Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... F...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 novembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités allemandes.
Par un jugement n° 1803538 du 12 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Mme B... D...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 novembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités allemandes.
Par un jugement n° 1803520 du 12 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 6 mars 2019 sous le n° 19DA00565, M. F..., représenté par Me A...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une nouvelle attestation de demande d'asile et de transmettre cette demande à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 155 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la décision en litige dans l'attente du réexamen de sa situation, qui devra intervenir au plus tard dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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II. Par une requête, enregistrée le 6 mars 2019 sous le n° 19DA00566, Mme D..., représentée par Me A...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une nouvelle attestation de demande d'asile et de transmettre cette demande à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 155 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la décision en litige dans l'attente du réexamen de sa situation, qui devra intervenir au plus tard dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 19DA00565 et n° 19DA00566 présentées par M. F... et Mme D... présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
2. M. F... et Mme D..., ressortissants géorgiens, respectivement nés le 31 octobre 1987 et le 22 août 1982, déclarent avoir quitté leur pays avec leurs deux enfants en raison de crainte pour leur sécurité. Ils ont déposé en France une demande d'asile le 30 août 2018. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence de demandes d'asile en Allemagne. Ce pays, consulté par la France, a accepté de les reprendre en charge. M. F... et Mme D... relèvent appel des jugements par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 12 novembre 2018 du préfet du Nord ordonnant leur transfert vers l'Allemagne.
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article 35 de ce règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement / (...) ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
4. D'une part, les dispositions du paragraphe 4 de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, citées au point précédent, qui se bornent à prévoir que l'autorité compétente pour traiter les cas en vertu du règlement n° 604/2013 du même jour doit disposer des connaissances appropriées ou recevoir la formation nécessaire pour remplir ses obligations, n'appellent aucune mesure de transposition en droit interne. Les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment celles de l'article R. 742-1, seraient incompatibles avec les objectifs de cette directive. Par ailleurs, dès lors que cette directive a été transposée en droit interne, ils ne sauraient utilement se prévaloir de ces dispositions, à les supposer même claires et inconditionnelles, à l'encontre de la décision en litige.
5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments versés aux débats par le préfet, que M. F... et Mme D... ont tous deux bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture de l'Oise le 30 août 2018. En l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien n'aurait pas été mandaté à cet effet après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Les requérants ne précisent d'ailleurs pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement du 26 juin 2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'Etat responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'entretien s'est déroulé de façon irrégulière en l'absence de formation suffisante de l'agent qui les a interrogés ne peut qu'être écarté.
6. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, qui évoque les éléments principaux de la situation personnelle des requérants, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet du Nord, qui a notamment visé la naissance du troisième enfant de M. F... et Mme D... n'aurait pas procédé à un examen particulier de leur situation avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière des intéressés doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a accouché le 13 octobre 2018 du troisième enfant du couple, Gabriel, né prématurément et qui présente une malformation de la main. En outre, l'état de santé de leur second fils, Nino, altéré à la suite d'une chute, nécessite une prise en charge médicale. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'état de santé de Gabriel est globalement satisfaisant et que la malformation de sa main ne nécessite ni intervention chirurgicale immédiate, ni suivi médical particulier. L'état de santé de Nino ne nécessite pas davantage pas un suivi médical urgent ou à intervalle rapproché. Il n'est ainsi pas établi que le transfert des deux enfants vers l'Allemagne leur fasse courir un risque de détérioration de leur état de santé ou qu'ils ne puissent être pris en charge de manière adéquate dans ce pays. Dans ces conditions, M. F... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. Aux termes du point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les Etats membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. / (...) / 3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les Etats membres coopèrent étroitement entre eux (...) ".
10. La décision du préfet du Nord ordonnant le transfert des requérants aux autorités allemandes n'a pas pour effet de séparer les trois enfants de leurs parents. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé des deux plus jeunes enfants serait un obstacle au transfert des requérants. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision en litige n'est pas contraire à l'intérêt supérieur de ces enfants garanti par l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et par l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions ordonnant leur transfert aux autorités allemandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. F... et de Mme D... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., à Mme B...D..., au ministre de l'intérieur et à Me A...E....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Nos19DA00565,19DA00566 5