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12/03/2019 | FRANCE | N°18DA01652

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 12 mars 2019, 18DA01652


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1800994 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du préfet du Nord du 8 janvier 2018, a enjoint au préfet du Nord de délivrer

à M. C...une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et fam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1800994 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du préfet du Nord du 8 janvier 2018, a enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. C...une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me D...en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 août 2018, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. C...devant le tribunal administratif de Lille.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B...C..., ressortissant malien déclarant être né le 16 décembre 1999, est entré irrégulièrement en France le 20 juillet 2015 selon ses déclarations. Il a alors été confié à l'Aide sociale à l'enfance en tant que mineur isolé le 6 novembre 2015. Il a demandé, le 23 juin 2017, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mineur isolé confié à l'Aide sociale à l'enfance avant l'âge de 16 ans. Par arrêté du 8 janvier 2018, le préfet du Nord a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. ".

3. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. C...sur le fondement des dispositions citées au point précédent, le préfet du Nord s'est fondé sur la circonstance qu'en produisant la copie d'un extrait d'acte de naissance contrefait et un passeport obtenu sur la base de cet acte de naissance falsifié, l'intéressé ne pouvait être regardé comme fournissant les indications relatives à son état civil au soutien de sa demande de titre et que, par conséquent, il ne remplissait pas les conditions de délivrance du titre de séjour demandé.

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Nord s'est fondé sur l'analyse faite par un agent du service des visas du consulat de France à Bamako. Ces services ont relevé, d'une part, que le centre d'état civil de Bamako qui, selon les mentions de l'extrait d'acte de naissance litigieux, aurait établi l'acte de naissance, a cessé ses activités en février 1980 soit dix-neuf ans avant à la date de naissance alléguée, et d'autre part, que l'en-tête de l'extrait d'acte d'état civil n'était pas celle du centre dont le nom était indiqué par ailleurs sur cet extrait. Ces éléments ne sont pas sérieusement contestés par M. C...qui n'a pas produit d'autre document d'état civil. Le préfet du Nord établit ainsi qu'un tel document d'état civil n'est pas authentique. Il en résulte que même authentique, le passeport, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il aurait été obtenu sur la base d'autres documents que cet extrait d'acte de naissance contrefait, ne saurait avoir force probante de l'état civil de l'intéressé. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet du Nord a écarté ces documents pour estimer que l'intéressé ne prouvait pas avoir l'âge permettant de se prévaloir des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Au vu ainsi des seuls éléments produits au soutien de sa demande de titre de séjour pour justifier de son état civil et plus particulièrement de son âge au jour de son placement par l'aide sociale à l'enfance dépourvus de toute force probante, il n'est pas démontré qu'il était effectivement mineur au moment de son placement. Ainsi, il ne saurait se prévaloir en tant que mineur de l'obtention d'un C.A.P. maintenance des véhicules en juin 2017 et de la signature d'un contrat d'apprentissage entretien des véhicules professionnels en juillet 2017. Pareillement, il ne saurait davantage utilement se prévaloir de la note de situation rédigée le 18 novembre 2017 par l'association " AFEJI " unité " tremplin " retraçant son investissement dans sa formation et son souhait de réussir son intégration. Au surplus, M. C...ne démontre pas avoir rompu tout lien familial au Mali dès lors qu'il a vécu dans ce pays jusqu'en 2015 et que sa mère et sa soeur y résident toujours. Cet arrêté ne méconnaît, dès lors, pas les dispositions précitées du 2° bis de l'article L. 313-11 2ème du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a considéré que faute d'avoir établi l'absence d'authenticité du passeport et par suite l'absence de respect de la condition d'âge posée par le 2 bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet avait méconnu ces dispositions.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...contre l'arrêté du 8 janvier 2018 devant le tribunal administratif de Lille.

10. Par un arrêté du 17 novembre 2017, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs n° 258 de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à M. A...E..., sous-préfet de Dunkerque, à l'effet de signer notamment les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contenues dans l'arrêté attaqué doit être écarté.

11. Il ne résulte pas des seules circonstances que l'arrêté ne mentionne ni les éléments l'ayant conduit à écarter la bonne foi de M.C..., ni la méthode d'analyse des actes d'état civil ayant conduit à écarter le passeport, que cet arrêté n'aurait pas été pris au terme d'un examen sérieux du dossier, d'autant que contrairement à ce qui est allégué il rappelle précisément le parcours scolaire de l'intéressé.

12. L'arrêté vise et cite le 2 bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise que compte tenu notamment du caractère apocryphe de l'acte de naissance de M.C..., les conditions prévues par ces dispositions ne sont pas remplies. Il comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. En outre, le bien-fondé des motifs fondant une décision administrative étant sans incidence sur le respect, par l'autorité administrative, de l'obligation de motivation des actes individuels défavorables, le requérant ne saurait utilement critiquer le raisonnement et les éléments retenus par le préfet du Nord pour fonder sa décision, à l'appui de son moyen tiré du défaut de motivation. Ainsi formulé, ce moyen doit, dès lors, être écarté.

13. En vertu des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger (...) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".

14. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment, de l'absence de certitude sur l'inexistence de liens privés et familiaux du requérant au Mali, du caractère récent de son séjour et surtout de l'utilisation d'un extrait d'acte de naissance dont il ne pouvait ignorer le caractère falsifié, et alors même que l'intéressé a effectué sérieusement le parcours d'intégration dont il a abusivement bénéficié, privant ainsi d'autres jeunes réellement mineurs du bénéfice d'un tel dispositif, la décision de refus de titre de séjour n'a pas eu pour effet de porter une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale, au regard des objectifs de cette mesure, notamment au regard de la préservation de l'ordre public qui impose de ne pas encourager la fraude. Elle n'a donc pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours :

15. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 10 ci-dessus.

16. En vertu du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision refusant de délivrer un titre de séjour. Par suite, compte tenu de ce qui a été dit au point 12 ci-dessus, le moyen tiré du défaut de motivation ne saurait être accueilli,

17. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14 ci-dessus, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pareillement, l'intéressé ne pouvant, de ce fait, se prévaloir d'une vocation à se voir délivrer un titre de plein droit sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il peut légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Enfin, toujours pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté en tant qu'il est soulevé à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français.

18. Pour les motifs énoncés aux points 1 à 14 ci-dessus, l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour à l'encontre de la décision d'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écartée.

19. Pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être énoncés au point 14, en fixant à trente jours le délai imparti à M. C...pour quitter volontairement le territoire français, le préfet du Nord n'a pas entaché d'erreur manifeste son appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de l'intéressé, la seule circonstance que celui-ci était en cours de préparation du bac professionnel à la date de l'arrêté en litige n'étant pas suffisante pour caractériser une telle erreur, eu égard à la fraude que l'intéressé a commise pour accéder au cursus concerné.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

20. L'arrêté vise l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise la nationalité de M. C.... Il relève en outre que l'intéressé n'établit pas que sa vie ou sa liberté seraient menacées dans son pays d'origine ou qu'il y serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il précise ainsi les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision fixant le pays de destination.

21. En se bornant à indiquer qu'en cas de retour au Mali il serait contraint de vivre dans la rue, faute d'y avoir conservé le moindre contact, le requérant qui a reçu une formation en France et qui a vécu au moins jusqu'à seize ans voire plus dans son pays natal, n'apporte pas d'éléments de nature à établir qu'il y serait personnellement exposé à des risques pour sa vie et son intégrité physique et morale de la nature de ceux protégés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 juillet 2018.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 5 juillet 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...C....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

6

N° 18DA01652


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA01652
Date de la décision : 12/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Riou

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-03-12;18da01652 ?
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