Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E..., Mme F... G... et Mme A... D... en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de sa fille, , ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Doullens à les indemniser des préjudices subis à la suite de la prise en charge de M. B... E... au service des urgences de cet établissement, le 25 octobre 2015, et de leur verser, à titre de provision, respectivement les sommes de 80 000 euros, 20 000 euros, 30 000 euros et 60 000 euros, à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les mêmes sommes, d'ordonner en tout état de cause une expertise afin de fixer la date de consolidation de l'état de santé de M. E... et de préciser l'ensemble des préjudices indemnisables et de mettre à la charge du centre hospitalier de Doullens ou, subsidiairement, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1803127 du 4 février 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 mars 2021 et le 7 janvier 2022, M. B... E..., Mme F... G... et Mme A... D... en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de sa fille, C... E..., représentés par Me Ludivine Bidart-Decle, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à leurs demandes de première instance et, en cas de nouvelle expertise, d'enjoindre au centre hospitalier de Doullens de communiquer l'intégralité des documents afférents à la réanimation de M. E... ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Doullens ou, subsidiairement, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les séquelles dont est resté atteint M. E... sont imputables à un acte de soins, dès lors que l'anoxie cérébrale dont il a été victime est secondaire à un arrêt circulatoire survenu au décours de l'intubation avec ventilation pratiquée au centre hospitalier de Doullens ;
- il résulte de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que cet accident n'est pas imputable à son état antérieur et, notamment, aux substances absorbées, compte tenu du délai écoulé entre leur absorption et la survenue de l'arrêt circulatoire ;
- la responsabilité du centre hospitalier de Doullens doit être engagée en raison d'une faute dans la mise en œuvre de l'intubation après sédation, confirmée par les incohérences relevées dans le dossier médical ;
- l'avis médico-légal qu'ils produisent révèle que la réalisation technique de l'intubation trachéale pourrait avoir été fautive, à défaut d'utilisation d'un curare d'action rapide et un compte-rendu ultérieur a révélé que la sonde d'intubation avait été mal positionnée, ne ventilant qu'un poumon sur les deux ;
- la difficulté à déterminer précisément l'acte médical responsable du dommage résulte de l'incomplétude du dossier médical ;
- à défaut, la solidarité nationale doit être mise en œuvre en raison de la survenue d'un accident médical non fautif ayant entraîné des conséquences anormales au regard de l'état de santé du patient et de l'évolution prévisible de celui-ci ;
- la provision demandée pour M. E..., à hauteur de 80 000 euros, dans l'attente de la consolidation de son état, correspond à l'intensité des séquelles dont il reste atteint, caractérisées par un syndrome tétrapyramidal déficitaire ;
- les provisions demandées pour Mme G... et Mme D... sont proportionnées aux préjudices subis en raison des perturbations de la vie familiale engendrées par le handicap de M. E....
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Sylvie Welsch, conclut, à titre principal, à sa mise hors de cause et au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise avant dire droit soit ordonnée.
Il soutient qu'il ressort des conclusions de l'expertise que le dommage est en lien avec l'état de santé antérieur de M. E... et n'est pas imputable à un acte de soins, que ce soit le traitement médicamenteux ou l'intubation, nonobstant la circonstance que l'arrêt circulatoire est intervenu au décours de cet acte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, le centre hospitalier de Doullens, représenté par Me Didier Le Prado, conclut au rejet de la requête des consorts E... et autres.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués au soutien de la requête d'appel n'est fondé.
L'ensemble de la procédure a été communiqué à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Khater, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me Ludivine Bidart-Decle, représentant M. E..., Mme G... et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 octobre 2015, M. B... E..., alors âgé de vingt-cinq ans, a été pris en charge au domicile de sa mère par le service d'aide médicale urgente, assisté des sapeurs-pompiers, en raison de son agitation extrême à la suite d'une intoxication médicamenteuse volontaire, survenue à dix-neuf heures trente, par l'absorption de Baclofène et de paracétamol associée à une prise d'alcool et de cannabis. A son arrivée au service des urgences du centre hospitalier de Doullens jusqu'au lendemain matin, il lui a été administré à plusieurs reprises un neuroleptique, du Loxapac, en raison de son agitation et de son agressivité importantes et il a été procédé à une contention physique sur prescription médicale puis à un placement en salle de déchocage. Aux alentours de sept heures quinze du matin, le médecin-réanimateur a été appelé et a décidé, à huit heures, une sédation complète avec intubation en raison d'une détresse respiratoire. Au décours de l'intubation-ventilation est survenue une asystolie sans arrêt respiratoire, suivie d'un arrêt cardiaque pendant deux à trois minutes. Une fois les paramètres vitaux redevenus stables, M. E... a été transféré au centre hospitalier universitaire d'Amiens où la prise en charge a été marquée par un arrêt progressif des sédations. En cours de rééducation, le diagnostic d'anoxie cérébrale, ayant entraîné un syndrome tétrapyramidal déficitaire responsable d'une diminution très importante de l'autonomie motrice et de troubles mnésiques et intellectuels, a été posé. Saisie par M. E... et sa famille, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Picardie a diligenté une expertise médicale, confiée à deux spécialistes en neurologie et réanimation, qui a conclu à la survenue d'un arrêt circulatoire au décours de l'intubation-ventilation à l'origine d'une anoxie cérébrale responsable des troubles mnésiques et intellectuels dont est resté atteint M. E..., indépendamment de tout manquement aux règles de l'art dans la prise en charge de ce patient dont l'état antérieur a joué un " rôle critique " dans la survenue du dommage. Par un avis du 16 janvier 2018, la commission de conciliation et d'indemnisation a rendu un avis défavorable à l'indemnisation de l'intéressé. M. E..., Mme G... sa mère, et Mme D... sa compagne, relèvent appel du jugement du 4 février 2021 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du centre hospitalier de Doullens ou, subsidiairement, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à les indemniser des préjudices subis suite à la prise en charge de M. B... E... au service des urgences de cet établissement.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Doullens :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
3. Il résulte de l'instruction et, notamment, de l'expertise médicale diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que le dommage subi par M. E..., qui consiste en une atteinte neurologique associant un syndrome tétrapyramidal déficitaire, responsable d'une diminution très importante de l'autonomie motrice, de troubles cognitifs intéressant l'ensemble des champs cognitifs avec diminution de l'efficience intellectuelle globale, trouve son origine de façon très probable dans l'anoxie cérébrale imputable à l'arrêt circulatoire survenu au décours immédiat de l'intubation avec ventilation assistée décidée douze heures après son admission pour troubles de conscience à type d'agitation et de somnolence dans un contexte d'intoxication volontaire au paracétamol, baclofène, alcool et cannabis. Si les experts indiquent que la cause de ce mécanisme d'arrêt circulatoire n'a pu être déterminée, ils n'excluent pas que M. E... ait été plus spécialement exposé à cette complication en raison du rôle des molécules qu'il avait absorbées volontairement et de son état antérieur, en soulignant à cet égard que la consommation régulière de cannabis à fortes doses est un facteur de risque reconnu de constitution de lésions neuronales, d'accident vasculaire cérébral ischémique et de lésions anoxo-ischémiques, tout comme la consommation de cocaïne, ce qui correspond aux antécédents non contestés de l'intéressé. Les deux experts, spécialistes en neurologie et réanimation, excluent clairement dans la survenue de cet accident cardiaque tout manquement aux règles de l'art de la part de l'équipe médicale du centre hospitalier de Doullens, aussi bien dans la prise en charge médicamenteuse par Loxapac de l'agitation et de l'intoxication présentées par M. E... à son admission, que de la détresse respiratoire par intubation-ventilation douze heures après son admission. S'agissant de l'intubation, ils ont précisé que l'induction anesthésique par Propofol, agent anesthésique intraveineux d'action rapide, n'était pas susceptible d'avoir entraîné un arrêt circulatoire et, aucune inhalation importante n'ayant été décrite, avant ou au moment de l'intubation, les micro-inhalations ne pouvaient être à l'origine d'un arrêt circulatoire juste après une intubation mais seulement d'une pneumopathie secondaire comme cela a été constaté. Il suit de là, qu'à supposer même que l'intubation ait connu des difficultés comme il est indiqué dans la note technique produite par M. E..., aucune faute dans la réalisation de cette intubation n'est démontrée et, en tout état de cause, en lien avec l'arrêt cardio-respiratoire qu'il a présenté. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise sur ce point, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'une faute médicale a été commise au centre hospitalier de Doullens, susceptible d'engager la responsabilité de cet établissement.
Sur le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :
4. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". Par ailleurs, en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
5. En l'absence de certitudes médicales permettant d'affirmer ou d'exclure qu'un dommage corporel survenu au cours ou dans les suites d'un acte de soins est imputable à cet acte, il appartient au juge, saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement des dispositions précitées, de se fonder sur l'ensemble des éléments pertinents résultant de l'instruction pour déterminer si, dans les circonstances de l'affaire, cette imputabilité peut être retenue.
6. Il résulte de ce qui vient d'être énoncé au point 3 du présent arrêt que l'anoxie cérébrale, à l'origine du dommage subi par M. E..., et secondaire à l'arrêt cardiaque survenu au décours de l'intubation du patient, ne peut être attribuée à une faute du centre hospitalier de Doullens. Si les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation en ont conclu que le dommage était la conséquence d'un " accident médical non fautif ", alors au demeurant qu'il n'appartient pas à un expert de se prononcer sur la qualification juridique des faits, ils ont précisé qu'aucun lien physiopathologique ne pouvait être retenu entre cet acte de soins réalisé au centre hospitalier et la complication survenue. Sur ce point, l'avis technique médico-légal produit par M. E... devant la cour, n'apporte aucun élément permettant d'imputer l'anoxie cérébrale à un acte de soins prodigué au centre hospitalier de Doullens. En outre, il résulte des conclusions expertales que les molécules volontairement absorbées, et notamment le Baclofène, qui peut être à l'origine d'une dépression respiratoire et cardiovasculaire, associées aux antécédents du patient, consistant en une addiction quotidienne importante au cannabis depuis sa majorité, un éthylisme chronique, une consommation de drogues dures et une obésité morbide, peuvent constituer une cause déterminante du dommage. Dans ces conditions, malgré le bref délai entre l'intubation et l'arrêt circulatoire survenu, aucune imputabilité du dommage à un acte de soins prodigué au centre hospitalier de Doullens ne peut être établie. Les requérants ne sont donc pas fondés à demander réparation au titre de la solidarité nationale.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. E..., Mme G... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E..., Mme G... et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., Mme F... G..., Mme A... D..., au centre hospitalier de Doullens, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.
Délibéré après l'audience publique du 5 avril 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Muriel Milard, première conseillère,
- Mme Anne Khater, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2022.
La rapporteure,
Signé : A. KhaterLa présidente de la formation de jugement,
Signé : A. Chauvin
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°21DA00720