La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/10/2022 | FRANCE | N°21DA02443

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 06 octobre 2022, 21DA02443


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2021 et des mémoires enregistrés le 26 avril 2022 et le 24 juin 2022, la société Ferme éolienne du Bois Masson, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté interpréfectoral du 13 août 2021 de la préfète de la Somme et de la préfète de l'Oise portant sur la demande d'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre aérogénérateurs et un poste de livraison, sur le territoire des communes de Rollot et du Fres

toy-Vaux, en tant qu'il refuse de faire droit à la demande pour les éoliennes E2, E3 et E8...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2021 et des mémoires enregistrés le 26 avril 2022 et le 24 juin 2022, la société Ferme éolienne du Bois Masson, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté interpréfectoral du 13 août 2021 de la préfète de la Somme et de la préfète de l'Oise portant sur la demande d'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre aérogénérateurs et un poste de livraison, sur le territoire des communes de Rollot et du Frestoy-Vaux, en tant qu'il refuse de faire droit à la demande pour les éoliennes E2, E3 et E8 ;

2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre aux préfètes de la Somme et de l'Oise de délivrer l'autorisation sollicitée dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé en fait ;

- il est entaché d'erreur d'appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés le 29 mars 2022, le 30 mai 2022 et le 25 juillet 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée la dernière fois au 20 juillet 2022 à 12 heures par ordonnance du 24 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Jean-Baptiste Duclercq, représentant la société Ferme éolienne du bois Masson.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme éolienne du bois Masson a déposé une demande d'autorisation environnementale afin de construire et d'exploiter quatre aérogénérateurs et 1 poste de livraison sur le territoire des communes de Rollot et du Frestoy-Vaux. Par un arrêté du 13 août 2021, les préfètes de l'Oise et de la Somme ont autorisé la construction et l'exploitation de l'éolienne E 4 et ont refusé les éoliennes E 2, E 3 et E 8, au motif qu'elles étaient de nature à porter atteinte aux monuments et, en raison de leur impact sur le paysage et la commodité du voisinage par l'effet de saturation visuelle. La société Ferme éolienne du bois Masson demande l'annulation de cet arrêté en tant qu'il refuse d'autoriser ces trois éoliennes.

Sur les conclusions d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L 181-3 du code de l'environnement : " I- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

3. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

4. Le site d'implantation du projet se situe en limite du plateau picard. Dépourvu de relief, il est constitué essentiellement par une zone ouverte de plein champ, ponctué de villages et de bosquets. Il ne présente pas d'intérêt paysager particulier.

En ce qui concerne l'atteinte à la nécropole de Méry-la-Bataille :

5. Cette nécropole nationale de la première guerre mondiale où sont enterrés 1 538 soldats français ne fait l'objet d'aucune protection particulière. Les éoliennes du parc du champ Chardon sont déjà visibles depuis cette nécropole et le projet se place en continuité linéaire avec celles-ci. S'il résulte de l'instruction et notamment du photomontage n° 28 que les éoliennes en litige, situées à plus de 2 390 mètres de la nécropole et combinées aux éoliennes des deux autres projets ayant fait l'objet des arrêtés du même jour, sont nettement visibles à gauche de l'église du cimetière communal contigu à la nécropole, cette perspective ne constitue pas l'axe central de la nécropole, et les visiteurs s'y recueillant ne feront pas face aux éoliennes. Compte tenu de ces éléments, l'atteinte au site de la nécropole nationale de Méry-la-Bataille n'est pas établie.

En ce qui concerne l'atteinte au paysage et à la commodité du voisinage :

6. Pour refuser l'autorisation d'exploiter trois des quatre éoliennes du projet de la société requérante, les préfètes de la Somme et de l'Oise se sont fondées sur l'existence d'une " barrière visuelle de plus de trois kilomètres au sud-ouest de la commune de Rollot ", de nature à augmenter l'effet d'encerclement sur la commune.

7. Si l'étude paysagère fait apparaître un indice d'occupation des horizons de 137° pour les parcs situés dans un rayon de dix kilomètres, cet indice est de 120° en tenant compte des machines présentes dans un rayon de cinq kilomètres, considérées comme prégnantes dans le paysage. L'espace de respiration visuel est quant à lui de 120°. Ces données théoriques doivent cependant être combinées avec l'analyse concrète du contexte paysager dans lequel se déploie le champ visuel, qui a été faite par le reste de l'étude paysagère jointe au dossier de demande. Cet examen combiné permet de déterminer concrètement s'il existe un effet de saturation visuelle de nature à porter atteinte à la commodité du voisinage.

8. En l'espèce, l'étude paysagère s'est attachée à définir de manière précise la saturation au sein de la commune de Rollot par six photomontages. A la suite de l'avis du 24 janvier 2020 de la mission régionale d'autorité environnementale, deux photomontages complémentaires ont été réalisés pour rendre compte des vues depuis la sortie Sud de Rollot. Si le ministre chargé de la transition écologique estime que d'autres points de vue auraient mieux rendu compte de l'impact des projets, les photomontages réalisés sont échelonnés tout au long de la traversée de Rollot qui se présente comme un village-rue et rendent compte de manière sincère de l'ensemble des vues depuis les parties bâties ainsi que depuis les sorties de celles-ci.

9. Il résulte de ces éléments que les éoliennes, masquées par des éléments bâtis ou par la végétation, seront peu visibles depuis l'intérieur du village. L'impact des projets sera plus prégnant aux entrées et sorties de village, en particulier au Sud. Toutefois, ce point de vue, distant de 630 mètres du projet, ne compte pas d'habitation et n'est pas situé sur la sortie principale du village. Si les éoliennes y occupent l'essentiel de l'horizon à l'Ouest, elles viennent compléter les deux lignes d'éoliennes déjà existantes du parc du champ chardon. Par ailleurs, elles restent dans un même rapport d'échelle que les arbres de haute tige présents dans le champ visuel. Enfin, les éoliennes E2, E3 et E8 refusées par l'arrêté attaqué ne sont pas les plus visibles depuis ce point de vue, apparaissant en second plan, voire étant masquées par un bosquet pour les éoliennes E2 et E3.

10. Si la ministre de la transition écologique fait valoir que les parcs autorisés et non construits des Garaches et du Moulin n'ont pas été pris en compte par le pétitionnaire, il n'est pas établi que ces parcs situés au Nord-Ouest et au Nord de la commune de Rollot auraient aggravé les effets des projets partiellement refusés par l'arrêté du 13 août 2021, qui sont situés au sud de la commune. Le parc du Moulin est, en outre, à plus de 6,6 kilomètres du projet.

11. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Ferme éolienne du bois Masson est fondée à soutenir que c'est à tort que les préfètes de l'Oise et de la Somme ont refusé d'autoriser les éoliennes E2, E3 et E8 pour atteinte au paysage et à la commodité du voisinage.

En ce qui concerne la demande de substitution de motif :

12. La ministre de la transition écologique fait valoir en défense que les préfètes de l'Oise et de la Somme ne disposaient pas d'éléments suffisants du pétitionnaire pour se prononcer sur la saturation visuelle dans la commune de Rollot. Elle doit donc être regardée comme demandant la substitution de ce motif à ceux retenus dans l'arrêté attaqué. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, l'étude d'impact comprenait une analyse très complète de la saturation visuelle des différents bourgs situés autour du projet et compte tenu de la situation de la commune de Rollot, elle comportait six photomontages échelonnés tout au long de la traversée des parties bâties de cette commune, complétée par deux photomontages supplémentaires. En outre, dans son rapport du 12 mai 2021, l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement a relevé que l'analyse des effets cumulés avait été correctement étudiée.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté, que l'arrêté du 13 août 2021 des préfètes de l'Oise et de la Somme doit être annulé en tant qu'il refuse d'autoriser les éoliennes E2, E3 et E8.

Sur la délivrance de l'autorisation et l'injonction :

14. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

15. La ministre de la transition écologique n'a invoqué aucun motif d'irrégularité de la procédure mise en œuvre autre que celui précédemment écarté, ni aucune atteinte autre que celles précédemment analysées aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans des conditions qui rendraient l'implantation des éoliennes refusées incompatible avec les dispositions applicables au projet.

16. Dans ces conditions, eu égard au motif d'annulation retenu au présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale relative aux éoliennes E2 et E3 sur la commune de Rollot et à l'éolienne E8 sur la commune du Frestoy-Vaux, d'autre part, en la renvoyant devant les préfets de l'Oise et de la Somme pour fixer les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la société Ferme éolienne du bois Masson sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 13 août 2021 des préfètes de l'Oise et de la Somme est annulé en tant qu'il refuse d'autoriser la construction et l'exploitation des aérogénérateurs E2, E3 et

E8.

Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation des aérogénérateurs E2, E3 sur la commune de Rollot et E8 sur la commune du Frestoy-Vaux est accordée à la société Ferme éolienne du bois Masson.

Article 3 : La société Ferme éolienne du bois Masson est renvoyée devant les préfets de l'Oise et de la Somme pour fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Article 4 : Il est enjoint aux préfets de l'Oise et de la Somme de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 3 dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Ferme éolienne du bois Masson au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne du bois Masson, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la préfète de l'Oise et au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 octobre 2022.

Le rapporteur

Signé: D. PerrinLa présidente de la formation de jugement,

Signé: C. Baes-Honoré

La greffière,

Signé: C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02443 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02443
Date de la décision : 06/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Baes Honoré
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-06;21da02443 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award