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10/05/2022 | FRANCE | N°21DA00180

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 10 mai 2022, 21DA00180


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la région Nord-Pas-de-Calais à lui verser la somme de 884 198,09 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable, en réparation des conséquences dommageables résultant des dégradations occasionnées par des occupants sans titre aux bâtiments du lycée d'enseignement professionnel Jean-Baptiste Carpeaux situé

s à Crespin (Nord).

Par un jugement n° 1403872 du 17 février 2017, le tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la région Nord-Pas-de-Calais à lui verser la somme de 884 198,09 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable, en réparation des conséquences dommageables résultant des dégradations occasionnées par des occupants sans titre aux bâtiments du lycée d'enseignement professionnel Jean-Baptiste Carpeaux situés à Crespin (Nord).

Par un jugement n° 1403872 du 17 février 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17DA00681 du 13 février 2020, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et condamné la région Hauts-de-France, venue aux droits de la région Nord-Pas-de-Calais, à verser au SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle la somme de 538 042,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2014 avec capitalisation à compter du 12 avril 2017 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Par une décision n° 441091 du 26 janvier 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la région Hauts-de-France, annulé l'arrêt du 13 février 2020 de la cour administrative d'appel de Douai et renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 avril 2017 et le 16 mai 2018, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, représenté par la SCP Manuel Gros, Héloise Hicter et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la région Hauts-de-France, venue aux droits de la région Nord-Pas-de-Calais, à lui verser la somme de 884 198,09 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa réclamation préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la région Hauts-de-France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en ne recherchant pas d'office si la responsabilité de la région Nord-Pas-de-Calais était susceptible d'être engagée à raison d'un dommage non permanent subi par un tiers à un ouvrage public, les premiers juges ont méconnu l'étendue de leur office ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu'il n'était pas fondé à invoquer la présomption de faute du gardien de la chose prévue par les dispositions de l'article 1384 du code civil, alors, d'une part, que ces dispositions avaient été transférées à l'article 1242 de ce code et, d'autre part, qu'il avait entendu, en réalité, invoquer les principes dont s'inspirent ces dispositions ;

- l'état particulièrement dégradé dans lequel l'immeuble lui a été restitué, après sa désaffectation, par la région Nord-Pas-de-Calais, révèle que cette dernière, qui en avait la disposition en application des dispositions des articles L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales et L. 214-6 du code de l'éducation, a manifestement manqué à ses obligations en matière de surveillance, d'entretien et de remise en état, alors même qu'elle avait été informée de l'occupation illégale de l'immeuble ;

- l'existence d'un lien de causalité entre cette faute et les dommages subis par l'immeuble jusqu'à la date de sa désaffectation est démontrée ;

- la responsabilité de la région des Hauts-de-France est également susceptible d'être engagée sur le terrain de la responsabilité sans faute à raison du dommage, permanent ou non, subi par un tiers à un ouvrage public ;

- il justifie avoir subi un préjudice pouvant être évalué à la somme totale de 884 198,09 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2018 et des mémoires en défense en reprise d'instance après cassation, enregistrés les 15 septembre et 17 décembre 2021, et le 31 mars 2022, la région Hauts-de-France, représentée par Me Ingelaere puis par la SCP Piwnica et Molinie, conclut au rejet de la requête et, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge du SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par des mémoires en reprise d'instance après cassation, enregistrés les 15 mars, 3 mai, et 5 octobre 2021 et le 2 janvier 2022, et des mémoires en productions à la suite d'une mesure d'instruction, enregistrés les 15, 17 et 31 mars 2022, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, représenté par la SCP Manuel Gros, Héloise Hicter et associés, demande à la cour de confirmer la condamnation de la région Hauts-de-France, venue aux droits de la région Nord-Pas-de-Calais, à lui verser la somme de 538 042,71 euros et demande une indemnité complémentaire de 63 349,42 euros au titre des frais d'élimination des déchets et de nettoyage.

Il soutient que :

- le Conseil d'Etat ayant seulement annulé pour une irrégularité de procédure l'arrêt de la cour, celui-ci reste revêtu de l'autorité de la chose jugée sur le principe de la responsabilité qui ne peut être remis en cause ;

- son préjudice constitué de frais divers et de frais de remise en état, qui se distingue de la valeur vénale, doit être calculé sans tenir compte de la revente du bien intervenue postérieurement à la période allant du 1er septembre 2012 au 3 juillet 2013 pendant lequel le bien s'est dégradé par la faute de la région ;

- il justifie de la réalité, la réception, l'étendue exacte et l'utilité des prestations qu'il a exposées pour l'élimination des déchets et le nettoyage du 10 février 2014 au 3 mars 2014 pour un montant total de 65 000 euros.

Par lettres des 10 et 16 mars 2022, la cour a demandé pour compléter l'instruction la production de pièces justifiant notamment de la valeur vénale des bâtiments composant le lycée d'enseignement professionnel LEP Carpeaux, avant et après les dégradations objet du litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'éducation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,

- et les observations de Me Manuel Gros, représentant le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, et de Me Cyrine Bizri, représentant la région Hauts-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, qui était propriétaire des bâtiments du lycée d'enseignement professionnel Jean-Baptiste Carpeaux, situés à Crespin, a mis ces bâtiments, après l'entrée en vigueur de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, à la disposition de la région Nord-Pas-de-Calais. A compter de la rentrée scolaire de septembre 2012, ces locaux n'ont plus été utilisés par la région puis ont été rétrocédés au SIVOM à la suite de l'arrêté du 17 juin 2013 par lequel le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais a prononcé la désaffectation des biens immobiliers du lycée. Durant la période d'inutilisation ayant précédé cette désaffectation, ces bâtiments ont subi de nombreuses dégradations commises par des personnes occupant illégalement les lieux. Le SIVOM a recherché la responsabilité de la région Nord-Pas-de-Calais à raison des conséquences dommageables de ces dégradations. Par un jugement du 17 février 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la région Nord-Pas-de-Calais, devenue la région Hauts-de-France, à lui verser la somme de 884 198,09 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de ces dégradations. Par un arrêt du 13 février 2020, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et a condamné la région à verser au SIVOM la somme de 538 042,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2014 et capitalisation des intérêts échus le 12 avril 2017 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Par une décision n° 441091 du 26 janvier 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour la région Hauts-de-France, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur la responsabilité :

2. La juridiction saisie sur renvoi après cassation par le Conseil d'Etat est tenue par l'autorité de chose jugée découlant de la décision rendue en cassation. A cet égard, si elle doit se conformer à la décision prise par le juge de cassation sur des questions de droit, lesquelles sont définitivement résolues dans le litige qui se poursuit devant elle, la juridiction retrouve en revanche sa plénitude de juridiction et peut modifier les appréciations qu'elle avait précédemment portées, en se prononçant sur un moyen que le juge de cassation n'a pas eu à examiner, ou au vu des pièces et moyens nouveaux que les parties peuvent lui présenter au soutien de leurs conclusions.

3. Par sa décision n° 441091 du 26 janvier 2021, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 13 février 2020 de la cour au motif qu'il avait été rendu au terme d'une procédure irrégulière, la mention du sens des conclusions du rapporteur public portées à la connaissance des parties ne satisfaisant pas à l'exigence posée par l'article R. 711-3 du code de justice administrative. Or, les motifs de cette décision n'ayant tranché aucune question de droit relative au fond de l'affaire, la cour à qui a été renvoyé l'ensemble du litige, après cassation totale, demeure saisie de l'ensemble des moyens soulevés depuis le début de la procédure et qui n'ont pas été expressément abandonnés. Elle peut ainsi, contrairement à ce que soutient le SIVOM, porter à nouveau une appréciation sur la responsabilité de la région, sans méconnaître l'autorité de chose jugée, alors même que seule une irrégularité de procédure a été censurée et que le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé au fond.

4. Aux termes de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales : " Le transfert d'une compétence entraîne de plein droit la mise à la disposition de la collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés, à la date de ce transfert, pour l'exercice de cette compétence. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-2 du même code : " Lorsque la collectivité antérieurement compétente était propriétaire des biens mis à disposition, la remise de ces biens a lieu à titre gratuit. La collectivité bénéficiaire de la mise à disposition assume l'ensemble des obligations du propriétaire. Elle possède tous pouvoirs de gestion. Elle assure le renouvellement des biens mobiliers. Elle peut autoriser l'occupation des biens remis. (...) Elle agit en justice au lieu et place du propriétaire. / La collectivité bénéficiaire peut procéder à tous travaux de reconstruction, de démolition, de surélévation ou d'addition de constructions propres à assurer le maintien de l'affectation des biens. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-3 de ce code : " En cas de désaffectation totale ou partielle des biens mis à disposition en application des articles L. 1321-1 et L. 1321-2, la collectivité propriétaire recouvre l'ensemble de ses droits et obligations sur les biens désaffectés. / (...) ". Enfin, en vertu de l'article L. 214-6 du code de l'éducation, la région a la charge des lycées et assure, dans ce cadre, la construction, la reconstruction, l'extension, les grosses réparations, l'équipement des bâtiments qui sont affectés à ces établissements.

5. Il résulte de l'instruction que, le 6 février 2013, des personnes sans droit ni titre d'occupation ont pris place sur le site du lycée Jean-Baptiste Carpeaux, avec leurs caravanes, au nombre d'une quarantaine et ont très fortement dégradé les bâtiments, notamment du fait du vol de nombreux éléments d'équipement, de la destruction totale ou partielle des locaux et de divers actes de vandalisme, en particulier en allumant des incendies dans l'enceinte des bâtiments ou à leurs abords. Il résulte également de l'instruction que le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, informé, le jour même, de cette occupation illégale du site, a saisi, par un courrier électronique du 8 février 2013, les services de la région Nord-Pas-de-Calais afin d'aboutir à une gestion concertée de ce dossier. Il a, ensuite, pris diverses initiatives dans le but d'obtenir l'expulsion des occupants sans titre, qui a été ordonnée, à sa demande, le 5 avril 2013 par le président du tribunal de grande instance de Valenciennes et qui a été effective le 16 avril suivant. Une nouvelle occupation illégale par une dizaine de caravanes a eu lieu le 5 juin 2013, suivie d'une nouvelle mise en demeure de quitter les lieux prise par un arrêté préfectoral du 6 juin suivant.

6. Si la région Hauts-de-France, venue aux droits et obligations de la région Nord-Pas-de-Calais, soutient avoir dépêché des agents sur les lieux afin de nouer un contact avec les occupants sans titre qui s'y étaient installés, cette seule intervention, à la supposer établie, ne saurait suffire à démontrer qu'elle aurait, en sa qualité d'affectataire du site investi de l'ensemble des obligations incombant au propriétaire, accompli les diligences nécessaires pour obtenir le départ des occupants et éviter, du fait de leurs agissements pendant la période d'occupation du site, la dégradation des bâtiments par ces derniers. La circonstance que le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, ait pris l'initiative d'engager la procédure d'expulsion des occupants sans titre, après qu'il eut vainement sollicité la région dans le but de trouver une solution concertée à cette situation, n'était pas, par elle-même, tant que la région restait affectataire du bien, de nature à dispenser cette collectivité des obligations lui incombant en vertu des dispositions précitées de l'article L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales, en ce qui concerne la conservation des immeubles qui avaient été mis à sa disposition. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fondements de responsabilité invoqués par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, que ce dernier est fondé à rechercher la responsabilité de la région Hauts-de-France, venant aux droits de la région Nord-Pas-de-Calais, à raison des conséquences dommageables des dégradations commises par des occupants sans titre dans les locaux du lycée Jean-Baptiste Carpeaux antérieurement au 3 juillet 2013, date de publication de l'arrêté préfectoral du 17 juin 2013 prononçant la désaffectation de ces bâtiments du service public de l'éducation.

7. Il résulte de l'instruction que les dommages occasionnés aux bâtiments du lycée Jean-Baptiste Carpeaux trouvent leur origine directe et certaine dans l'abstention de la région Hauts-de-France à prendre les mesures propres à prévenir l'intrusion et l'installation d'occupants sans titre sur le site, après la cessation de l'utilisation des bâtiments comme locaux scolaires, à limiter les conséquences de cette occupation illégale des lieux et à remettre ceux-ci en état avant leur restitution au SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle. En conséquence, la région Hauts-de France, qui n'est pas fondée à soutenir que les dommages sont imputables au fait du tiers alors qu'ils résultent de sa carence à prendre les mesures nécessaires pour prévenir et mettre un terme à l'occupation du site par des occupants sans titre, doit supporter l'intégralité du préjudice subi de ce fait par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle.

Sur les préjudices :

8. Il résulte de l'instruction que le préjudice dont le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle est fondé à obtenir la réparation doit être circonscrit à la période allant du 1er septembre 2012, date à laquelle l'établissement n'a plus accueilli d'élèves, au 3 juillet 2013, date à laquelle l'arrêté de désaffectation a été publié et à compter de laquelle le SIVOM, propriétaire des biens désaffectés, a recouvré l'ensemble de ses droits et obligations.

9. En premier lieu, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle sollicite une indemnisation au titre des frais d'enrochement qu'il indique avoir exposés pour sécuriser le site du lycée Jean-Baptiste Carpeaux. Au soutien de cette prétention, il produit, d'une part, une facture émise le 23 avril 2013 par une entreprise de location d'engins de chantier pour un montant de 2 253,86 euros, et, d'autre part, un tableau synthétisant le coût salarial supporté pour faire sécuriser l'enceinte du lycée par des agents des services techniques, qui est évalué à la somme, non contestée, de 1 319,98 euros. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, d'une part, que la location de ces engins de chantier a été nécessaire pour effectuer l'enrochement destiné à limiter les accès au site par les véhicules après le départ des occupants sans titre le 16 avril 2013 et qu'il en a été de même de la mise à disposition des agents municipaux, d'autre part, que le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle a effectué, de sa propre initiative, ces opérations qui incombaient à la région en tant qu'affectataire des lieux. Par suite, il y a lieu d'inclure, à ce titre, dans le préjudice subi par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, la somme totale de 3 573,84 euros.

10. En deuxième lieu, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle sollicite une indemnisation au titre des frais d'huissier engagés le 10 juin 2013 et le 13 août 2013 aux fins d'expulser les gens du voyage et de constater les dégradations commises dans l'enceinte du lycée d'enseignement professionnel. Il résulte de l'instruction que ces frais sont en lien direct avec la faute commise par la région Hauts-de-France. Par suite, la somme non contestée de 1 314,14 euros demandée à ce titre par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle doit être prise en compte pour la détermination de son préjudice.

11. En troisième lieu, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle demande l'indemnisation des frais d'élimination de déchets et de nettoyage du site. Il résulte de l'instruction que le SIVOM a fait procéder à une prestation de nettoyage du lycée incluant l'enlèvement de déchets par l'entreprise Malaquin au cours du mois de juillet 2013, date à laquelle le bien lui a été restitué et avant que de nouvelles intrusions dans l'enceinte du lycée n'y occasionnent des dégradations supplémentaires. Cette prestation qui a été facturée pour un montant de 1 650,58 euros est en lien avec l'intrusion et la présence sur le site des occupants sans titre au titre de la période de responsabilité retenue à l'encontre de la région Hauts-de-France et doit ainsi être mise à sa charge. Le SIVOM soutient également avoir fait intervenir la société Ageval pour l'enlèvement des déchets présents sur le site, laquelle atteste de l'étendue du chantier qui s'est déroulé du 10 février au 3 mars 2014, soit seize jours, représentant la mise à disposition de vingt-cinq personnes dont deux encadrants techniques, quinze rotations de benne, soit soixante-treize tonnes de déchets, dont treize tonnes de déchets papiers qui n'ont pu être valorisés du fait de leur état (brulés, mouillés, impossible à isoler). Le syndicat justifie de la réalité de l'exécution de ce marché de " nettoyage de l'ancien lycée JP Carpeaux " par la production d'un procès-verbal de réception daté du 6 mars 2014 et de son mandatement le 17 juin 2014 pour un montant de 65 000 euros portant la mention d'une facture SM/NA/140306/01 du 10 juin 2014. Si ces prestations d'enlèvement des déchets, dont l'ampleur et la réalité sont établies, sont en lien avec l'occupation illégale du site, elles ne peuvent toutefois être prises en totalité en compte au titre du chef de préjudice dont le SIVOM est fondé à demander réparation, dès lors qu'elles ont été réalisées postérieurement à la restitution des locaux au syndicat, alors que de nouvelles intrusions étaient intervenues notamment les 5, 6, 9 et 21 juillet 2013, qui ont été à l'origine de nouvelles dégradations dans l'enceinte du lycée Jean-Baptiste Carpeaux. Dans ces conditions, et compte tenu de la période de responsabilité décrite au point 8, il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en laissant à la charge du SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle un quart de ces frais, et en condamnant ainsi la région à lui verser une somme totale de 50 400,58 euros au titre du nettoyage du site.

12. En quatrième lieu, lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.

13. Il résulte de l'instruction et, notamment, d'un rapport établi le 14 février 2014 par un cabinet d'expertise missionné par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, que les bâtiments du lycée Jean-Baptiste Carpeaux ont subi de très nombreuses dégradations, liées notamment à des vols, arrachements ou destruction de câbles électriques, d'éléments de cuisine ou d'équipements, tels que des grilles de ventilation, des sanitaires, des fenêtres en aluminium ou des radiateurs. En outre, ce rapport révèle que d'importants dégâts ont été occasionnés par des actes de vandalisme divers, en particulier par des départs de feu. Ce rapport, établi plus de six mois après la restitution des locaux, suivant une série de visites menées sur site entre les 7 janvier et 3 février 2014, évalue le coût nécessaire pour remédier à l'ensemble des dommages, moyennant l'application d'un coefficient de vétusté, à la somme de 798 343,62 euros. Toutefois, comme ce document le précise lui-même, de nouvelles intrusions intervenues sur le site après le 3 juillet 2013, ont rendu notamment nécessaires plusieurs interventions du service départemental d'incendie et de secours et ont été à l'origine de nouvelles dégradations dans l'enceinte du lycée Jean-Baptiste Carpeaux. En outre, il est constant que le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle a décidé, par délibération du 4 juillet 2013, de vendre les parcelles constituant l'emprise de l'ancien lycée professionnel JB Carpeaux composé de trois bâtiments A, B et C, pour un montant total de 350 000 euros, sans procéder à leur remise en état. Et, par une délibération du 16 octobre 2013, le prix de vente pour la parcelle AC 139 sur lesquels les bâtiments A et B étaient édifiés a été réduit de 15 000 euros en raison de la continuité et de l'importance des dégradations quotidiennes commises après sa restitution par la région et fixé à 120 000 euros et le prix de la vente au profit de la commune de Quiévrechain de la parcelle AC 140 abritant le bâtiment C composé de six anciens logements de fonction a été fixé à 200 000 euros nets. Le SIVOM ayant vendu ces biens en l'état, sans procéder à leur réfection, il ne peut prétendre à une indemnité correspondant au coût de ces travaux tel qu'évalué dans le rapport précité.

14. La réparation susceptible d'être accordée au SIVOM au titre du préjudice correspondant à l'état dégradé dans lequel l'ensemble immobilier du lycée professionnel lui a été restitué le 3 juillet 2013, ne saurait excéder la différence entre la valeur vénale de l'immeuble exempt des dommages imputables à la région, appréciée à la date du 1er septembre 2012 à laquelle l'établissement n'a plus accueilli d'élèves, et sa valeur vénale à la date du 3 juillet 2013 à laquelle le SIVOM, ayant retrouvé la pleine possession des lieux à la publication de l'arrêté de désaffectation, a été en mesure de remédier aux dégradations. S'agissant de la valeur vénale du bien avant ces dégradations, il résulte de l'instruction que par lettre du 23 novembre 2012, soit trois mois après la désaffectation de fait du lycée, le SIVOM a demandé à la direction générale des finances publiques une estimation de la valeur vénale des bâtiments A, B, et C, composant l'ancien lycée professionnel JB Carpeaux à Crespin. Selon l'avis du service des domaines émis le 20 mars 2013, la valeur vénale de la parcelle sur laquelle les bâtiments A et B ont été construits en 1979, comprenant des ateliers dont un incendié, un logement de fonction, des garages en bon état, une cuisine collective et une salle de restauration, pouvait alors être fixée, suivant les données du marché immobilier local, à 170 000 euros et l'ensemble de six logements de fonction dont il est indiqué que deux étaient parfaitement entretenus et habitables et les autres à refaire complètement, sans plus de précision, à la somme de 270 000 euros, ainsi qu'un jardin d'une valeur de 5 400 euros. A la date de cette estimation domaniale, les actes de vols, incendies et vandalisme liés à l'intrusion de personnes sans droit ni titre depuis le 6 février 2013, avaient certes déjà conduit à des dégradations, dont notamment l'incendie d'un atelier, mais n'étaient pas de l'ampleur de celles constatées dans le rapport précité du 14 février 2014 et il n'est pas établi que l'état des deux logements à refaire complètement avait pour origine l'occupation illégale des bâtiments et non un état de vétusté avancé. Par ailleurs, le montant des coûts de l'acquisition des terrains en 1978 et de la construction des bâtiments, c'est-à-dire de l'investissement effectué initialement par le propriétaire des biens en cause, ne peut tenir lieu d'évaluation de la valeur vénale avant les dégradations objet du litige qui sont survenues plus de trente ans après. Ainsi, compte tenu de l'état des biens à la date du 20 mars 2013 de l'avis des domaines, de leur valeur estimée alors à 445 400 euros avec un atelier incendié, qu'il convient de porter à 470 000 euros, de leur cession décidée par la délibération du 4 juillet 2013 pour un montant de 350 000 euros, cession réalisée en mars 2014 et, en l'absence de pièces permettant de faire une meilleure estimation malgré les mesures d'instruction diligentées par la cour, il sera fait une juste évaluation de la minoration de la valeur vénale supportée par le SIVOM en lien avec la faute de la région à l'origine des dégradations, pour la période comprise entre le 1er septembre 2012 et le 3 juillet 2013, en condamnant cette dernière à lui verser la somme de 120 000 euros.

15. En dernier lieu, le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle demande la condamnation de la région Hauts-de-France à lui verser la somme de 13 715,73 euros au titre des frais et honoraires du cabinet d'expertise qu'elle a missionné afin d'évaluer le coût des travaux nécessaires pour la remise en état du site. Il résulte de l'instruction que le rapport établi par ce cabinet d'expertise a été utile à la résolution du litige. Par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande et d'inclure la somme 13 715,73 euros dans le préjudice indemnisable.

16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 14, que le montant du préjudice subi par le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, dont celui-ci est fondé à demander réparation, doit être fixé à la somme de 189 004,29 euros.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la région Hauts-de-France à lui verser une indemnité, et à demander que cette dernière lui verse la somme de 189 004,29 euros en réparation des conséquences dommageables liées aux dégradations des locaux de l'ancien lycée professionnel Jean-Baptiste Carpeaux.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

18. Le SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 189 004,29 euros à compter du 26 mars 2014, date de réception par la région Nord-Pas-de-Calais de sa demande préalable d'indemnisation. Il a demandé la capitalisation de ces intérêts pour la première fois dans sa requête d'appel, enregistrée le 12 avril 2017. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la région Hauts-de-France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la région intimée une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le syndicat appelant et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1403872 du 17 février 2017 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La région Hauts-de-France est condamnée à verser au SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle la somme de 189 004,29 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2014. Les intérêts échus à la date du 12 avril 2017 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La région des Hauts-de-France versera au SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle et les conclusions de la région Hauts-de-France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au SIVOM de Crespin, Quiévrechain, Saint-Aybert et Thivencelle et à la région Hauts-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 26 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Muriel Milard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. B...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet de la région Hauts-de-France en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA00180


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00180
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Aurélie Chauvin
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : SCP GROS - HICTER - D'HALLUIN ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-10;21da00180 ?
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