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07/03/2019 | FRANCE | N°18DA01709-18DA01710

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 07 mars 2019, 18DA01709-18DA01710


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...F...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

M. D...E...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire fran

çais dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...F...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

M. D...E...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1800339, 1800340 du 5 mars 2018, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 18DA01709, le 10 août 2018, Mme B...F...épouseC..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 mars 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

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II. Par une requête, enregistrée sous le n° 18DA01710, le 10 août 2018, M. D...E..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 mars 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 18DA01709 et n° 18DA01710 présentées par Mme F...épouse C...et par M. D...E..., son époux, sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme F...épouse C...et M.E..., ressortissants ukrainiens, sont entrés en France en compagnie de leurs trois enfants mineurs le 19 novembre 2016 sous couvert de passeports revêtus d'un visa de court séjour. Ils ont chacun présenté une demande tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Leurs demandes ont été rejetées par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 juin 2017, confirmées par décisions de la Cour nationale du droit d'asile le 29 novembre 2017 notifiées le 15 décembre 2017. Le préfet de l'Aisne, par deux arrêtés du 19 janvier 2018, a alors refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire national dans un délai de trente jours et a fixé l'Ukraine comme pays de destination. Mme F...épouse C...et M. E...relèvent appel du jugement du 5 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du préfet de l'Aisne du 19 janvier 2018.

3. Les arrêtés du 19 janvier 2018 visent les articles précis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquels ils sont fondés et comportent les considérations de fait qui en constituent le fondement. La circonstance que les arrêtés ne mentionnent pas le fait que les requérants avaient adressé à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides un formulaire de réexamen de leur demande d'asile le 9 janvier 2018 ne traduit pas une insuffisance de motivation alors qu'au demeurant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a retourné dès le 10 janvier ce formulaire, en invitant les requérants à faire enregistrer leur demande de réexamen auprès de l'autorité préfectorale compétente et qu'à la date des arrêtés attaqués cet enregistrement n'avait pas encore été effectué. Par suite, le moyen d'insuffisance de motivation doit être écarté.

4. Il ne résulte ni de la motivation de la décision en litige ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de l'Aisne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme F... épouse C...et M. E...avant de prendre les arrêtés contestés. A cet égard, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, l'absence de mention de l'envoi à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'un formulaire de réexamen de leur demande d'asile ne révèle nullement un défaut d'examen particulier de leur situation par le préfet de l'Aisne. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'examen particulier doit être écarté.

5. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige : "Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) / 4° L'étranger n'a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 723-11, qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement ...". Aux termes de l'article L. 723-15 du même code : " Constitue une demande de réexamen une demande d'asile présentée après qu'une décision définitive a été prise sur une demande antérieure, y compris lorsque le demandeur avait explicitement retiré sa demande antérieure, lorsque l'office a pris une décision définitive de clôture en application de l'article L. 723-13 ou lorsque le demandeur a quitté le territoire, même pour rejoindre son pays d'origine ". Enfin, aux termes de l'article R. 723-15 du même code : " Lorsque dans les cas et conditions prévues à l'article L. 723-15, la personne intéressée entend présenter une demande de réexamen, elle doit procéder à une nouvelle demande d'enregistrement auprès du préfet compétent ".

6. Ces dispositions permettent à la personne qui, invoquant des éléments nouveaux, présente une première demande de réexamen de sa demande asile, de se maintenir sur le territoire national jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à la condition toutefois que l'intéressé se soit présenté au service compétent pour enregistrer sa demande visant à se voir reconnaître la qualité de réfugié et se voir remettre une attestation de demande d'asile.

7. Ainsi qu'il a été dit au point 2 Mme F...épouse C...et M. E...se sont vus refuser une première fois la qualité de réfugié par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 juin 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 29 novembre 2017. Si les intéressés ont présenté une demande de réexamen de leur demande d'asile en adressant directement un formulaire à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui a été enregistré le 9 janvier 2018, ce qui leur a d'ailleurs été indiqué par cet organisme dans un courrier daté du lendemain, cette démarche ne pouvait tenir lieu du respect de l'obligation prévue par les dispositions précitées de présentation personnelle auprès des services préfectoraux compétents pour enregistrement de cette demande et remise d'une attestation de demande d'asile. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date du 19 janvier 2018, date des arrêtés attaqués, Mme F...épouse C...et M. E...avaient fait procéder auprès des services de la préfecture de l'Aisne, services territorialement compétents, à l'enregistrement de leur demande. Le préfet de l'Aisne fait d'ailleurs valoir sans être contesté qu'à la date du 4 septembre 2018, les intéressés n'avaient toujours pas procédé à cette démarche d'enregistrement. En conséquence, c'est sans méconnaître les dispositions précitées que le préfet de l'Aisne a pu prononcer à l'encontre des requérants une décision de refus de délivrance d'un titre de séjour et une obligation de quitter le territoire national dans un délai de trente jours à destination de leur pays d'origine, dès lors qu'en l'absence d'enregistrement par les services préfectoraux compétents d'une demande de réexamen de leur demande d'asile ils ne disposaient plus d'un droit de se maintenir sur le territoire français. Par suite, Mme F...épouse C...et M. E...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 743-1 et L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Mme F...épouse C...et M. E...font valoir que depuis leur entrée en France en novembre 2016, leurs trois enfants mineurs sont scolarisés, pour les deux plus âgés, en école primaire et, pour la plus jeune, en école maternelle, qu'ils suivent des cours de français démontrant ainsi leur volonté d'intégration et qu'ils ont noués des liens avec leurs voisins et d'autres parents d'élèves. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme F...épouse C...et M. E...ont tous les deux vu leur demande d'asile rejetée et font l'objet d'une mesure d'éloignement à destination de l'Ukraine. Les requérants n'établissent pas que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer dans ce pays où ils ont toujours vécu avant leur entrée en France et où leurs enfants sont nés et ont vécu jusqu'aux âges respectifs de dix, huit et quatre ans. En outre, la circonstance qu'ils suivent des cours de français et auraient noué des liens avec des voisins et des parents d'élèves ne saurait suffire à établir que Mme F...épouse C...et son époux disposeraient en France de liens sociaux d'une particulière intensité. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions de présence en France des intéressés, les arrêtés contestés n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris. Dès lors, ils ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

10. Les arrêtés contestés n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer Mme F...épouse C...et M. E...de leurs deux enfants mineurs et, ainsi qu'il a été dit au point 8, rien ne s'oppose à ce que la famille poursuive sa vie privée et familiale en Ukraine. Si leurs enfants, entrés en France en 2016 aux âges respectifs de dix, huit et quatre ans, y sont scolarisés depuis, étant inscrits en classe de CM2, CE2 et de maternelle à la date des arrêtés en litige, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ne pourraient poursuivre leur scolarité dans des conditions normales en Ukraine, alors qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'ils ne maîtriseraient pas suffisamment l'ukrainien. Dans ces conditions, en refusant de leur délivrer un titre de séjour et en les obligeant à quitter le territoire national le préfet de l'Aisne n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de leurs enfants, au sens des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

11. Si Mme F...épouse C...et M. E...soutiennent qu'ils encourent des risques pour leurs vies en cas de retour en Ukraine et que les arrêtés contestés méconnaissent en conséquence les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle, ces moyens sont inopérants à l'encontre des décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire national dans un délai de trente jours contenues dans ces arrêtés dès lors que ces décisions n'emportent pas en elle-même fixation d'un pays de destination. En revanche, ces moyens sont opérants à l'encontre de la décision fixant l'Ukraine comme pays de destination de la mesure d'éloignement. Toutefois, si les requérants soutiennent qu'ils encourent des risques en cas de retour en Ukraine en raison des menaces dont ils ont fait l'objet de la part de certaines autorités de cet Etat en raison des activités politiques de M.E..., les documents qu'ils versent au dossier ne permettent pas, à eux seuls, d'établir la réalité des faits allégués et l'existence de risques personnels et actuels en cas de retour en Ukraine. Au demeurant, l'OFRPA et la cour nationale du droit d'asile ont rejeté leurs demandes d'asile au motif que leur récit n'était pas suffisamment crédible. Par suite, en désignant l'Ukraine comme pays de renvoi, le préfet de l'Aisne n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 2 de la même convention. Pour les mêmes motifs il n'a pas entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur les situations personnelles des requérants.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F...épouse C...et M. E...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes. Doivent également être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de Mme F...épouse C...et M. E...sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...F...épouse C...et M. D... E..., au ministre de l'intérieur et à MeA....

Copie en sera transmise au préfet de l'Aisne.

2

N°18DA01709,18DA01710


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA01709-18DA01710
Date de la décision : 07/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Rodolphe Féral
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : MILEO ; MILEO ; MILEO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-03-07;18da01709.18da01710 ?
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