m², de manière à sélectionner des termes comparables. Ainsi, le vérificateur a retenu quatre termes de comparaison. Le premier terme de comparaison correspond à un immeuble bâti à usage industriel, vendu par acte du 12 janvier 2012, constitué de bureaux, ateliers et zone de stockage, situé au 5, rue de Rambouillet à Cambrai, d'une superficie utile de 1 468 m². Le service relevait qu'étant édifié en 1900, il avait fait l'objet d'une rénovation achevée le 31 décembre 1994, qu'il présentait un aspect extérieur en bon état, qu'il était construit en matériaux durs recouverts d'un enduit, qu'il disposait d'une toiture en tuiles de fibrociment avec ouvertures vitrées et qu'il était loué à une entreprise de fabrication et stockage de matériels de haute pression. Le prix de vente de ce bien était de 200 000 euros, soit, rapporté à la superficie utile, un prix de 136,24 euros/m². Le deuxième terme de comparaison correspond à un immeuble bâti à usage industriel, vendu par acte du 27 juin 2013, constitué de bureaux et entrepôt, situé au 8, rue de la Gare et rue de la Râperie à Clary, d'une superficie utile de 2 700 m². Le service relevait que, de conception ancienne, ces bâtiments étaient composés d'une toiture en charpente métallique et plaques rigides ainsi que de murs en briques et, pour une autre partie, d'une toiture en tuiles et mur en matériaux durs recouverts d'un enduit. Cet ensemble immobilier était loué et exploité par une société industrielle qui, notamment, y stockait ses produits finis. Le prix de vente de ce bien était de 340 000 euros, soit, rapporté à la superficie utile, un prix de 125,93 euros/m². Le troisième terme de comparaison correspond à un immeuble bâti à usage d'atelier, vendu par acte du 14 avril 2011, constitué de bureaux et hangar, situé au 12, rue de Bellevue à Briastre, d'une superficie utile de 2 540 m². Le service relevait que ces bâtiments, construits dans les années 1970, présentaient un état extérieur altéré, que les murs extérieurs étaient en briques et que la couverture des bureaux était en tuiles tandis que celle des hangars était en tôles rigides. Cet ensemble immobilier était loué à une société y stockant des produits ferraillés. Le prix de vente de ce bien était de 220 000 euros, soit, rapporté à la superficie utile, un prix de 86,61 euros/m². Enfin, le quatrième bien ayant servi de terme de comparaison correspond à un immeuble bâti à usage d'atelier constitué de bureaux et d'un entrepôt, situé au 6, rue Becquerel à Péronne, d'une superficie utile de 1 350 m², cédé par acte du 30 mars 2011 au prix de 180 000 euros, soit, rapporté à la superficie utile, un prix de 133,33 euros/m². Selon le service, ce bâtiment, construit en 1991, était en très bon état. Il disposait d'une charpente métallique et la couverture était en tôles rigides. Les murs extérieurs des bureaux étaient en briques, ceux de l'entrepôt en tôles. Ce bâtiment était loué à une société pour un usage commercial.

11. Le vérificateur a calculé un prix moyen du m² résultant de ces quatre termes de comparaison de 120,53 euros et a fixé à 307 954,15 euros la valeur brute reconstituée du bien cédé par la SA Calitex, après application de ce prix moyen, arrondie à 307 954 euros. En conséquence, le vérificateur a estimé que le prix de cession de l'immeuble en cause, s'élevant à 100 000 euros, avait été minoré. Il a également relevé que la valeur d'origine du bien, établie par le crédit bailleur, était cinq fois supérieure à la valeur de vente fixée par les parties lors de la vente de l'immeuble constituant le siège social de la SA Calitex et que celle-ci avait d'ailleurs réglé au crédit bailleur des sommes HT (loyers financiers et amortissements) correspondant à plus de huit fois la valeur de revente déterminée par ses soins. En outre, le vérificateur a relevé, d'une part, qu'il existait une communauté d'intérêt entre les deux structures parties à la cession, M. A... étant le dirigeant des deux sociétés et, d'autre part, que le bien acquis avait été immédiatement loué par la SCI Saint-Amand à la SA Calitex avec un taux de capitalisation brut correspondant au rapport du loyer sur la valeur vénale du bien, de 30 % (30 000 euros de loyer pour une valeur estimée par les parties à 100 000 euros), soit un taux près de trois fois supérieur au rendement usuel attendu par un bailleur pour la location d'un bien à usage professionnel. Estimant que la SCI Saint-Amand ne pouvait justifier ce fait par un risque locatif particulier eu égard à l'occupation par le locataire des locaux en cause depuis vingt années à la date de la mutation et à l'existence d'un lien de détention entre les deux entités, le service évaluait la valeur vénale par application du taux de capitalisation moyen de 10 % à 300 000 euros qu'il comparait, afin de démontrer la cohérence de son évaluation, à celle déterminée en fonction du prix moyen au m², par comparaison aux termes retenus, de 307 000 euros. Il en concluait qu'en renonçant à une recette de 207 000 euros, la SA Calitex avait opéré un acte anormal de gestion, dans une situation de communauté d'intérêt entre la société cédante et la société cessionnaire. Au stade de la réponse aux observations du contribuable, la valeur brute du bien en cause a toutefois été ramenée à 290 000 euros et le service a procédé à la réintégration d'un montant de 190 000 euros au résultat imposable de la SA Calitex au titre de l'exercice 2014.

12. Pour contester l'évaluation ainsi retenue par l'administration, M. et Mme A... font valoir que la valeur retenue par le service a été déterminée à partir d'une comparaison avec des biens non intrinsèquement similaires, compte-tenu de l'état de dégradation avancé du bâtiment, et corroborée par une approche par capitalisation sans prise en compte d'un loyer normal issu des données du marché local.

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, des termes de la proposition de rectification que l'administration n'a pas trouvé de cession de biens similaires à Cambrai en 2014 ou dans les années antérieures. L'administration s'est donc attachée à rechercher des cessions de biens similaires, c'est-à-dire des bâtiments professionnels d'une surface et d'un type cohérent avec les locaux de la SA Calitex, dans un rayon de dix kilomètres autour de Cambrai, Caudry et Péronne pendant une période de trois ans entre le 1er mars 2011 et le 27 février 2014. Les quatre termes de comparaison retenus par l'administration sont des immeubles professionnels à usage de bureaux, ateliers et stockage, d'une conception et d'un état similaire à ceux détenus par la SA Calitex. Le prix au m² des quatre termes de comparaison varie de 86 euros à 136 euros et l'administration a retenu un prix moyen de 120,53 euros le m² pour calculer l'insuffisance de valeur vénale. Quand bien même l'administration n'aurait retenu que le prix au m² le plus faible, soit 86 euros, la valeur vénale du bien immobilier s'établirait à 221 288 euros, soit plus du double du prix de vente de ce bien.

14. En deuxième lieu, s'agissant du mauvais état du bâtiment, d'une part, M. et Mme A... ne l'établissent pas par la seule production d'un devis et de photographies, non datées, d'une toiture alors que le vérificateur, après avoir visité les locaux en cause au cours des opérations de contrôle, a relevé, dans la proposition de rectification, que la partie ancienne des locaux était dans " un état de vétusté normal compte tenu de son âge " et que la SA Calitex n'a pas contesté cette appréciation dans sa réponse à la proposition de rectification reçue par elle. D'autre part, le mauvais état allégué du bâtiment ne concerne qu'une partie seulement de l'ensemble immobilier cédé à la SCI Saint-Amand. Même si le bâtiment ancien représente 85 % de la surface utile, il est constant que l'évaluation de l'ensemble immobilier réalisée en 1994 à l'occasion de la cession en crédit-bail immobilier n'était que de 22 867 euros alors que le coût de la nouvelle extension immobilière était de 380 817 euros et que l'ensemble était évalué à 519 698 euros. Ainsi, M. et Mme A... ne produisent aucun élément permettant d'établir qu'un ensemble immobilier, même comprenant une partie ancienne, valorisé à 519 698 euros en 1994, peut voir sa valorisation ramenée à 100 000 euros en 2014.

15. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration, pour évaluer l'insuffisance du prix de cession de l'immeuble en cause, ne s'est pas fondée sur une méthode par capitalisation mais s'est borné à relever que l'insuffisance de la valeur de 100 000 euros établie par comparaison avec des cessions similaires était corroborée par le rapport entre le loyer annuel de 30 000 euros demandé par la SCI Saint-Amand à la SA Calitex pour les locaux loués et la valeur de cession de 100 000 euros, faisant ainsi ressortir un taux de capitalisation de 30 % largement au-dessus du rendement habituel pour ce type de location de biens professionnels. D'ailleurs, si M. et Mme A... soutiennent que le loyer demandé de 30 000 euros est " sans doute excessif " et que, compte tenu d'un taux de capitalisation de 12 %, la valeur du bien ressortirait à 167 000 euros, ils admettent ainsi le principe de la sous-évaluation du bien immobilier cédé.

16. En quatrième lieu, il est constant, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la cession entre la SA Calitex et la SCI Saint-Amand a eu lieu dans un contexte de communauté d'intérêt entre les dirigeants de ces deux sociétés, M. A..., dirigeant de la SA Calitex, étant par ailleurs associé de la SCI Saint-Amand. Par suite, M. et Mme A... ne peuvent être regardés comme apportant des éléments de nature à remettre en cause l'insuffisance de la valeur vénale calculée par l'administration et ne peuvent davantage être regardés comme justifiant que l'appauvrissement de la SA Calitex qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise. Dès lors, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve tant de l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé que de l'intention de la SA Calitex d'octroyer, et, pour la SCI Saint-Amand, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession. C'est donc à bon droit que l'administration a assujetti M. et Mme A... à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2014, sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.

Sur les pénalités :

17. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ".

18. Pour justifier du bien-fondé de l'application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration fait valoir, outre la communauté d'intérêt entre la SA Calitex et la SCI Saint-Amand, que la SA Calitex avait une parfaite connaissance de la valeur d'origine de l'immeuble-extension qu'elle avait fait édifier dans le cadre d'un crédit-bail immobilier en 1994, que la valeur de l'extension réalisée en 1994 est estimée à elle-seule à 380 817 euros, soit trois fois la valeur retenue lors de la cession du bien, alors que la partie historique de l'immeuble n'est évaluée dans le contrat de crédit-bail qu'à 22 867 euros et qu'en vingt ans, un bâtiment immobilier ne pouvait se déprécier et perdre 80 % de sa valeur sans la survenance d'un évènement particulier. Dès lors, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée, qui a été celle de M. et Mme A..., de se soustraire au paiement de l'impôt dû. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a fait application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes tendant à la décharge des impositions en litige.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. L'Etat n'étant pas partie perdante, les conclusions de M. et Mme A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. et Mme A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. D... C..., premier-conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.

Le président, rapporteur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. HeuLa greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA01137,22DA01138 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01137
Date de la décision : 01/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : DE FOUCHER;DE FOUCHER;DE FOUCHER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-06-01;22da01137 ?
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