Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... F... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 3 novembre 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a confirmé la sanction de placement en cellule de confinement pour une durée de cinq jours prononcée à son encontre par la présidente de la commission disciplinaire du centre pénitentiaire de Liancourt le 2 octobre 2017.
Par un jugement n° 1800130 du 13 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 3 novembre 2017 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 août 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. F....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Deux notes en délibéré présentées pour M. F... ont été enregistrées les 23 et 28 juin 2021 et n'ont pas été communiquées.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., incarcéré au centre pénitentiaire de Liancourt depuis le 14 février 2017, a fait l'objet d'un compte-rendu d'incident le 1er septembre 2017 pour des faits survenus le 29 août 2017 consistant en une inscription représentant le drapeau de l'organisation islamiste terroriste " Daesh ", ainsi qu'une phrase en langue arabe, sur l'un des murs de la cour de promenade du quartier disciplinaire. Pour ces faits qualifiés de faute disciplinaire sur le fondement du 7° de l'article R. 57-7-3 du code de procédure pénale, la présidente de la commission de discipline de l'établissement a prononcé à l'encontre de M. F... une sanction de placement en cellule de confinement pour une durée de cinq jours. Le 12 octobre 2017, M. F... a formé un recours administratif préalable contre cette décision de sanction, à laquelle s'est substituée la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France du 3 novembre 2017 confirmant la sanction. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 13 mars 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a, à la demande de M. F..., annulé cette décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif d'Amiens :
2. Aux termes de l'article article 726 du code de procédure pénale : " Le régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté est déterminé par un décret en Conseil d'Etat. / Ce décret précise notamment (...) 3° La composition de la commission disciplinaire, qui doit comprendre au moins un membre extérieur à l'administration pénitentiaire (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-6 du même code : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. " L'article R. 57-7-8 du même code dispose que " le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire : " Le corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire comprend quatre grades : 1° Un grade de surveillant et surveillant principal qui comporte un échelon d'élève, un échelon de stagiaire et douze échelons ; les surveillants prennent le titre de surveillant principal lorsqu'ils atteignent le 6e échelon de leur grade ; 2° Un grade de surveillant brigadier qui comporte six échelons ; 3° Un grade de premier surveillant qui comporte six échelons ; 4° Un grade de major pénitentiaire qui comporte cinq échelons et un échelon exceptionnel. "
3. En l'espèce, par la décision litigieuse du 3 novembre 2017, le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a rejeté le recours dirigé contre la décision de la présidente de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Liancourt du 2 octobre 2017 prononçant le placement en cellule de confinement pour une durée de cinq jours de M. F.... Le registre des sanctions édicté à l'issue de cette commission fait apparaître, outre l'identité et la signature de la directrice des services pénitentiaires, présidente de la commission de discipline et de l'assesseur extérieur, la signature du premier assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement ainsi que son grade de " surveillant " et les premières lettres de son prénom et de son nom de famille. Ce document permet ainsi de s'assurer de la présence d'un premier assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. En outre, aucune disposition, ni aucun principe n'impose que la décision par laquelle le président de la commission de discipline désigne les assesseurs choisis parmi les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement revête une forme particulière ou soit publiée. Dans ces conditions, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens s'est fondé sur l'irrégularité de la composition de la commission de discipline pour annuler la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France du 3 novembre 2017.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... devant le tribunal administratif d'Amiens.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
5. Aux termes de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale : " La personne détenue qui entend contester la sanction prononcée à son encontre par la commission de discipline doit, dans le délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur interrégional des services pénitentiaires préalablement à tout recours contentieux. Le directeur interrégional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. " Il résulte de ces dispositions que le recours ouvert aux détenus pour contester devant le directeur interrégional des services pénitentiaires les sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre par la commission de discipline de l'établissement constitue un recours préalable obligatoire. Il suit de là que la décision prise sur un tel recours par le directeur interrégional se substitue à la sanction initialement prononcée et est seule susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Eu égard aux caractéristiques de la procédure suivie devant la commission, cette substitution ne saurait toutefois faire obstacle à ce que soient invoquées, à l'appui d'un recours dirigé contre la décision du directeur interrégional, les éventuelles irrégularités de la procédure suivie devant la commission de discipline préalablement à la décision initiale.
6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline. " L'article R. 57-7-14 du même code prévoit : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline (...) ".
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le compte-rendu d'incident a été rédigé par le major Bruno Codevelle, que le rapport d'enquête a été rédigé par le lieutenant Fabien Muller et, ainsi qu'il a été dit, que le surveillant qui a siégé à la commission de discipline porte les initiales F. (prénom) C. (nom de famille), qui ne correspondent à aucun des deux agents mentionnés ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de ce que le rédacteur du compte-rendu d'incident ou celui du rapport d'enquête aurait siégé en qualité d'assesseur à cette commission ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale : " (...) L'autorité compétente peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires. "
9. Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutient M. F..., la présidente de la commission de discipline a pu légalement, afin d'empêcher, pour des raisons de sécurité, l'identification du surveillant assesseur ayant siégé à la commission, se borner à mentionner sur le registre des décisions de la commission les initiales de son prénom et de son nom de famille.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-15 du code de procédure pénale : " Le chef d'établissement ou son délégataire apprécie, au vu des rapports et après s'être fait communiquer, le cas échéant, tout élément d'information complémentaire, l'opportunité de poursuivre la procédure. Les poursuites disciplinaires ne peuvent être exercées plus de six mois après la découverte des faits reprochés à la personne détenue. " Aux termes de l'article R. 57-7-5 du même code : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un fonctionnaire appartenant à un corps de catégorie A ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier que la décision par laquelle il a été décidé d'engager des poursuites à l'encontre de M. F... a été signée par M. I... G..., directeur adjoint de l'établissement pénitentiaire de Liancourt, à qui la directrice de cet établissement avait consenti une délégation de signature à cet effet par une décision du 24 juillet 2017, publiée le 11 août 2017 au recueil des actes administratifs spécial de l'Oise. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n'a pas la même portée à l'égard des tiers qu'un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, sa publication au recueil des actes administratifs, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, a constitué une mesure de publicité suffisante pour rendre les effets de la délégation de signature opposables aux tiers, notamment à l'égard des détenus de l'établissement pénitentiaire. Par, suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée a été signée par une autorité incompétente doit être écarté.
12. En quatrième lieu, si M. F... soutient que le rapport d'enquête et la décision de poursuite sont datés du même jour à la même heure, il ressort des pièces du dossier et il n'est, au demeurant, pas contesté par l'intéressé qu'il s'agit d'une erreur du logiciel " Genesis ", le rapport d'enquête étant en date du 5 septembre 2017 ainsi qu'il ressort de la décision de poursuite et non du 12 septembre 2017, date de la décision de poursuite. Par suite, le moyen tiré de la concomitance de ce rapport et de cette décision ne peut qu'être écarté.
13. En cinquième lieu, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et doivent être regardées de ce fait comme portant sur des contestations sur des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer, à l'encontre de la décision attaquée, la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-8 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors applicable : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs (...). / Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance. "
15. En l'espèce, le garde des sceaux, ministre de la justice produit la décision de la présidente du tribunal de grande instance de Beauvais en date du 3 novembre 2015 nommant M. C... B... en qualité de membre de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Liancourt. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la nomination du second assesseur de cette commission doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
16. La décision litigieuse est fondée sur une inscription, imputée à M. F..., sur le mur de la cour de promenade n° 2 représentant un drapeau de l'organisation islamiste terroriste " Daesh " accompagnée d'une phrase en langue arabe. Le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que M. F... aurait procédé à cette inscription au cours de sa promenade le 29 août 2017. Si M. F... soutient que le témoignage du détenu Habib D..., attestant avoir vu l'inscription en cause dès le 22 août 2017, avait été porté à son dossier puis égaré par la direction de l'établissement et qu'il produit le témoignage d'un autre détenu, M. A... H..., attestant avoir entendu M. D... soutenir qu'il avait vu cette inscription à cette même date, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. D... n'a produit aucun témoignage, ayant désiré se rétracter et, d'autre part, que la cour n° 2 est inspectée avant et après chaque promenade de détenu, rendant ainsi hautement improbable la présence des inscriptions litigieuses depuis le 22 août 2017, l'administration pénitentiaire attestant au demeurant avoir inspecté la cour préalablement à la promenade de M. F... le 29 août 2017 et n'y avoir pas remarqué lesdites inscriptions. Par suite, le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits ne peut qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 3 novembre 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a confirmé la décision du 2 octobre 2017 de la présidente de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Liancourt. Il y a, par suite, lieu de rejeter la demande de M. F..., ensemble les conclusions relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens dont elle est assortie.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800130 du 13 mars 2020 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... F... devant le tribunal administratif d'Amiens et ses conclusions devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. E... F... et à Me Benoit David.
Copie sera adressée à la directrice de l'établissement pénitentiaire de Liancourt et au directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France.
N°20DA01224 6