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07/07/2020 | FRANCE | N°19DA00594

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (quater), 07 juillet 2020, 19DA00594


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la communauté d'agglomération Amiens métropole à lui verser, en indemnisation des préjudices résultant d'un dysfonctionnement des réseaux d'eau et d'assainissement dont elle a la charge, une somme 63 872,60 euros au titre des travaux de remise en état de l'immeuble, une somme de 35 600 euros augmentée de 800 euros par mois jusqu'au prononcé du jugement à venir au titre des pertes locatives, une somme de 5 920,02 euros arrêtée au

31 mars 2016 augmentée de 109,63 euros par mois jusqu'au prononcé du jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la communauté d'agglomération Amiens métropole à lui verser, en indemnisation des préjudices résultant d'un dysfonctionnement des réseaux d'eau et d'assainissement dont elle a la charge, une somme 63 872,60 euros au titre des travaux de remise en état de l'immeuble, une somme de 35 600 euros augmentée de 800 euros par mois jusqu'au prononcé du jugement à venir au titre des pertes locatives, une somme de 5 920,02 euros arrêtée au 31 mars 2016 augmentée de 109,63 euros par mois jusqu'au prononcé du jugement à venir au titre des frais d'abonnement à l'électricité et au gaz et une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi avec intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2011 et capitalisation de ceux-ci.

Par un jugement n° 1601638 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la communauté d'agglomération Amiens Métropole à verser à Mme C... une somme de 82 517,98 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2015 et a mis les frais d'expertise à la charge de la communauté d'agglomération Amiens métropole.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2019, la communauté d'agglomération Amiens métropole et la compagnie Areas dommages, représentées par Me E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance de Mme C... ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions les sommes accordées à Mme C... ;

4°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu :

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- les observations de Me B..., représentant la communauté d'agglomération Amiens métropole et la compagnie Areas dommages, et les observations de Me D..., représentant Mme C....

Une note en délibéré, présentée par Me A... pour Mme C..., a été enregistrée le 1er juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... est propriétaire d'un immeuble sis 12, rue Duminy à Amiens. Du 8 octobre au 11 octobre 2011, le réseau communal des eaux usées s'est mis en charge à la suite d'un épisode pluvieux. Estimant que les dommages apparus sur son habitation le 9 octobre 2011 étaient imputables à un dysfonctionnement du réseau d'assainissement, Mme C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la communauté d'agglomération Amiens métropole à l'indemniser des préjudices subis à la suite de dommages occasionnés à sa propriété. La communauté d'agglomération Amiens métropole et la compagnie Areas dommages interjettent appel du jugement du 28 décembre 2018 en tant qu'il a retenu la responsabilité de l'établissement public, l'a condamné à verser à Mme C... la somme de 82 517,98 euros, et a mis les frais d'expertise à sa charge. Par la voie de l'appel incident, Mme C... demande la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses prétentions indemnitaires.

Sur la responsabilité de la communauté d'agglomération Amiens métropole :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

3. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif d'Amiens, qu'à la suite de la mise en charge du réseau communal des eaux usées du 8 au 11 octobre 2011, des débordements ont affouillé les terrains entraînant la déstabilisation des fondations des habitations sises aux numéros 12, 14 et 16 de la rue Duminy et leur basculement vers la chaussée entraînant des désordres sur les façades et à l'intérieur de ces propriétés. L'expert, qui n'a pu constater l'état des ouvrages, les collecteurs et branchements des eaux usées ayant été refaits en octobre 2013 avant le début des opérations d'expertise, relève en s'appuyant sur le constat fait antérieurement à cette réfection des nombreuses fuites provenant du réseau d'assainissement qu'" il parait évident que les réseaux étaient en mauvais état ". Ce constat est corroboré par le rapport d'expertise rendu à la demande de la requérante en mars 2013 précisant que les fuites sur le réseau d'assainissement ont déstabilisé le terrain sous le corps de la chaussée et sous les fondations des immeubles concernés et sont ainsi à l'origine des désordres. Enfin, la communauté d'agglomération Amiens métropole ne saurait en tout état de cause utilement invoquer le fait du tiers, qui, en matière de responsabilité sans faute, n'est pas de nature, ainsi qu'il a été dit au point précédent, à l'exonérer de sa responsabilité en soutenant que les désordres ont été provoqués par un défaut d'étanchéité des réseaux situés dans la cave de la propriété sise au n° 18 de la rue Duminy associé à la présence d'un fontis favorisant l'évacuation massive d'eau dans les tréfonds. Par suite, les débordements des eaux résultant de la mise en charge d'un réseau communal des eaux usées défaillant et qui doivent être regardés comme étant au moins partiellement à l'origine des désordres constatés sur la propriété de Mme C..., sont de nature à engager la responsabilité de la communauté d'agglomération Amiens métropole à son égard.

4. Il résulte de ce qui précède que les dommages subis par Mme C..., qui a la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public constitué par le réseau communal des eaux usées, ne sont pas liés à l'existence même ni au fonctionnement ou à l'entretien normal de cet ouvrage. En conséquence, ils présentent le caractère non d'un dommage permanent mais d'un dommage accidentel de travaux publics. Par suite, Mme C..., qui n'a pas à établir le caractère grave et spécial du préjudice qu'elle subit, est fondée à rechercher la responsabilité de la communauté d'agglomération Amiens métropole en raison des conséquences dommageables des fuites et débordements.

En ce qui concerne les préjudices subis et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions incidentes de Mme C... :

S'agissant des travaux de réfection :

5. L'expert évalue le montant des travaux de remise en état à effectuer à hauteur de 6 824 euros pour la façade côté rue, 2 920 euros pour le mur arrière séparatif avec le n°14 rue Duminy, 2 132 euros pour les menuiseries extérieures et intérieures et 11 744,69 euros pour les désordres intérieurs, soit la somme de 23 620,69 euros hors taxes à laquelle s'ajoute un suivi de chantier de 1 417,24 euros soit un total de 25 027,93 euros toutes taxes comprises. Mme C... conteste ces évaluations.

6. S'agissant des façades de l'immeuble, il y a lieu, en l'absence de contestation sérieuse en appel de la communauté d'agglomération Amiens métropole, de confirmer le montant de 21 186 euros retenu par les premiers juges.

7. S'agissant des menuiseries, Mme C... conteste sérieusement la pertinence de la solution retenue par l'expert consistant en un simple rabotage des fenêtres et des portes en produisant l'avis d'un architecte faisant notamment état du " dormant fortement déformé " des menuiseries, une attestation de son ancien locataire, et deux devis détaillés, retenant une somme de 13 242,42 euros pour les portes et fenêtres. L'allégation selon laquelle l'avis de l'architecte serait postérieur au dépôt du rapport d'expertise et n'aurait par suite pu être contradictoirement débattu, outre qu'elle est erronée, le rapport rectifié ayant été remis le 16 septembre 2015 et l'avis ayant été émis le 7 septembre 2015, est en tout état de cause sans incidence sur la possibilité pour le juge d'en tenir compte dans le cadre du débat juridictionnel contradictoire. Si, par ailleurs, la communauté d'agglomération Amiens métropole sollicite l'application d'un taux de vétusté de 50 % sur les portes et fenêtres en raison de leur ancienneté et des performances thermiques et phoniques apportées par les nouvelles menuiseries, l'obligation dans laquelle Mme C... se trouve de renouveler ces éléments de menuiseries s'oppose à ce que, pour cette seule raison, un abattement de vétusté soit appliqué. En outre, la communauté d'agglomération Amiens métropole n'apporte aucun élément de nature à établir que la réfection des portes et fenêtres aurait, dans les circonstances de l'espèce, une incidence sur le montant auquel Mme C... pourrait fixer le loyer de son appartement. Il y a par suite lieu de fixer le coût des réparations des menuiseries à la somme de 13 242,42 euros.

8 S'agissant des peintures, et ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, si Mme C... invoque un préjudice global de 24 297,37 euros, il ressort de la comparaison des désordres identifiés par l'expert comme étant imputables au dysfonctionnement du réseau d'assainissement et du devis de l'entreprise produit par Mme C... que certains postes de travaux n'entrent pas dans les préjudices indemnisables, tels par exemple que la réfection de la salle de bain du 1er étage et la peinture des portes qui ne sont pas prévues ou la réfection de la totalité de la salle de bain du 2ème étage alors que l'expert n'a retenu pour celle-ci que la remise en peinture des menuiseries après intervention du menuisier. Il y a par suite lieu, dans ces conditions, de fixer le montant du préjudice afférant aux travaux de peinture à la somme de 15 665,72 euros. Par ailleurs, l'expert ayant retenu un coefficient de vétusté de 30 % pour ce poste de préjudice, la communauté d'agglomération Amiens métropole est fondée à demander la confirmation du jugement du tribunal administratif d'Amiens sur ce point. Dès lors, il y a lieu en l'espèce de retenir un préjudice indemnisable de 10 966 euros, soit 30 % de 15 665,72 euros, au titre des travaux de peinture.

9. S'agissant des chéneaux, il résulte de l'instruction que les désordres les affectant n'ont aucun rapport avec les mouvements de façade engendrés par les fuites des canalisations de sorte que le lien de causalité n'est pas établi. La communauté d'agglomération Amiens métropole est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a procédé à l'indemnisation de ce poste de préjudice à hauteur de 5 146,81 euros.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de retenir au titre des travaux de réfection un montant total de 45 394,42 euros.

S'agissant des pertes locatives :

11. Il résulte de l'instruction que Mme C... a été dans l'impossibilité de louer son immeuble pour un montant mensuel de 800 euros en raison des nombreux désordres. La circonstance que le précédent locataire n'ait quitté l'appartement que le 15 août 2012, soit près de dix mois après l'apparition des désordres, est sans incidence sur la réalité ce préjudice. Mme C... est ainsi fondée à réclamer une indemnité au titre des troubles qu'elle a subis du fait de la perte des loyers. Par suite, la période à prendre en compte doit être calculée, de la date à laquelle le contrat de bail conclut avec la précédente locataire a expiré, soit le 15 août 2012, jusqu'au moment où la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, soit le 16 septembre 2015, date du dépôt du rapport d'expertise. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'ajouter à cette période une période de trois mois nécessaire à la réalisation des travaux, et de retenir, au total, une période d'indemnisation allant du 15 août 2012 au 15 décembre 2015. Par suite, c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont évalué le préjudice subi au titre de la perte de revenus locatifs à la somme de 32 000 euros. En revanche, si Mme C... sollicite par la voie de l'appel incident, le remboursement des abonnements de gaz et d'électricité au motif que leur maintien était nécessaire afin d'éviter la dégradation de l'immeuble, les pièces produites en appel ne permettent pas d'établir la réalité du préjudice invoqué. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à demander le versement d'une somme au titre de ce chef de préjudice.

12. Mme C... demande, par la voie de l'appel incident, de condamner la communauté d'agglomération Amiens métropole au versement d'une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi. Toutefois, les pièces produites en appel ne permettent, pas plus qu'en première instance, d'établir la réalité du préjudice invoqué. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à demander le versement d'une somme au titre de ce chef de préjudice.

13. Il résulte de l'instruction, et en particulier de l'attestation du 26 octobre 2018 de la compagnie d'assurances assurant l'immeuble de Mme C..., que celle-ci n'a perçu aucune indemnité à la suite de la déclaration du sinistre en date du 8 octobre 2011 résultant des écoulements d'eaux du réseau d'assainissement. Par suite, la communauté d'agglomération Amiens métropole n'est pas fondée à soutenir que Mme C... aurait été indemnisée des préjudices subis.

14. Il résulte de l'instruction que Mme C... a fait réaliser un constat d'huissier en date du 15 novembre 2012 pour justifier les dommages dont elle estimait être victime. Elle est fondée à demander à la communauté d'agglomération Amiens métropole le remboursement de ce constat réalisé pour un montant de 217,27 euros. Dès lors, la somme de 217,27 euros demandée à ce titre par Mme C... doit être prise en compte pour la détermination de son préjudice.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération Amiens métropole est seulement fondée à demander que la somme de 82 517,98 euros que le jugement attaqué l'a condamnée à verser à Mme C... soit ramenée à la somme de 77 611,69 euros.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Amiens métropole qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions formulées par la communauté d'agglomération Amiens métropole et la compagnie Areas dommages au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que la communauté d'agglomération Amiens métropole a été condamnée à verser à Mme C... par l'article 1er du jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est ramenée à 77 611,69 euros.

Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Amiens métropole et la compagnie Areas dommages et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Amiens métropole, à la compagnie Areas dommages et à Mme F... C....

N°19DA00594 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (quater)
Numéro d'arrêt : 19DA00594
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Caractère spécial et anormal du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : SELARL PHELIP et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-07;19da00594 ?
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