Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision en date du 22 janvier 2019 par laquelle le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes l'a suspendu provisoirement de ses activités cliniques et thérapeutiques et lui a fait interdiction d'accéder aux locaux du centre hospitalier de Valenciennes ou, à titre subsidiaire, d'annuler cette décision à compter du 8 avril 2019, d'enjoindre au centre hospitalier de Valenciennes de le réintégrer dans ses fonctions de praticien hospitalier à temps plein au sein du service de réanimation polyvalente et de l'autoriser à accéder aux locaux du centre hospitalier de Valenciennes, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, d'annuler la décision implicite de rejet de ses réclamations indemnitaires préalables, de condamner le centre hospitalier de Valenciennes à lui verser la somme totale de 45 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de cette décision, à titre subsidiaire, d'enjoindre au directeur général du centre hospitalier de Valenciennes de faire droit aux demandes d'indemnisation qu'il a présentées ou de procéder à un nouvel examen de ces demandes, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1902523, 1906279 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du directeur général du centre hospitalier de Valenciennes du 22 janvier 2019, a enjoint au centre hospitalier de Valenciennes de réintégrer M. A... dans les fonctions de praticien à temps plein au sein du service de réanimation polyvalente de l'établissement dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, a condamné le centre hospitalier de Valenciennes à verser à M. A... la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes de M. A... et les conclusions présentées par le centre hospitalier de Valenciennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 novembre 2021 et 16 mai 2022, le centre hospitalier de Valenciennes, représenté par Me Juliette Delgorgue, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la décision contestée, prise sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, était justifiée par l'existence de circonstances exceptionnelles dans lesquelles étaient mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2022, M. A..., représenté par Me Caroline Duquesne, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel du centre hospitalier de Valenciennes ;
2°) à titre subsidiaire, à ce qu'il soit fait droit à ses demandes de première instance ;
3°) en tout état de cause, à la condamnation du centre hospitalier de Valenciennes au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à titre principal, c'est à juste titre que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision contestée dès lors que celle-ci n'est fondée sur aucun fait matériel avéré qui lui serait imputable et qui aurait compromis la bonne marche du service ou la sécurité des patients, de manière grave et imminente ;
- à titre subsidiaire, la décision contestée a été prise en méconnaissance du principe des droits de la défense dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations préalablement ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure destinés à éviter l'exécution du jugement du tribunal administratif de Lille du 22 novembre 2018 ;
- elle est irrégulière faute d'avoir été suivie d'une communication au centre national de gestion des praticiens hospitaliers ;
- la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire préalable n'est pas motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance des droits de la défense ;
- il est fondé à solliciter l'indemnisation des préjudices résultant de la décision du 22 janvier 2019, qui a été particulièrement brutale et vexatoire et qui l'a empêché de générer du temps additionnel et de prendre des gardes au sein de ce service ;
- en refusant d'indemniser ses préjudices, le centre hospitalier de Valenciennes lui a causé des préjudices équivalents, dont il convient de l'indemniser.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- le décret n°89-822 du 7 novembre 1989 ;
- le décret n°2003-655 du 18 juillet 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Khater, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me Juliette Delgorgue représentant le centre hospitalier de Valenciennes et de Me Thomas Kleparski substituant Me Caroline Duquesne, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., nommé praticien hospitalier à temps plein en qualité de médecin des hôpitaux par un arrêté du 1er juillet 1995, a été désigné, à compter du 1er juillet 2000, chef du service de réanimation polyvalente au sein du centre hospitalier de Valenciennes où il exerçait sa spécialité depuis 1997. Le 31 août 2015, à l'expiration de son mandat, le directeur général de l'établissement s'est abstenu de le renouveler dans ces fonctions. Par une décision du 15 octobre 2015, le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes l'a affecté sur le pôle d'administration générale, en qualité de chef de service chargé de la politique de formation des internes et des étudiants hospitaliers. Par une décision du 27 janvier 2016, le recours gracieux formé par M. A... à l'encontre de cette décision a été rejeté. Par une ordonnance n° 1601259 du 24 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a ordonné la suspension de l'exécution des décisions des 15 octobre 2015 et 27 janvier 2016 et a enjoint à l'établissement d'affecter provisoirement M. A... en qualité de praticien hospitalier en réanimation polyvalente, dans un délai de quinze jours. Par une décision du 5 avril 2016, le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a donc affecté M. A... sur le pôle " urgence - réanimation - anesthésie ", en qualité de praticien hospitalier en réanimation polyvalente à compter du 8 avril 2016 mais, par une décision du même jour, il l'a suspendu provisoirement de ses activités cliniques et thérapeutiques. Par une ordonnance n° 1602903 du 10 mai 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. A... tendant à la suspension de l'exécution de la décision le suspendant provisoirement de ses fonctions prise sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique. Par un premier jugement n° 1600771 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite par laquelle le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a mis fin aux fonctions de M. A... en qualité de chef du service de réanimation polyvalente, faute de saisine de la commission médicale d'établissement et a enjoint au centre hospitalier de réexaminer le renouvellement de M. A... dans ses fonctions de chef du service de réanimation polyvalente dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par un deuxième jugement du même jour, n° 1603056, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 5 avril 2016 ayant provisoirement suspendu M. A... de ses activités cliniques et thérapeutiques, a enjoint au centre hospitalier de le réintégrer effectivement dans les fonctions de praticien à temps plein au sein du service de réanimation polyvalente de l'établissement dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a condamné le centre hospitalier de Valenciennes à verser à M. A... la somme de 32 000 euros en indemnisation de son préjudice moral et de la perte de chance sérieuse de pouvoir assurer des gardes et du temps additionnel.
2. Par une décision du 22 janvier 2019, le directeur du centre hospitalier de Valenciennes a réintégré M. A... mais, par une décision du même jour, il l'a suspendu jusqu'à nouvel ordre de ses activités cliniques et thérapeutiques. Par une ordonnance n° 1902503 du 12 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. A... tendant à la suspension de l'exécution de cette décision. Par un jugement n°1902523, 1906279 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision de suspension de M. A... de ses activités cliniques et thérapeutiques du 22 janvier 2019, a enjoint au centre hospitalier de Valenciennes de réintégrer M. A... dans les fonctions de praticien à temps plein au sein du service de réanimation polyvalente de l'établissement dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a condamné le centre hospitalier de Valenciennes à verser à M. A... la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le centre hospitalier de Valenciennes relève appel de ce dernier jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En cas d'urgence, le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.
4. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée du 22 janvier 2019 que, pour suspendre provisoirement M. A... de ses activités cliniques et thérapeutiques, le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes s'est fondé sur les perturbations graves du fonctionnement du service de réanimation qu'emporterait, au détriment de la permanence et de la qualité des soins prodigués aux patients, une réintégration effective de ce praticien hospitalier dans ce service. A cet égard, le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a mentionné, d'abord, l'alerte du 22 janvier 2019 adressée par la médecine du travail, qui mentionnait la souffrance des praticiens à la suite de l'annonce de cette réintégration, ensuite, la volonté affichée par M. A... de revenir dans le service pour y semer le trouble et " rendre la pareille aux personnes qu'il tient pour responsable de sa mise à l'écart " et, enfin, les courriers et attestations des praticiens et cadres de soins qui évoquaient leur intention d'exercer en pareille hypothèse leur droit de retrait en précisant que ce service de réanimation est un service recours.
5. Il ressort des pièces du dossier que la défiance collective du personnel soignant à l'endroit de M. A... s'était déjà exprimée trois ans auparavant par la signature par la grande majorité des personnels du service de réanimation polyvalente, le 3 mars 2016, de plusieurs attestations individuelles faisant état du management conflictuel de l'intéressé au cours de sa chefferie de service et de la souffrance des praticiens et personnels du service face à la perspective de sa réintégration, conduisant le directeur général du centre hospitalier à prononcer une première mesure de suspension de M. A... de ses activités cliniques et thérapeutiques le 5 avril 2016. Toutefois, par un jugement devenu définitif du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille avait alors annulé cette décision, aux motifs qu'aucun fait matériel précis lié au comportement de l'intéressé n'exigeait qu'une telle mesure conservatoire soit prise en urgence. Trois années plus tard, alors que M. A... était resté à l'écart du service pendant toute cette période et avant même sa réintégration dans les cadres de l'établissement, cette même défiance collective s'est de nouveau vivement manifestée notamment par une lettre en date du 6 janvier 2019 adressée par le nouveau chef du service de réanimation au directeur général de cet établissement, à la présidente de la commission médicale d'établissement et au chef de pôle. Dans cette lettre, ainsi que dans celles du chef de pôle du 16 janvier 2019 adressées au président du conseil de surveillance, à la députée de la vingt-et-unième circonscription du Nord et à la sénatrice du Nord, il a encore été fait état de l'opposition de l'équipe médicale à la réintégration de M. A... et à l'intention de certains de ses membres, en ce cas, de remettre en cause leur évolution professionnelle au sein de l'établissement. Le 11 janvier 2019, douze praticiens hospitaliers du service ont ainsi informé le directeur général de l'établissement de leur intention d'exercer leur droit de retrait et de quitter leurs fonctions.
6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le 22 janvier 2019, date à laquelle M. A... a été réintégré dans le service en exécution du jugement du 22 novembre 2018, ses entretiens avec la directrice des ressources médicales, puis avec le directeur général de l'établissement et le chef du service de réanimation se sont déroulés sans incident notable. À la suite de ces entretiens, M. A... a participé à une réunion avec l'ensemble de l'équipe médicale du service au cours de laquelle les échanges ont certes été décrits comme brefs et tendus mais au cours de laquelle il n'a pas davantage été relevé d'agissement de l'intéressé de nature à compromettre de manière grave et imminente la continuité du service ou la sécurité des patients, M. A... n'étant au demeurant resté que quelques heures dans le service sans exercer aucune de ses activités cliniques et thérapeutiques.
7. Dans ces conditions, si les dissensions au sein du service de réanimation entre M. A... et le reste de l'équipe médicale sont établies ainsi que l'intention manifestée par les praticiens d'exercer leur droit de retrait ou de démissionner en cas de réintégration de l'intéressé, ces seules circonstances, alors qu'il est constant que M. A... est resté à l'écart du service de réanimation pendant plusieurs années, ne peuvent être regardées comme justifiant que soit prise en urgence la décision de suspendre ce praticien hospitalier de ses activités cliniques et thérapeutiques, en l'absence d'agissements de la part de M. A... contemporains de la décision attaquée, de nature à mettre en péril la sécurité des patients et la continuité du service de réanimation. Le centre hospitalier de Valenciennes n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé, pour inexacte application des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, la décision en date du 22 janvier 2019 par laquelle le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a suspendu provisoirement M. A... de ses activités cliniques et thérapeutiques et lui a fait interdiction d'accéder aux locaux du centre hospitalier de Valenciennes.
Sur les conclusions indemnitaires :
8. C'est par de justes motifs énoncés aux points 7 à 10 du jugement attaqué, non contestés en appel, que les premiers juges ont mis à la charge du centre hospitalier de Valenciennes le paiement d'une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité de la décision contestée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du centre hospitalier de Valenciennes doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que réclame à ce titre le centre hospitalier de Valencienne. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Valencienne la somme demandée par M. A... au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier de Valenciennes est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Valenciennes et à M. B... A....
Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- Mme Anne Khater, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juillet 2022.
La rapporteure,
Signé : A. KhaterLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°21DA02685