Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2107947, 2107948 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a, notamment, rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2022, M. B..., représenté par Me Gommeaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2021 du préfet du Nord ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'illégalité, par voie d'exception, du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance du 28 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 avril 2023.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2023, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Christian Heu, président de chambre, a été entendu, au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant albanais né le 4 octobre 1973 à Pejkë (Albanie), est entré en France le 28 décembre 2019, selon ses déclarations, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants. Il a présenté, le 11 février 2020, une demande d'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 12 janvier 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 2 juin 2021. M. B... a sollicité, le 21 septembre 2020, la délivrance d'un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale en raison de l'état de santé de sa fille. Par un avis du 6 mai 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de la fille de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d'entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, celle-ci peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Par un arrêté du 10 juin 2021, le préfet du Nord a refusé de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 29 juillet 2022 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9 (...) se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / (...) / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9 ". Aux termes de l'article L 425-9 du même code : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. / La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".
3. Il ressort des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de l'article L. 425-9 du même code, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que la fille de M. B..., âgée de seize ans à la date de l'arrêté contesté, est atteinte d'une cardiopathie sévère ayant nécessité une opération chirurgicale en 2006. Une insuffisance aortique demeure, qui devrait justifier à terme une nouvelle intervention. Mlle B... bénéficie en France d'un suivi médical régulier, complété par des examens ponctuels et prend quotidiennement un inhibiteur de l'enzyme de conversion, l'Enalapril. Par un avis du 6 mai 2021, le collège de médecins de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a estimé que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé et peut voyager sans risque vers son pays. M. B... produit plusieurs certificats médicaux établis par deux cardiologues et un médecin généraliste, indiquant que le suivi médical nécessité par l'état de santé de sa fille ne peut lui être dispensé en Albanie et qu'il doit donc être poursuivi en France. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces praticiens, dont les écrits sont au demeurant peu circonstanciés sur ce point, auraient une connaissance particulière du système de santé albanais. Le certificat établi par le chef du service pédiatrique général de Tirana, lui aussi peu circonstancié, ne permet pas d'établir, à lui seul, que, contrairement à l'avis émis le 6 mai 2021 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, la fille de M. B... ne pourrait bénéficier effectivement d'un suivi médical approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé. En ce qui concerne la disponibilité de l'Enalapril en Albanie, les pièces versées au dossier par le requérant, à savoir une capture d'écran non datée d'un site non identifié faisant état d'une rupture de stock de ce médicament et l'attestation, non datée, du gérant, dont le nom n'est d'ailleurs pas précisé, d'une pharmacie albanaise non localisée indiquant que ce médicament n'est pas disponible en Albanie ne sont pas de nature à établir que, contrairement aux indications de la liste des médicaments remboursables en Albanie, produite par le préfet du Nord, et sur laquelle est mentionné l'Enalapril, ce médicament ne serait pas disponible en Albanie. En outre, les articles de presse, produits par M. B..., relatifs à la situation du système médical en Albanie, ne permettent pas d'établir, par eux-mêmes, que sa fille ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Enfin, le requérant ne produit aucun élément de nature à établir que ses capacités financières ne lui permettraient pas, compte tenu du système social en Albanie, d'assurer l'accès de sa fille aux soins ou traitement médicamenteux nécessités par son état de santé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. En second lieu, aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté contesté aurait pour effet de faire obstacle à la reconstitution de la cellule familiale en Albanie alors que l'épouse de M. B... a également fait l'objet, le 10 juin 2021, d'un arrêté du préfet du Nord refusant de lui délivrer un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les enfants de M. B..., qui sont entrés récemment sur le territoire français en compagnie de leurs deux parents, ne pourraient poursuivre leur scolarité en Albanie. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, que la fille de M. B... ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme portant atteinte à l'intérêt supérieur des enfants de M. B.... Dès lors, le moyen tiré de la violation des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que M. B..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.
Sur la décision fixant le pays de destination :
9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. M. B... soutient que l'arrêté contesté, en ce qu'il fixe l'Albanie au nombre des pays de renvoi, méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, en l'absence d'élément permettant d'établir, ainsi qu'il a été dit précédemment, que la fille de M. B... ne pourrait accéder effectivement à un traitement approprié en cas de retour dans son pays d'origine, et alors, en outre, que l'intéressé, dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, ne produit aucun élément de nature à établir qu'il serait susceptible de faire l'objet d'une atteinte à sa vie ou de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, le préfet du Nord, en désignant l'Albanie au nombre des pays à destination desquels il pourra être reconduit d'office, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré la violation des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de M. B... à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Gommeaux.
Copie en sera transmise au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 4 mai 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2023.
Le premier vice-président,
président de chambre, rapporteur,
Signé : C. Heu
L'assesseur le plus ancien,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Nathalie Roméro
N°22DA02429 2