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08/12/2022 | FRANCE | N°22DA01740

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 08 décembre 2022, 22DA01740


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités bulgares, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à interve

nir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 220409...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités bulgares, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2204090 du 21 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis M. B... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros à Me Girsch, conseil de M. B..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 3 août 2022, sous le n° 22DA01740, le préfet du Nord, représenté par Me Cano, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, pour prononcer l'annulation de l'arrêté contesté, a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés ;

- en effet, l'arrêté en litige a été signé par une autorité compétente et est suffisamment motivé ;

- la situation de l'intéressé a fait l'objet d'un examen particulier ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- les moyens tirés de la méconnaissance des articles 21 et 31 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 sont inopérants ;

- il est justifié, par les pièces produites au dossier, de la saisine des autorités bulgares par l'administration ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- le moyen tiré de la violation par ricochet de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales manque en fait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Girsch, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que le premier juge a annulé l'arrêté prononçant son transfert aux autorités bulgares au motif que cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté en litige est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il méconnaît, compte tenu des défaillances systémiques de la prise en charge des demandeurs d'asile en Bulgarie, les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par une ordonnance du 20 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 4 novembre 2022.

M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans le cadre de l'instance au fond, par une décision du 13 septembre 2022.

II. Par une requête enregistrée le 3 août 2022, sous le n° 22DA01741, le préfet du Nord, représenté par Me Cano, demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2204090 du 21 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa requête au fond.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, pour prononcer l'annulation de l'arrêté contesté, a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés ;

- en effet, l'arrêté en litige a été signé par une autorité compétente et est suffisamment motivé ;

- la situation de l'intéressé a fait l'objet d'un examen particulier ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- les moyens tirés de la méconnaissance des articles 21 et 31 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 sont inopérants ;

- il est justifié, par les pièces produites au dossier, de la saisine des autorités bulgares par l'administration ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- le moyen tiré de la violation par ricochet de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales manque en fait.

Par une ordonnance du 28 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2022.

Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordé à M. B..., dans le cadre de l'instance à fin de sursis à exécution, par une décision du 13 septembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-648 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Heu, président de chambre,

- et les observations de Me Girsch, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B..., ressortissant afghan né le 30 mars 1995 à Kaboul (Afghanistan), est entré irrégulièrement en France. Il s'est présenté auprès des services de la préfecture du Nord le 21 avril 2022 afin de solliciter l'asile. La consultation par l'administration du fichier Eurodac ayant permis d'établir que l'intéressé avait présenté une demande d'asile enregistrée en Bulgarie, le 10 décembre 2021, le préfet du Nord a saisi les autorités bulgares, le 25 avril 2022, d'une demande de reprise en charge en application des dispositions du b) de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités bulgares ont donné implicitement leur accord 10 mai 2022, en application des dispositions du 2 de l'article 25 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 19 mai 2022, le préfet du Nord a, en conséquence, prononcé le transfert de M. B... aux autorités bulgares. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01740, le préfet du Nord relève appel du jugement du 21 juin 2022 en tant que, par ce jugement, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé son arrêté du 19 mai 2022 portant transfert de M. B... aux autorités bulgares, d'autre part, enjoint à l'autorité préfectorale d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé en procédure normale, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros au conseil de M. B..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01741, le préfet du Nord demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

2. Les requêtes introduites par le préfet du Nord, enregistrées sous les nos 22DA01740 et 22DA01741, sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la demande d'assistance par un interprète :

3. Les dispositions de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, qui instituent au profit de l'étranger qui ne parle pas suffisamment la langue française la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un interprète lors de l'audience afin de présenter des observations orales, ne sont applicables qu'aux seuls recours dirigés contre les décisions d'éloignement, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. M. B... ne peut donc utilement invoquer ces dispositions. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que les circonstances de l'espèce rendent utile la désignation d'un interprète dans la présente instance.

Sur la requête n° 22DA01740 :

4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

5. Pour annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé le transfert de M. B... aux autorités bulgares comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur la circonstance que le transfert de M. B... en Bulgarie était susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse des traitements inhumains ou dégradants.

6. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

7. M. B..., en se bornant à se prévaloir, notamment, de rapports de l'Organisation Suisse d'aide aux réfugiés du 30 août 2019 et du 13 septembre 2022, d'un rapport établi par Human Rights Watch (HRW) le 26 mai 2022, d'un extrait du site internet EuroMed Droit non daté, d'un rapport sur la violence aux frontières publié en décembre 2021 sur le site internet Borderviolence, de rapports produits dans le cadre du projet européen Asylum Information Database (AIDA) en février 2019 et en 2021, d'une déclaration publique du Comité anti-torture du Conseil de l'Europe de novembre 2021 relative à la situation des personnes placées en foyers sociaux ou hôpitaux psychiatriques et d'un article du journal Le Monde d'août 2021, n'établit pas, à la date de l'arrêté litigieux, un non-respect dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie alors que, ainsi que le fait valoir le préfet du Nord, la Commission européenne n'avait déclenché aucune procédure en manquement à l'encontre de cet Etat à la date de cet arrêté. Par ailleurs, l'intéressé fait valoir qu'il aurait lui-même été détenu dans des conditions déplorables en Bulgarie et y aurait subi des violences de la part des autorités bulgares dont il porterait encore les marques et dont il continuerait à subir les séquelles. S'il produit, à l'appui de ses déclarations, un certificat médical, ce certificat médical relève, en termes très succincts, des troubles physiques et psychiques " graves " sans toutefois relier ces constatations aux violences que l'intéressé allègue avoir subies en Bulgarie, la mention selon laquelle " l'intéressé rapporte ces violences subies en Bulgarie " étant sur ce point dépourvue d'incidence. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait fait état de mauvais traitements en Bulgarie lors de son entretien individuel du 21 avril 2022 et sa relation de ces évènements devant la juridiction administrative est très peu circonstanciée. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de M. B... en Bulgarie entraînerait un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le préfet du Nord est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a jugé que l'arrêté du 19 mai 2022 portant transfert de M. B... aux autorités bulgares méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... tant devant le tribunal administratif de Lille que devant elle.

10. En premier lieu, eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 30 septembre 2021, publié le même jour au recueil spécial n° 225 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme A... C..., adjointe à la cheffe du bureau de l'asile, à l'effet de signer des décisions en matière de police des étrangers au nombre desquelles figure l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

11. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que cet arrêté, en ce qu'il prononce le transfert de M. B... aux autorités bulgares comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur laquelle la mesure ainsi édictée par le préfet du Nord se fonde, et satisfait ainsi à l'exigence de motivation posée par les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, et alors que le préfet n'avait pas à reprendre expressément et de manière exhaustive l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle ou familiale de l'intéressé, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté est entaché d'une insuffisance de motivation manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et, notamment, des termes mêmes de l'arrêté contesté, que le préfet du Nord, pour prononcer le transfert de M. B... aux autorités bulgares, a procédé à un examen particulier et attentif de la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. B... doit être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 21 avril 2022, lors de l'entretien individuel qui lui a été accordé par l'administration, l'information sur les règlements communautaires, à savoir les brochures A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", rédigées en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre, et qui constituent les brochures prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ". Aux termes de l'article 35 de ce règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ".

16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel, que M. B... a été reçu lors de cet entretien par un agent de la préfecture du Nord, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien n'aurait pas eu lieu dans des conditions en garantissant la confidentialité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

17. En sixième lieu, aux termes du 1. de l'article 21 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. / (...) ". Aux termes de l'article 19 du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2013 : " 1. Chaque Etat membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé réception pour toute transmission entrante. / (...) ".

18. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé une demande d'asile le 21 avril 2022 et qu'à l'issue de la procédure de vérification effectuée par l'administration le même jour dans le fichier Eurodac, il est apparu que ses empreintes avaient été relevées en Bulgarie le 10 décembre 2021. Le préfet du Nord a produit en première instance l'accusé de réception électronique de sa demande de prise en charge qui lui a été adressé, le 25 avril 2022, par le réseau de communication électronique " DubliNet " et qui comporte, en objet, le numéro d'identification attribué par les autorités françaises à la demande d'asile de M. B... ainsi que la désignation de la Bulgarie en tant qu'Etat requis. Cet accusé de réception doit être regardé comme établissant la réalité de la saisine des autorités bulgares, alors même qu'il a été émis à partir de l'adresse électronique du point national d'accès français du système, dès lors qu'il s'agit d'un accusé de réception édité automatiquement par " DubliNet ". Le préfet a également produit en première instance l'accusé de réception électronique " DubliNet " du 10 mai 2022 concernant le formulaire intitulé " Constat d'un accord implicite " comportant le numéro de référence du dossier de l'intéressé. Ces éléments permettent de tenir pour établie non seulement la saisine des autorités bulgares par les autorités françaises, mais aussi l'existence d'un accord implicite donné par les autorités bulgares. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 19 du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2013 doit être écarté.

19. En septième lieu, il résulte des termes mêmes des articles 31 et 32 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dont les titres respectifs sont " Echange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert " et " Echange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert ", qu'ils sont relatifs aux modalités d'exécution d'une décision de transfert. Ces dispositions n'imposent pas que l'échange d'informations ait lieu avant l'édiction de la décision de transfert, mais seulement dans un délai raisonnable avant le transfert effectif de la personne intéressée. Dès lors, à la supposer même établie, l'inobservation de ces formalités à la date de l'arrêté contesté est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

20. En huitième et dernier lieu, aux termes de l'article 53-1 de la Constitution : " La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. / Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a repris les dispositions de l'article L. 742-1 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. / Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".

21. D'une part, la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

22. D'autre part, la Bulgarie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités bulgares répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

23. M. B... fait valoir qu'il a subi des traitements inhumains et dégradants en Bulgarie et qu'il craint, en cas d'exécution de la mesure de transfert, de faire à nouveau l'objet de tels traitements. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de M. B... en Bulgarie entraînerait un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord, en ne mettant pas en œuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait entaché la décision prononçant son transfert aux autorités bulgares d'une méconnaissance de ces dispositions. De même, les moyens tirés de la violation des dispositions précitées de l'article 53-1 de la Constitution et de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent, en tout état de cause, être écartés.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 19 mai 2022, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros au conseil de celui-ci, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur la requête n° 22DA01741 :

25. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur la requête présentée par le préfet du Nord tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille en date du 21 juin 2022, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête par laquelle le préfet du Nord demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

26. Les conclusions présentées devant la cour par M. B... et tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées, dès lors que l'Etat n'a pas la qualité de partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2204090 du 21 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions devant la cour tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet du Nord tendant au sursis à exécution du jugement n° 2204090 du 21 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord, à M. D... B... et à Me Girsch.

Délibéré après l'audience publique du 17 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2022.

Le président-assesseur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Suzanne Pinto Carvalho

2

N°22DA01740, 22DA01741


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01740
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christian Heu
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS;GIRSCH;CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-12-08;22da01740 ?
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