Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Sandrine a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités afférentes mises à sa charge au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1404029 du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mai 2017 et 26 juillet 2018, la SARL Sandrine, représentée par la SELARL Horrie et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités afférentes mises à sa charge au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'étendue du litige :
1. L'administration fiscale a prononcé, en cours d'instance, le 14 juin 2017, un dégrèvement total des intérêts de retard, d'un montant total de 4 579 euros. Il n'y a dès lors plus lieu, dans cette mesure, de statuer sur les conclusions de la requête de la société.
Sur le rejet de la comptabilité comme non probante :
En ce qui concerne le terrain de la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 286 du code général des impôts : " I. Toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée doit : / (...) 3° Si elle ne tient pas habituellement une comptabilité permettant de déterminer son chiffre d'affaires tel qu'il est défini par le présent chapitre, avoir un livre aux pages numérotées sur lequel elle inscrit, jour par jour, sans blanc ni rature, le montant de chacune de ses opérations, en distinguant, au besoin, ses opérations taxables et celles qui ne le sont pas. Chaque inscription doit indiquer la date, la désignation sommaire des objets vendus, du service rendu ou de l'opération imposable, ainsi que le prix de la vente ou de l'achat, ou le montant des courtages, commissions, remises, salaires, prix de location, intérêts, escomptes, agios ou autres profits. Toutefois, les opérations au comptant peuvent être inscrites globalement en comptabilité à la fin de chaque journée lorsqu'elles sont inférieures à 76 euros pour les ventes au détail et les services rendus à des particuliers. Le montant des opérations inscrites sur le livre est totalisé à la fin du mois. / (...) ".
3. En premier lieu, la société soutient qu'elle a utilisé une méthode globale de comptabilisation des recettes autorisée par le 3° du I de l'article 286 du code général des impôts, qui prévoit que les opérations au comptant peuvent être inscrites globalement en comptabilité à la fin de chaque journée lorsqu'elles sont inférieures à un certain montant pour les ventes au détail. Toutefois, ces dispositions, qui d'ailleurs ne peuvent être invoquées qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n'exonèrent pas pour autant le contribuable de l'obligation de produire des justifications de nature à établir la consistance des recettes portées en comptabilité.
4. D'une part, si la société soutient que l'absence de présentation des différents justificatifs des recettes tient à une erreur de ses propres salariés qui auraient jeté un carton d'archives, en tout état de cause, et alors qu'elle ne saurait utilement se prévaloir des carences de ses propres employés qu'il lui appartient d'assumer eu égard à la responsabilité qui lui incombe dans l'organisation de sa gestion, elle ne l'établit pas.
5. D'autre part, l'administration fiscale a constaté, au cours des opérations de contrôle, que les recettes journalières de l'entreprise étaient enregistrées chaque soir sur un cahier " d'écolier " en totalisant les recettes encaissées par l'activité restaurant et pub dansant au cours de la soirée, uniquement en fonction du mode de paiement (chèques, espèces, cartes bleues), sans distinction aucune de la nature des produits vendus. Par ailleurs, aucune bande de caisse enregistreuse ni aucun autre justificatif, faisant apparaître le détail des recettes comptabilisées et la nature des produits vendus n'a pu être présenté lors du contrôle pour la période vérifiée. L'inspecteur des finances publiques a d'ailleurs délivré à la société, le 1er décembre 2011, un procès-verbal de défaut de présentation de pièces justificatives de recettes. Par suite, la comptabilité de la SARL Sandrine présentait de graves irrégularités tenant au défaut de justificatifs des recettes, qui étaient à elles seules de nature à lui ôter son caractère probant, sans qu'il soit besoin de faire également état des quelques anomalies dans l'évolution des stocks de boissons de la société, relativement mineures, relevées à titre surabondant par le service dans sa proposition de rectification.
6. En second lieu, la circonstance que des éléments isolés tirés de la comptabilité aient été utilisés pour opérer des rectifications n'est pas à elle seule de nature à faire obstacle à ce que la comptabilité puisse été écartée comme non probante. Ainsi, en l'espèce, le fait que le service ait retenu tant des éléments portés dans les cahiers de recettes et dépenses qu'elle a présentés que les variations de stocks déclarées, ne saurait faire obstacle à ce que la comptabilité soit écartée comme non probante, alors au demeurant qu'en l'espèce, pour reconstituer les recettes, le service ne s'est pas borné à reprendre les chiffres ainsi enregistrés par la société.
En ce qui concerne le terrain de la doctrine administrative :
7. La réponse ministérielle faite le 19 janvier 1982 à M.A..., sénateur, qui institue une simple tolérance comptable relative à l'enregistrement des recettes en espèces et en chèques sur le livre de caisse, ne dispensait pas, en tout état de cause, la société de fournir des justificatifs des produits vendus. La société appelante n'est donc pas fondée s'en prévaloir.
8. Si la société requérante invoque, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le paragraphe 40 de la doctrine administrative BOI-BIC-DECLA-30-10-20-50 qui admet, pour tenir compte des conditions d'exercice du commerce de détail, " lorsque la multiplicité et le rythme élevé des ventes de faible montant font pratiquement obstacle à la tenue d'une main courante, que l'enregistrement global des recettes en fin de journée ne suffise à lui seul à faire écarter la comptabilité présentée à condition toutefois que celle-ci soit, par ailleurs, bien tenue et que les résultats-et notamment le bénéfice brut qu'elle accuse - soient en rapport avec l'importance et la production apparente de l'entreprise ", elle n'est en tout état de cause pas fondée à s'en prévaloir dès lors qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que sa comptabilité n'était pas bien tenue.
9. La société se prévaut d'une instruction du 18 décembre 2008, référencée BOI-13-L-10-08 n°3, qui selon elle relativiserait la gravité d'une disparition accidentelle de la comptabilité, telle que celle qu'elle expose avoir subie en raison de la perte du carton d'archives qui aurait comporté les justificatifs sur la nature des recettes de moins de 76 euros. Cependant, cette instruction, loin de traiter du cas de la disparition accidentelle de justificatifs importants, ne concerne que les irrégularités ou anomalies apparaissant accidentellement, c'est-à-dire rarement au sein d'une période vérifiée, pour recommander de ne pas leur prêter une portée excessive.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que c'est à juste titre que le service a estimé que, pour les exercices en cause, la comptabilité de la SARL Sandrine, entachée de graves irrégularités, était dépourvue de valeur probante et l'a écartée pour ce motif.
Sur la procédure d'imposition :
11. Aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I.- Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : / 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts ; / (...) II.- Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : / (...) 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 302 septies A du code général des impôts : " I. Il est institué par décret en Conseil d'Etat un régime simplifié de liquidation des taxes sur le chiffre d'affaires dues par les personnes dont le chiffre d'affaires, ajusté s'il y a lieu au prorata du temps d'exploitation au cours de l'année civile, n'excède pas 763 000 euros, s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ".
12. Il est constant que la société requérante relevait d'un régime simplifié de liquidation au regard de son chiffre d'affaires sur les années en cause, inférieur à 763 000 euros. Le service vérificateur a néanmoins poursuivi la vérification sur place au-delà de la durée de trois mois, par application du 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, en raison des graves irrégularités entachant la comptabilité de la société appelante. La vérification sur place ayant commencé le 14 juin 2011 et s'étant terminée le 12 décembre 2011, elle s'est donc étendue sur une durée supérieure à trois mois, sans pour autant dépasser six mois.
13. En premier lieu, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 10 ci-dessus, la comptabilité de la SARL Sandrine était dépourvue de valeur probante, l'administration a pu régulièrement faire application des dispositions du 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales et mener une procédure de vérification pendant une durée excédant trois mois.
14. En second lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au vérificateur d'informer le contribuable, avant l'expiration du délai de trois mois courant à compter de la première opération de vérification sur place, qu'en raison du défaut de valeur probante de sa comptabilité, la durée de la vérification sera portée de trois à six mois maximum. Par ailleurs, une telle exigence ne résulte pas non plus du principe de sécurité juridique tel qu'invoqué en termes généraux par la requérante. Par suite, la société ne peut utilement faire état de ce qu'elle n'a été informée de la prolongation jusqu'à six mois maximum de la durée de vérification sur place que par le procès-verbal de défaut de présentation de pièces justificatives de recettes.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
15. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / (...) ".
16. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 10, la comptabilité de la société comportait de graves irrégularités. D'autre part, l'imposition a été établie conformément à l'avis rendu le 12 avril 2013 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du département de la Seine-Maritime. Par suite, par application des dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère exagéré de l'imposition incombe à la société contribuable.
En ce qui concerne la reconstitution de recettes :
17. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a procédé à la reconstitution des recettes de la SARL Sandrine à partir du dépouillement exhaustif des factures d'achat des boissons, en distinguant les recettes du pub dansant et celles du restaurant, en utilisant les tarifs figurant sur les relevés contradictoires de prix établis le 14 juin 2011, en tenant compte des observations postérieures apportées par le gérant et en appliquant différentes réfactions relatives aux pertes, aux offerts et aux consommations du personnel.
18. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 10 ci-dessus que c'est à juste titre que le service a estimé que, pour les exercices en cause, la comptabilité de la SARL Sandrine était dépourvue de valeur probante. Pour ce motif, l'administration fiscale a pu légalement rejeter cette comptabilité et procéder à une reconstitution des recettes de la société.
19. En second lieu, la SARL Sandrine ne remet pas sérieusement en cause la méthode de reconstitution retenue par l'administration fiscale. Elle ne soutient ni même n'allègue que cette méthode serait radicalement viciée dans son principe ou présenterait un caractère trop sommaire. Elle ne justifie pas plus d'erreurs de calcul qui auraient été commises par le service. En outre, c'est sans apporter aucun élément concret et probant propre à l'entreprise de nature à étayer de telles allégations, qu'elle soutient que le service aurait dû opérer une pondération tenant davantage compte de ce que les clients choisissant les menus privilégient les boissons onéreuses, que le taux de perte sur l'activité de pub dansant devrait être porté à 10 %, que le taux d'offerts sur l'activité de restauration devrait être porté à 10 % et que la consommation des salariés ne saurait être fixée à moins de 10 % du chiffre d'affaires de la restauration. Si elle soutient par ailleurs que le taux de pertes retenu pour l'activité pub-dansant est très inférieur à celui régulièrement admis par la profession, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses affirmations, les chiffres retenus par un service vérificateur dans un autre dossier, cités dans un arrêt du 19 novembre 2009 d'une cour administrative d'appel ne pouvant en tenir lieu.
20. Il résulte de ce qui a été dit aux points 18 et 19 que la société appelante n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère exagéré des impositions supplémentaires mises à sa charge.
Sur la majoration de 40 % de l'article 1729 du code général des impôts :
21. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
22. En se fondant sur le caractère irrégulier de la comptabilité, sur l'importance des minorations de recettes et de leur caractère répété sur chacune des trois années vérifiées, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe en application des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, de l'intention délibérée du contribuable de se soustraire à l'impôt, et, par suite, du bien-fondé des pénalités en litige.
23. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 22 que la société n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer les conclusions à fin de décharge présentées par la SARL Sandrine à concurrence de la somme de 4 579 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Sandrine est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sandrine et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
N°17DA01019 6