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02/02/2021 | FRANCE | N°19DA01838

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (ter), 02 février 2021, 19DA01838


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 421 971 euros, augmentée des intérêts de droit à compter de la réception de sa demande préalable, avec capitalisation de ces intérêts, en indemnisation du préjudice subi du fait de l'inertie de l'administration dans la gestion de sa situation administrative et de l'illégalité de la décision du 22 décembre 2006 portant retrait de son affectation en médecine générale dans la subdivision de Li

lle, outre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 421 971 euros, augmentée des intérêts de droit à compter de la réception de sa demande préalable, avec capitalisation de ces intérêts, en indemnisation du préjudice subi du fait de l'inertie de l'administration dans la gestion de sa situation administrative et de l'illégalité de la décision du 22 décembre 2006 portant retrait de son affectation en médecine générale dans la subdivision de Lille, outre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1603156 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 25 543,25 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2015 et capitalisation à compter du 22 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure, ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête en appel et un mémoire, enregistrés le 1er août 2019 et le 15 décembre 2020, M. A..., représenté par Me C... D... demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 421 971 euros, augmentée des intérêts de droit à compter de la réception de sa demande préalable, avec capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2004-67 du 16 janvier 2004 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Khater, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui a validé le deuxième cycle des études de médecine à l'issue de l'année universitaire 2004-2005, a renoncé au bénéfice des épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au troisième cycle au titre de l'année 2005-2006. A l'issue des épreuves classantes nationales anonymes au titre de l'année 2006-2007, il a été affecté en médecine générale dans la subdivision de Lille par un arrêté du ministre de la santé et des solidarités en date du 30 septembre 2006. Mais par un arrêté en date du 22 décembre 2006, le ministre de la santé et des solidarités a procédé au retrait de cette affectation au motif que l'intéressé devait être regardé comme démissionnaire. Par un jugement n° 1006972 du 25 mai 2011, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et, en exécution de ce jugement, M. A... a été réintégré en qualité d'interne au sein de la subdivision de Lille à compter du 1er novembre 2011. Le 18 décembre 2015, il a présenté au ministre des solidarités et de la santé une demande en indemnisation du préjudice subi à raison de l'inertie de l'administration qui ne l'a pas tenu informé de ce qu'il était envisagé de retirer son affectation et de l'illégalité de l'arrêté du 22 décembre 2006. Cette demande a été implicitement rejetée. Par un jugement n° 1603156 du 20 juin 2019, dont il est relevé appel par M. A..., le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à lui verser la somme de 25 543,25 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2015 et capitalisation à compter du 22 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure, ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau."

3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, par le rapporteur de l'affaire et par le greffier d'audience. Le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier, faute de comporter les signatures prévues aux articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative, manque donc en fait et doit être écarté.

4. En second lieu, il relève de l'office du juge d'apprécier au regard de l'ensemble des éléments du dossier s'il existe un lien de causalité entre les fautes constatées et les préjudices allégués par le requérant ainsi que la réalité et l'étendue de ces préjudices. Par suite, le tribunal, en se fondant sur la circonstance que M. A... aurait pu se présenter à nouveau aux épreuves classantes nationales anonymes dès l'année 2007-2008, n'a pas soulevé d'office un moyen de défense et n'a ainsi pas entaché son jugement d'irrégularité, pour méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure rappelée à l'article L. 5 du code de justice administrative.

Sur l'acquiescement aux faits :

5. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. " La cour a adressé le 4 février 2020 au ministre des solidarités et de la santé une mise en demeure de produire des observations en défense dans un délai de deux mois. En l'absence de réponse à cette mise en demeure, le ministre des solidarités et de la santé doit être regardé comme ayant acquiescé aux faits exposés dans la requête de M. A.... Cependant, cet acquiescement se limite à l'établissement des faits qui n'auraient pas été contestés dans le mémoire en défense de première instance du ministre des solidarités et de la santé en date du 6 octobre 2016 et qui ne seraient pas contredits par les autres pièces du dossier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

6. M. A... soutient que l'Etat a engagé sa responsabilité à son égard à raison, d'une part, de l'illégalité fautive entachant l'arrêté en date du 22 décembre 2006 par lequel le ministre des solidarités et de la santé a annulé son affectation à l'issue des épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au troisième cycle des études médicales au titre de l'année universitaire 2006-2007 et, d'autre part, de l'inertie de l'administration dans la gestion de sa situation administrative. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges au point 2 du jugement attaqué, de juger que la responsabilité de l'Etat est engagée à raison de l'illégalité fautive entachant l'arrêté du 22 décembre 2006 mais pas en raison de l'inertie de l'administration dans la gestion de sa situation administrative.

En ce qui concerne la réparation des préjudices subis :

7. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2004-67 du 16 janvier 2004 relatif à l'organisation du troisième cycle des études médicales, alors en vigueur : " Peuvent accéder au troisième cycle des études médicales : / - les étudiants ayant validé le deuxième cycle des études médicales en France ; (...) ". Aux termes de l'article 4 de ce même décret : " Des épreuves classantes nationales anonymes permettent à tous les candidats mentionnés à l'article 1er du présent décret d'obtenir une affectation en qualité d'interne. (...) ". L'article 7 dispose que : " Les candidats se présentent aux épreuves mentionnées à l'article 4 dès l'année universitaire durant laquelle ils peuvent valider le deuxième cycle des études médicales. Ils ne peuvent effectuer que deux fois le choix prévu à l'article 10 : / - la première fois au cours de l'année universitaire durant laquelle ils remplissent les conditions prévues à l'article 1er. / - la deuxième fois l'année universitaire suivante. / L'interne ayant obtenu une première affectation et désirant bénéficier d'un deuxième choix doit avoir exercé ses fonctions dans la discipline acquise à l'issue du premier choix. Il doit faire connaître, avant la fin du premier semestre de fonctions, son intention de renoncer au bénéfice des premières épreuves classantes nationales. Dans cette hypothèse, les résultats obtenus au cours de la deuxième tentative se substituent à ceux obtenus au cours de la première. (...) ". Et selon l'article 10 de ce décret : " La procédure nationale de choix de la discipline et du centre hospitalier universitaire de rattachement est organisée en fonction du rang de classement obtenu par le candidat selon des modalités fixées par arrêtés des ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur. (...) ".

8. Il résulte des principes énoncés ci-dessus que le retrait par le ministre des solidarités et de la santé de l'affectation de M. A... à l'issue des épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au troisième cycle des études médicales au titre de l'année universitaire 2006-2007, a entraîné pour M. A... un retard à poursuivre et achever ses études de médecine jusqu'à ce que, en exécution du jugement n°1006972 du tribunal administratif de Lille du 25 mai 2011, M. A... ait été réintégré en qualité d'interne au sein de la subdivision de Lille à compter du 1er novembre 2011. M. A... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont limité son préjudice à une seule année de retard à poursuivre ses études de médecine.

S'agissant du préjudice économique :

9. Il résulte de l'instruction qu'en annulant l'affectation de M. A... à l'issue des épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au troisième cycle des études médicales au titre de l'année universitaire 2006-2007, le ministre de la santé et des solidarités a privé l'intéressé d'une chance d'effectuer son internat du mois d'octobre 2006 jusqu'à la fin de l'année 2009.

10. Au titre de cette première période, M. A... aurait dû percevoir, en tant qu'interne des hôpitaux, ainsi qu'il résulte des pièces qu'il produit et notamment des données statistiques relatives au salaire des internes de médecine générale, parus à la documentation française, les sommes de 31 291 euros net entre octobre 2006 et décembre 2007, 26 485 euros net au titre de l'année 2008 et 28 632 euros net au titre de l'année 2009. Toutefois, bien qu'invité à produire tous justificatifs des aides sociales qu'il allègue avoir perçues pour seules ressources, au titre des années 2006 à 2012, M. A... s'est borné à produire une attestation sur l'honneur des sommes perçues à ce titre pendant cette période en faisant valoir qu'il n'avait pas procédé à la déclaration de ses revenus auprès de l'administration fiscale jusqu'en 2012. Cette dernière circonstance ne le privait en tout état de cause pas de la possibilité de produire les relevés des organismes sociaux ayant procédé au versement desdites aides, alors même qu'il y avait été invité. Dans ces conditions, faute de justifier de la réalité de son préjudice économique au titre des années 2006 à 2009, les conclusions indemnitaires de M. A... au titre de la période considérée doivent être rejetées.

11. Au titre de la période courant à compter de la fin de l'année 2009 jusqu'en 2012, M. A... a été privé, par la faute de l'administration, d'une chance d'achever son internat à la fin de l'année 2009 et de percevoir à compter de l'année suivante des revenus tirés de son activité médicale alors même qu'il n'aurait pas obtenu immédiatement son diplôme de docteur en médecine, ce diplôme n'ayant été obtenu qu'en mai 2018. Il résulte de l'instruction qu'une fois son internat achevé, M. A... a exercé les fonctions de praticien contractuel aux urgences du centre hospitalier de Denain et que, dans ce cadre, bien que n'étant pas encore docteur en médecine, il a, selon son avis d'imposition des revenus de 2016, perçu un revenu annuel de 58 638 euros. Il s'ensuit que M. A... pouvait espérer percevoir un revenu annuel de 58 638 euros à compter de l'année 2010, une fois son internat achevé. Toutefois, si M. A... fait valoir que jusqu'en novembre 2012, il a perçu pour seuls revenus l'aide sociale, comme pour la période précédente, il n'en justifie pas par la seule production d'une attestation sur l'honneur alors qu'il a été invité par la cour à produire tous justificatifs des aides sociales qu'il allègue avoir perçues jusqu'en 2012. Dans ces conditions, faute de justifier de la réalité de son préjudice économique pour les années 2009 à 2012, les conclusions indemnitaires de M. A... au titre de la période considérée doivent être rejetées.

12. A compter de la fin de l'année 2012 jusqu'au mois d'octobre 2015, M. A... justifie avoir perçu, en tant qu'interne des hôpitaux, au titre des mois de novembre et décembre 2012, la somme de 3 030,45 euros, puis la somme de 24 833 euros en 2013, 25 329 euros en 2014 et 20 582 euros jusqu'en octobre 2015, soit au total pour la période considérée la somme de 73 774,45 euros. Or, ainsi qu'il a été dit au point 11 du présent arrêt, pour cette période, M. A... pouvait espérer percevoir un revenu annuel de 58 638 euros, soit une somme totale sur la période considérée de 175 914 euros. Toutefois, M. A... a également été invité à produire ses avis d'imposition sur le revenu jusqu'à l'année 2015 incluse. En s'abstenant de produire ses avis d'imposition au titre des années 2012 à 2015 incluse, alors qu'il ne soutient d'ailleurs pas avoir omis de déclarer ses revenus à compter de l'année 2012, M. A... ne justifie pas de la réalité de son préjudice économique. Les conclusions indemnitaires de M. A... au titre de la période considérée doivent donc être rejetées.

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

13. Le retrait illégal de son affectation à l'issue des épreuves classantes nationales donnant accès au troisième cycle des études médicales a empêché M. A... de poursuivre sa formation pendant près de cinq années et a donc entraîné des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice moral, dont il peut être fait une juste appréciation pour l'ensemble de la période à hauteur de la somme globale de 6 000 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à lui verser la somme de 25 543,25 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2015 et capitalisation à compter du 22 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des solidarités et de la santé.

5

N°19DA01838


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 19DA01838
Date de la décision : 02/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité. - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Anne Khater
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : BOUKHELOUA

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-02-02;19da01838 ?
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