Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le GAEC du Chemin vert, M. A... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 7 juin 2016 par lequel la préfète du Pas-de-Calais a accordé à M. F... B... l'autorisation d'exploiter, au sein de l'EARL des Bruyères, une superficie de 11 hectares 32 ares 30 centiares de terres situées sur la commune de Sailly-au-Bois sous la condition suspensive d'obtention de son diplôme de brevet professionnel lui conférant la capacité professionnelle requise par les dispositions de l'article R. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.
Par un jugement n° 1608955 du 13 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a fait droit à leur demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 14 août 2019, sous le n° 19DA01919, l'EARL des Bruyères, M. C... B... et M. F... B..., représentés par Me G... E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par le GAEC du Chemin vert et autres devant le tribunal administratif de Lille ;
3°) de mettre à la charge du GAEC du Chemin vert et autres une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- la demande présentée par le GAEC du Chemin vert et les autres requérants devant les premiers juges était doublement irrecevable en raison de sa tardiveté faute pour les requérants de justifier de la réception de leur recours gracieux et en raison du défaut d'intérêt à agir de MM. A... et D... B... ;
- l'arrêté du 7 juin 2016 attaqué n'est entaché d'aucune erreur de droit dès lors que la condition fixée quant à l'obtention par M. F... B... du diplôme du brevet professionnel agricole a été remplie.
Par un mémoire, enregistré le 13 mai 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut aux mêmes fins que sa requête pendante devant la cour enregistrée sous le n° 19DA02461.
La requête a été communiquée au GAEC du Chemin vert et à MM. A... et D... B..., qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
II. Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2019, sous le n° 19DA02461, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par le GAEC du Chemin vert et les autres requérants devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 29 octobre 2012 portant définition de listes de diplômes, titres et certificats pour l'application des articles L. 331-2 (3°), R. 331-1 et D. 343-4 du code rural et de la pêche maritime modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de son installation au sein de l'EARL des Bruyères, M. F... B..., né le 4 janvier 1983, a demandé l'autorisation d'exploiter une superficie de 11 hectares 32 ares 30 centiares de terres situées sur la commune de Sailly-au-Bois provenant de l'exploitation du GAEC du Chemin vert. Malgré un avis défavorable émis par la commission départementale d'orientation de l'agriculture le 24 mai 2016, la préfète du Pas-de-Calais a, par un arrêté du 7 juin 2016, délivré à M. F... B... l'autorisation d'exploiter les terres demandées sous la condition suspensive d'obtention de son diplôme de brevet professionnel lui conférant la capacité professionnelle requise par les dispositions de l'article R. 331-1 du code rural et de la pêche maritime. L'EARL des Bruyères, MM. C... et F... B... et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relèvent appel du jugement du 13 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande du GAEC du Chemin vert et de MM. A... et D... B..., annulé cette autorisation, ensemble la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.
2. Les requêtes n° 19DA01919 et n° 19DA02461 présentées pour l'EARL des Bruyères, MM. C... et F... B... et par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation présentent à juger des questions semblables et sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande (...) L'autorisation peut n'être délivrée que pour une partie de la demande, notamment si certaines des parcelles sur lesquelles elle porte font l'objet d'autres candidatures prioritaires. Elle peut également être conditionnelle ou temporaire. ". Aux termes de l'article R. 331-1 du même code : " Satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au 3° de l'article L. 331-2 le candidat à l'installation, à l'agrandissement ou à la réunion d'exploitations agricoles qui justifie, à la date de l'opération : / 1° Soit de la possession d'un diplôme ou certificat d'un niveau reconnu équivalent au brevet d'études professionnelles agricoles (BEPA) ou au brevet professionnel agricole (BPA) / (...) ". Aux termes de l'article D. 343-4 de ce code : " Pour être admis au bénéfice des aides mentionnées à l'article D. 343-3, le jeune agriculteur doit répondre aux conditions générales suivantes : / (...) / 4° Sous réserve de la dérogation prévue à l'article D. 343-4-1, justifier à la date de son installation d'une capacité professionnelle agricole : / a) Attestée par la possession d'un diplôme ou d'un titre homologué de niveau égal ou supérieur : / (...) / -pour les candidats nés à compter du 1er janvier 1971, au baccalauréat professionnel, option "conduite et gestion de l'exploitation agricole" ou au brevet professionnel, option "responsable d'exploitation agricole" procurant une qualification professionnelle correspondant à l'exercice du métier de responsable d'exploitation agricole ou un titre reconnu par un Etat membre de l'Union européenne ou par un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, conférant le niveau IV agricole ; / b) Complétée, pour les candidats nés à compter du 1er janvier 1971, par la réalisation d'un plan de professionnalisation personnalisé validé par le préfet leur permettant de se préparer au métier de responsable d'exploitation agricole. / (...) ". Aux termes de l'article D. 343-4-1 de ce code : " Le préfet peut accorder les aides à l'installation aux jeunes agriculteurs nés à compter du 1er janvier 1971 et titulaires d'un diplôme, titre, certificat d'un niveau équivalent au brevet d'études professionnelles agricoles ou au brevet professionnel agricole ou titulaire d'un diplôme de niveau IV non agricole et qui : / - justifient qu'ils sont dans l'obligation de s'installer sans pouvoir satisfaire à la condition de capacité professionnelle prévue à l'article D. 343-4 ; / - s'engagent à suivre une formation complémentaire en vue d'acquérir un diplôme ou un titre mentionné à l'article D. 343-4 dans un délai qui ne peut excéder trois ans. ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de l'arrêté ministériel du 29 octobre 1992 modifié précité : " Pour l'application du 4° de l'article D. 343-4 susvisés, sont reconnus comme participant à la délivrance de la capacité professionnelle agricole les diplômes, titres et certificats enregistrés au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et listés en annexe I du présent arrêté. ". L'annexe I de cet arrêté précise la liste des diplômes reconnus comme conférant la capacité professionnelle agricole lorsqu'ils sont complétés par un plan de professionnalisation personnalisé pour les candidats à l'installation nés à compter du 1er janvier 1971 pour l'application du 4° de l'article D. 343-4 du code rural, parmi lesquels figure le brevet professionnel option agroéquipement, conduite et maintenance des matériels.
5. Pour annuler l'arrêté du 7 juin 2016 en litige, le tribunal administratif de Lille a estimé que, si M. F... B... disposait d'un brevet professionnel option " agroéquipement, conduite et maintenance de matériels ", celui-ci n'entrait pas dans la catégorie de diplômes exigés par les dispositions de l'article D. 343-3 du code rural et de la pêche maritime car étant un diplôme non agricole de niveau IV. Il a également estimé que l'intéressé ne pouvait bénéficier des dispositions dérogatoires de l'article D. 343-4-1 du même code dès lors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'il remplissait les deux autres conditions portant, d'une part, sur la circonstance qu'il était dans l'obligation de s'installer sans pouvoir satisfaire à la condition de capacité professionnelle et, d'autre part, qu'il s'était engagé à suivre une formation complémentaire en vue d'acquérir un diplôme ou un titre mentionné à l'article D. 343-4 dans un délai qui ne peut excéder trois ans. Il a jugé en conséquence que M. F... B..., qui ne remplissait ni les conditions de l'article D. 343-4, ni celles de l'article D. 343-4-1 du code rural et de la pêche maritime, ne se trouvait pas dans la situation du premier rang de priorité de l'article 7 du schéma directeur départemental et qu'en délivrant l'autorisation d'exploiter en litige au motif que les deux demandes concurrentes relevaient du même rang de priorité, la préfète avait entaché sa décision d'une erreur de droit.
6. Toutefois, dès lors que le préfet a la possibilité d'accorder une autorisation d'exploiter conditionnelle en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime précité, la circonstance que M. F... B... ne remplissait pas la condition de capacité professionnelle requise à la date de l'arrêté contesté est sans incidence sur sa légalité. C'est donc à tort que les premiers juges ont annulé pour ce motif l'arrêté préfectoral du 7 juin 2016 en litige accordant à M. F... B... l'autorisation d'exploiter les terres demandées à la condition qu'il obtienne son diplôme de brevet professionnel lui conférant la capacité professionnelle agricole requise.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le GAEC du Chemin vert et autres à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le tribunal administratif de Lille.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 7 juin 2016 :
8. Aux termes du IX de l'article 93 de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt : " - Les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles mentionnés à l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la présente loi, sont arrêtés dans un délai d'un an à compter de sa publication. / Jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, le contrôle des structures s'applique selon les modalités, les seuils et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles de chaque département (...) ".
9. Aux termes de l'article 4 du décret du 22 juin 2015 relatif au schéma directeur régional des exploitations agricoles et au contrôle des structures des exploitations agricoles : " I. - Les articles 2 et 3 du présent décret entrent en vigueur à la même date que le schéma directeur régional des exploitations agricoles. II. - Les demandes et déclarations déposées en application des I ou II de l'article L. 331-2 dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 octobre 2014 susvisée avant la date mentionnée au I, ainsi que, le cas échéant, les dossiers concurrents relevant des mêmes dispositions, déposés après cette date, demeurent soumis aux dispositions des articles R. 331-1 à R. 331-12 dans leur rédaction antérieure au présent décret ".
10. Le schéma directeur des exploitations agricoles de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie étant entré en vigueur le 29 juin 2016 et la demande d'autorisation d'exploiter ayant été formulée par l'EARL des Bruyères le 30 novembre 2015, soit avant cette date, la décision en litige doit être examinée au regard des dispositions de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans leur version en vigueur avant la publication de la loi du 13 octobre 2014.
11. Il ressort des pièces des dossiers que si par un arrêté du 27 mai 2015, la préfète du Pas-de-Calais a refusé une précédente demande d'autorisation d'exploiter présentée par l'EARL des Bruyères pour l'installation de M. F... B... au motif que l'intéressé ne disposait pas de la capacité professionnelle, elle n'a cependant délivré aucune autorisation d'exploiter les terres en litige à M. D... B... dans le cadre de son installation au sein du GAEC du Chemin vert. Ensuite, il ressort des pièces des dossiers qu'à la suite de plusieurs procédures judiciaires, M. A... B... s'est vu reconnaître la qualité de titulaire d'un bail rural portant sur les terres objet de la demande d'autorisation d'exploiter de l'EARL des Bruyères et qu'il a exploité celles-ci sans autorisation, ayant ainsi la qualité de preneur en place. Si un preneur en place ne peut être regardé en tant que tel comme un candidat concurrent du demandeur, il ressort toutefois des pièces des dossiers que le GAEC du Chemin vert a déposé, le 4 février 2016, une demande d'autorisation d'exploiter les mêmes terres afin de régulariser sa situation. Il suit de là que la préfète du Pas-de-Calais était effectivement saisie de demandes concurrentes et que l'ordre des priorités du schéma départemental des structures agricoles devait ainsi trouver à s'appliquer. Dans ces conditions, le GAEC du Chemin vert n'est pas fondé à soutenir qu'étant preneur en place et en l'absence de demande concurrente, seules les orientations du schéma pouvaient être appliquées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL des Bruyères et autres et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 7 juin 2016 en litige, ensemble la décision implicite de rejet de leur recours gracieux et que la demande du GAEC du Chemin vert et de MM. A... et D... B... devant le tribunal administratif de Lille doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du GAEC du Chemin vert et de MM. A... et D... B... le versement à l'EARL des Bruyères et à MM. C... et F... B... d'une somme totale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1608955 du 13 juin 2019 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par le GAEC du Chemin vert, MM. A... et D... B... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le GAEC du Chemin vert et MM. A... et D... B... verseront à l'EARL des Bruyères et à MM. C... et F... B... une somme totale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N°19DA01919,19DA02461