Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de l'Eure a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) à lui verser une indemnité toutes taxes comprises de 689 168,85 euros.
Par un jugement n°1802051 du 17 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande du département de l'Eure et mis à sa charge définitive les frais des opérations d'expertise de M. B... A..., taxés et liquidés à la somme de 12 051,53 euros par ordonnance du 3 mai 2017.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 novembre 2020 et 17 novembre 2021, le département de l'Eure, représenté par Me Grzelczyk, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) à lui verser une indemnité toutes taxes comprises de 689 168,85 euros ;
3°) de mettre à la charge de la SMACL une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est propriétaire du mur litigieux ;
- ce mur doit être qualifié de " mur de soutènement ", à défaut d'être qualifié de mur de protection contre l'érosion marine impliquant la qualification de rempart, ou de mur de clôture de sorte qu'il est couvert par le contrat d'assurance conclu avec la SMACL;
- le lien de causalité entre les désordres constatés et la tempête Xinthia est avéré et aucun coefficient de vetusté n'est susceptible d'être appliqué.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 juillet et 26 novembre 2021, la SMACL, représentée par Me Stéphane Jacq-Moreau, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la fixation d'un coefficient de vétusté du mur de parement de 60 %, à titre infiniment subsidiaire de 40 % et de mettre à la charge du département de l'Eure une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- les conditions requises pour appliquer le contrat d'assurance ne sont pas réunies dès lors que, d'une part, le département de l'Eure ne justifie pas être propriétaire du mur litigieux, d'autre part, que ce mur ne peut être qualifié d'ouvrage d'art au sens du contrat, ni de " clôture " ni de " mur d'enceinte " et, enfin, que le lien de causalité entre les dommages et la tempête Xynthia n'est pas établi, l'insuffisance de l'ouvrage et son manque d'entretien apparaissant comme la cause déterminante des désordres ;
- en tout état de cause, la SMACL ne peut prendre en charge le coût de construction d'un ouvrage totalement différent du précédent et un coefficient de vétusté d'au moins 60 %, ou à titre infiniment subsidiaire de 40 %, doit être appliqué à l'indemnisation demandée ;
- les frais de l'expertise judiciaire demandée par le département ne peuvent être mis à sa charge.
Par une ordonnance du 19 novembre2021, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu au 21 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me Emilie Grzelczyk, représentant le département de l'Eure.
Une note en délibéré, enregistrée le 23 mars 2022, a été présentée pour le département de l'Eure.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de l'Eure est propriétaire du centre socio-éducatif " La Sapinière ", situé en bord de mer dans la commune d'Angoulins-sur-Mer en Charente-Maritime. Le domaine de la Sapinière surplombe une falaise rocheuse au pied de laquelle se trouve le rivage de la mer, falaise recouverte par un mur sur une longueur d'environ deux cents mètres. Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia a frappé le littoral atlantique et, en particulier, le domaine de la Sapinière, entraînant l'effondrement d'une partie du mur longeant la falaise.
2. Le département a déclaré le sinistre le 8 mars 2010 à son assureur, la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL). Par courrier du 6 octobre 2011, la SMACL a informé le département de son refus de le prendre en charge en considérant que le mur n'est ni un mur de soutènement ni un rempart et qu'il n'est dès lors pas couvert par le contrat d'assurance. Dans le cadre de la sécurisation du site contre les mouvements de terrain, le département a sollicité du bureau d'ingénieurs-conseils Géolithe un diagnostic et une étude de faisabilité géotechnique d'une protection contre les éboulements rocheux, dont il ressort du rapport remis le 10 novembre 2011 que le mur existant contribuait à la stabilité de la falaise à hauteur de 12 %. Par courrier du 2 décembre 2011, le mandataire du département a contesté le refus de son assureur de prendre en charge le dommage. La SMACL a alors sollicité du cabinet J. Boucard Consultants une expertise dont le rapport remis le 8 mars 2012 conclut que les caractéristiques du mur ne sont " pas compatibles avec la notion de mur de soutènement ". Par courrier du 4 avril 2012, la SMACL a confirmé son refus de prendre en charge le sinistre. Sur demande du département de l'Eure, le juge des référés du tribunal, par ordonnance du 5 juillet 2013, a ordonné une expertise afin notamment de déterminer si le mur possède une fonction de soutènement, de clôture ou de rempart de la falaise qu'il borde. Par ordonnance du 17 janvier 2014, le juge des référés a étendu la mission de l'expert à la question de la fonction d'enceinte susceptible d'être remplie par le mur. M. B... A..., expert désigné, a remis son rapport le 12 avril 2017. Se fondant sur les conclusions de cette expertise qui indique que " le mur exerce au sens sémantique une protection contre les vagues et à ce titre exerce une fonction de " rempart " ou de " soutènement " ", le département a adressé à son assureur par courrier du 18 décembre 2017 une nouvelle demande de prise en charge des dommages, demande qui a été implicitement rejetée.
3. Le département de l'Eure relève appel du jugement n° 1802051 du 17 septembre 2020, par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la SMACL à lui verser une indemnité de 689 168,85 euros TTC et a mis à sa charge définitive les frais des opérations d'expertise de M. B... A..., taxés et liquidés à la somme de 12 051,53 euros par ordonnance du 3 mai 2017.
4. Aux termes de l'annexe 10 au contrat relative à l'assurance des ouvrages d'art et de génie civil : " Sont seuls garantis : 2.1 - Ouvrages d'art : Les ponts, les couvertures de cours d'eau, les viaducs, les passerelles, les tunnels routiers et ferroviaires, les passages souterrains et autres ouvrages du réseau routier et autoroutier, les réservoirs et châteaux d'eau, les barrages de moins de 15 mètres de hauteur ainsi que les pontons, les remparts et murs de soutènement ne constituant pas l'accessoire d'un bâtiment. / Demeurent exclus : les couches d'usure du réseau routier et autoroutier, les glissières ou barrières de sécurité, les pistes d'aéroports et d'aérodromes ". Aux termes du 2° du titre C des conditions particulières du contrat : " il est convenu ce qui suit : (...) 2.6 - Que les garanties sont acquises pour tous les événements assurés sur les (...) clôtures et murs d'enceintes ".
5. Selon les différentes expertises amiables et judiciaire, le mur partiellement détruit par la tempête Xynthia, qui est situé au pied de la falaise qui borde au Sud et à l'Est le centre de vacances " le domaine de la Sapinière " dont le département est propriétaire, est composé de moellons rectangulaires en calcaires plaqués sur la falaise et recouvert par un enduit de ciment. Si sa construction date sans doute de la fin du XIXème siècle, il résulte de l'instruction et, notamment, de l'acte de vente que l'enduit en ciment a fait l'objet de réparation et a notamment été repris en 1970. Il est constant que ce mur assure une protection contre l'érosion et que son entretien est à la charge du propriétaire du domaine.
6. Il ne résulte pas de l'instruction que le mur en litige, qui ne comporte ni fondation, ni système de drainage, ait été spécialement édifié dans le but de retenir la poussée des terres sur lesquelles se situe le domaine de la Sapinière, ni qu'il aurait assuré un tel rôle de soutien, ce mur étant constitué d'un simple placage de moellons en calcaire sur la falaise sur lesquels a été ajoutée une couche de ciment. Dans ces conditions, et malgré le rôle de stabilisateur de la falaise qu'il a pu jouer, il ne peut être regardé comme un mur de soutènement tel que prévu parmi les ouvrages d'art assurés par l'article 10 du contrat d'assurance. La circonstance que le mur de remplacement a été conçu comme un tel ouvrage est à ce titre sans incidence. S'il est constant que ce mur assure la protection de la falaise contre l'érosion et l'action des vagues, ce simple parement de moellons ne remplit pas davantage de par sa forme et ses dimensions, les caractéristiques d'un rempart au sens de ces stipulations, ni de clôture au sens des conditions particulières citées au point 4. Il ne résulte pas non plus des pièces de la procédure de publicité et de mise en concurrence ayant précédé la conclusion du contrat d'assurance que les parties aient entendu assurer le mur bordant la propriété du domaine. Il suit de là que le département de l'Eure n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la SMACL à lui verser une indemnité de 689 168,85 euros TTC et mis à sa charge définitive les frais des opérations d'expertise de M. B... A..., taxés et liquidés à la somme de 12 051,53 euros par ordonnance du 3 mai 2017.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SMACL, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le département de l'Eure, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelant la somme demandée par la société intimée, au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du département de l'Eure est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société mutuelle d'assurance des collectivités locales présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Eure et à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales.
Délibéré après l'audience publique du 22 mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
Mme Muriel Milard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.
La présidente-rapporteure,
Signé : A. Chauvin
La présidente de chambre,
Signé : A Seulin
La greffière,
Signé : A.-S. Villette
La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°20DA01808