Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme, société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN), a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 869 euros, hors taxes, avec intérêts aux taux légal à compter du 26 juillet 2017 et capitalisation de ceux-ci, en indemnisation des préjudices subis du fait du blocage de l'autoroute A 29 du 17 au 20 mai 2016 par des manifestants.
Par un jugement n° 1703060 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 mai 2019, les 23 janvier et 9 juin 2020, la société anonyme, société des autoroutes Paris-Normandie, représentée par Me C... B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 869,55 euros, hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2017 et capitalisation des intérêts en indemnisation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code pénal ;
- le code de la route ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me D... A..., représentant la société autoroutes Paris-Normandie.
Une note en délibéré présentée par Me B... pour la société des autoroutes Paris Normandie a été enregistrée le 9 décembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. Du 17 au 20 mai 2016, des manifestants ont bloqué un carrefour giratoire situé à hauteur de la sortie n° 5 de l'autoroute A 29 dans le cadre d'un mouvement de revendication à échelle nationale portant sur la loi du 8 août 2016 dite " loi travail ". A l'occasion de cette manifestation, des équipements appartenant à la société des autoroutes Paris-Normandie ont subi des dégradations. Estimant que la responsabilité sans faute de l'Etat était engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure du fait des dommages que lui a causé ce blocage, la société des autoroutes Paris-Normandie a saisi le préfet de la Seine-Maritime le 20 juillet 2017 d'une demande indemnitaire préalable, réceptionnée le 26 juillet 2017, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 26 septembre 2017. La société des autoroutes Paris-Normandie relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 412-1 du code de la route : " Le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende. (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.
3. Du 17 au 20 mai 2016, des individus manifestant contre la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation et au dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ont installé un barrage filtrant afin de bloquer le carrefour giratoire situé à hauteur de la sortie n° 5 de l'autoroute A 29. Il résulte de l'instruction que les manifestants ont empêché le passage de tout véhicule durant cette période au moyen de barrières de pneus et de palettes volontairement embrasées et, sans que cela soit d'ailleurs contesté, ils se sont ainsi rendus coupables du délit d'entrave à la circulation, sanctionné par les dispositions précitées de l'article L. 412-1 du code de la route. Pendant les quatre journées de manifestations, des dégradations ont également été commises aux biens dès lors qu'un câble haute tension de l'autoroute a été endommagé après que les manifestants aient allumé un incendie, des tags ont notamment été inscrits sur les glissières en béton de l'autoroute ainsi que sur de nombreux panneaux et dispositifs de signalisation et une barrière a également été vandalisée. Ces dégradations commises sur des biens destinés à l'utilité publique appartenant à une personne chargée d'une mission de service public, sont constitutives des délits prévus aux articles 322-1 et 322-3 du code pénal.
4. Il résulte de l'instruction que le blocage routier et les dégradations commises sur la voie publique à l'occasion de ces manifestations présentaient un caractère organisé et prémédité. Ces dégradations, survenues dans un contexte de revendication nationale, à l'appel de syndicats, n'ont toutefois pas été commises par un groupe qui se serait constitué et organisé dans le seul but de commettre des délits, sans lien avec la manifestation contre la loi susvisée. Par conséquent, ces agissements sont de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Par suite, la société des autoroutes Paris-Normandie est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les préjudices :
5. Il résulte de l'instruction et, notamment, des factures datées du 31 juillet 2016, 29 septembre 2016, 29 mars 2017 et du 23 mai 2017, sans que cela soit sérieusement contesté, que le coût du remplacement des panneaux de signalisation endommagés, de la barrière vandalisée, du câble haute tension ainsi que celui du nettoyage des tags s'élève à la somme de 11 089,45 euros hors taxes. En outre, la société des autoroutes Paris-Normandie a dû exposer des frais supplémentaires de mobilisation de son personnel et de son matériel à hauteur de 8 780,10 euros hors taxe pour protéger les ouvrages autoroutiers, comme cela ressort des différents comptes rendus journaliers versés à l'instance. Par suite, il y a lieu de condamner l'Etat à verser la somme de 19 869,55 euros hors taxes à la société des autoroutes Paris-Normandie.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
6. La société des autoroutes Paris-Normandie a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 19 869,55 euros à compter du 26 juillet 2017, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par le préfet de la Seine-Maritime.
7. La capitalisation des intérêts a été demandée par la requête introductive d'instance enregistrée le 4 octobre 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 4 octobre 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société des autoroutes Paris-Normandie et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703060 du 11 avril 2019 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société anonyme société des autoroutes Paris-Normandie la somme de 19 869,55 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 26 juillet 2017. Les intérêts échus à la date du 4 octobre 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à la société anonyme société des autoroutes Paris-Normandie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme société des autoroutes Paris-Normandie et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA01189 2