Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 mai 2019 et le 13 novembre 2020, la société MSE Les Dunes, représentée par Me A... M..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 22 mars 2019 par lequel le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande de permis de construire un parc composé de six éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... L..., première conseillère,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me A... M..., représentant la société MSE Les Dunes, et de Me N... H..., représentant l'Association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du Soissonnais et autres.
Une note en délibéré présentée par la société MSE Les Dunes a été enregistrée le 15 janvier 2021.
Considérant ce qui suit :
1. La société MSE Les Dunes a déposé, le 25 avril 2013, une demande de permis de construire un parc composé de dix éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy dans l'Aisne. Une décision implicite de rejet est née le 3 juin 2014. Elle a été annulée par un jugement du 25 avril 2017 du tribunal administratif d'Amiens qui a enjoint au préfet de l'Aisne de réexaminer la demande de la société MSE Les Dunes. Celle-ci a confirmé sa demande de permis de construire puis a modifié son projet, qui consiste désormais en la construction de six éoliennes. Par un arrêté du 22 mars 2019, le préfet de l'Aisne a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée.
Sur l'intervention collective de l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, de la commune de Droizy, de la commune de Grand-Rozoy, de la commune de Launoy, de M. et Mme K..., de M. et Mme E..., de M. F..., de Mme D..., de M. et Mme O... et de M. et Mme I... :
2. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / (...) / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'implantation des aérogénérateurs en litige est prévue sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy. Dès lors, celle-ci justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision de refus attaquée. Ainsi, son intervention, qui tend aux même fins que les conclusions présentées par la ministre de la transition, est recevable. Par suite, l'intervention collective qui est signée par au moins un demandeur ayant un intérêt suffisant pour agir, est recevable.
Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du préfet de l'Aisne :
4. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol (...) régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation (...) confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire ".
5. Le préfet de la région Picardie était l'autorité dont a émané la décision tacite du 3 juin 2014 annulée par le jugement sus-évoqué du tribunal administratif d'Amiens, en vertu de son pouvoir d'évocation prévu à l'article 2 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements. Cependant, ni les dispositions précitées de l'article L. 600-2, qui concerne les règles de fond applicables et non les règles relatives à la procédure ou à l'autorité compétente, ni aucune autre disposition ou principe ne donnent compétence au préfet de région pour statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société MSE Les Dunes, dès lors qu'à la date du réexamen de la demande, et en vertu des dispositions du b) l'article R. 422-2 du code de l'urbanisme, le préfet de département est compétent pour délivrer notamment les permis de construire relatifs aux ouvrages de production d'énergie lorsque cette énergie n'est pas destinée, principalement, à une utilisation directe par le demandeur. Par suite, quand bien même le tribunal a enjoint au préfet de la région Hauts-de-France de procéder au réexamen de la demande de permis de construire, cette injonction n'a eu ni pour objet ni pour effet de déroger aux règles de compétence applicables dans le cadre du réexamen de la demande. Le préfet de l'Aisne était donc compétent pour prendre l'arrêté en litige.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'une nouvelle instruction :
6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
7. Il est constant que la consultation de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ainsi que du service départemental de l'architecture et du patrimoineétait facultative. Cependant, leurs avis défavorables, émis lors de la première instruction de la demande de permis de construire, ont été visés dans l'arrêté attaqué.
8. D'une part, si le service départemental de l'architecture et du patrimoine n'a pas été consulté à nouveau dans le cadre de la nouvelle instruction de la demande de permis de construire ramenée à six éoliennes, il l'a été dans le cadre de la demande d'exploitation et a émis à nouveau un avis défavorable. Dans ces conditions, l'absence d'un nouvel avis de ce service dans le cadre de la demande modifiée de permis de construire n'a pu priver la pétitionnaire d'une garantie, ni avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise par le préfet.
9. D'autre part, dès lors que le préfet a refusé le permis de construire sollicité en raison d'atteintes portées par le projet à des monuments et paysages et que l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement portait sur la qualité environnementale du projet, l'absence d'un nouvel avis de cette direction dans le cadre de la demande modifiée de permis de construire n'a pas davantage pu priver la pétitionnaire d'une garantie, ou avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise par le préfet.
10. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure faute pour le préfet d'avoir sollicité de nouveaux avis facultatifs du service départemental de l'architecture et du patrimoine et de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la situation de compétence liée dans laquelle se serait cru le préfet :
11. Si, pour rejeter la demande de la société MSE Les Dunes sur le fondement de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, le préfet de l'Aisne s'est approprié les motifs d'un avis émis le 17 juin 2016 par l'autorité environnementale dans le cadre de la demande d'exploitation du même projet, cette circonstance n'est pas de nature à établir qu'il se serait estimé lié par cet avis, qu'au demeurant il ne vise pas dans l'arrêté attaqué.
En ce qui concerne le moyen tiré d'une insuffisante motivation de l'arrêté :
12. L'arrêté attaqué, qui vise les textes dont il fait application, indique clairement que le parc éolien projeté est composé de six éoliennes, d'une hauteur de 130 mètres en bout de pale. Il décrit également le site d'implantation du projet, notamment ses caractéristiques physiques, ainsi que les différents éléments qui le marquent tels les églises protégées de Grand-Rozoy, Droizy et Beugneux, le donjon protégé de Droizy, la vallée de la Crise ou la Butte Chalmont où prend place le monument commémoratif de la seconde bataille de la Marne. Il étudie ensuite l'impact du projet sur ce site, faisant état notamment d'une covisibilité très dommageable au lieu de mémoire de la Butte Chalmont. Dans ces conditions, quand bien même le préfet n'a pas étudié séparément l'impact de chaque éolienne, le moyen tiré d'une motivation insuffisante de l'arrêté attaqué doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :
13. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".
14. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
En ce qui concerne la qualité du site d'implantation :
15. Les éoliennes projetées prendraient place sur une ligne de crête, relief étroit dominant sur une dizaine de kilomètres le paysage alentour, composé de champs cultivés, d'espaces boisés plus ou moins importants et de villages, vierge de pylônes ou autres hautes constructions humaines à l'exception de monuments tels clochers ou donjon. Les villages recèlent plusieurs bâtiments protégés au titre des monuments historiques. A environ 3 kilomètres au sud du projet, la Butte Chalmont domine les lieux où s'est déroulée la seconde bataille de la Marne de mai à août 1918, en particulier la Plaine de Saponay, et a été choisie par le maréchal Foch pour accueillir l'oeuvre monumentale commémorative " les Fantômes ", réalisée par le sculpteur Paul Landowski. Cette oeuvre, classée monument historique en 1934 avant même son inauguration en 1935, contribue à caractériser un paysage remarquable qui doit être préservé.
En ce qui concerne l'impact du projet :
16. D'une part, comme l'indique le préfet, l'église de Beugneux est un monument historique classé depuis 1922. Si les éoliennes se trouvent à une distance voisine de 2 kilomètres du centre du village, il résulte des pièces du dossier que, comme le relève d'ailleurs la note paysagère complémentaire en date de novembre 2016, depuis la route départementale 2 en entrée Est de Beugneux, deux éoliennes ont les pales qui s'inscrivent en arrière du clocher de l'église dans un même rapport d'échelle. En ce point, elles concurrencent directement le monument historique, dans une covisibilité qui altère profondément le clocher, l'une des éoliennes lui donnant l'aspect d'une sorte de moulin.
17. D'autre part, le site mémoriel de la Butte Chalmont s'appréhende au long d'un parcours composé de trois ensembles. A l'entrée, une statue féminine représente la France, puis, un cheminement ascendant, rythmé par quatre escaliers constitués de quatre marches et se terminant par un escalier monumental, mène à un ensemble de granit rose représentant huit types de soldats cherchant leurs camarades tombés au combat. Il ressort des pièces du dossier que si elles sont distantes de 3 kilomètres de la Butte Chalmont, les éoliennes érigées sur une ligne de crête plus élevée que la Butte Chalmont, seront visibles depuis deux endroits de ce site mémoriel de portée nationale : à l'entrée du site, depuis le bas de la Butte, deux éoliennes feraient face aux visiteurs avant qu'ils ne se tournent pour gravir la butte, et surtout parvenus en haut près de la sculpture, les visiteurs pourraient distinctement voir le parc entier, même s'il ne se trouve pas dans la direction regardée par " les Fantômes ". Alors que ce lieu de mémoire se conçoit en interaction avec le paysage préservé avoisinant, ces confrontations visuelles fortes sont de nature à lui porter une atteinte grave, en troublant la quiétude et le recueillement qui y sont associés. Dans ces conditions, et alors d'ailleurs qu'il n'est pas contesté que le schéma paysager éolien de l'Aisne a identifié un périmètre de vigilance de 10 kilomètres autour de la butte, et que le service départemental de l'architecture et du patrimoine, mais aussi l'autorité environnementale et le commissaire enquêteur lors de l'instruction de la demande d'autorisation d'exploitation, ont tous émis des avis défavorables au projet, le préfet de l'Aisne, qui aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur les seules atteintes portées à la Butte Chalmont et à l'église de Beugneux, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant l'autorisation sollicitée au motif qu'elle porte atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux et méconnaît ainsi les dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.
18. Il résulte de ce qui précède que la société MSE Les Dunes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande de permis de construire. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation, et, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, de la commune de Droizy, de la commune de Grand-Rozoy, de la commune de Launoy, de M. et Mme K..., de M. et Mme E..., de M. F..., de Mme D..., de M. et Mme O... et de M. et Mme I... est admise.
Article 2 : La requête de la société MSE Les Dunes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... M... pour la société MSE Les Dunes, à la ministre de la transition écologique, à Me N... H... pour l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, la commune de Droizy, la commune de Grand-Rozoy, la commune de Launoy, M. et Mme C... K..., M. et Mme Q... E..., M. E... F..., Mme P... D..., M. et Mme B... O... et M. et Mme J... I....
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Aisne.
N°19DA01158 2